Inédit

Le psychanalyste apathique et le patient postmoderne de Laurence Kahn.
Essai de lecture en littéraire

 

 

 

Préambule

 

Les 13, 14 et 15 décembre 2018, un colloque international organisé sous l’égide de Transitions et consacré à « Littérature et trauma » a rassemblé trente-six communiquants réunis en sessions, elles-mêmes réunies en journées. Mathilde Faugère est intervenue lors de la première journée, celle du 13 décembre au matin, consacrée à « Un champ émotionnel en débat », lors de la session « “- pathie” : apathie et empathie ».

Comme Anne-Laure Dubruille dans la même session, Mathilde Faugère prend appui ici sur le livre de Laurence Kahn, Le psychanalyste apathique et le patient postmoderne. Mais c’est moins la question de l’empathie qui l’arrête ici que les critiques adressées par Laurence Kahn à la narrativité, laquelle trahirait selon la psychanalyste le différend existant entre la phrase-affect, le rêve ou l’inconscient d’un côté, et la parole dans laquelle ils se disent aussi bien que la parole de l’analyste de l’autre : différend dont il conviendrait de maintenir l’abîme parce que c’est de lui que se nourrirait la cure. Mathilde Faugère propose de transposer cette critique dans le domaine de la littérature, nous invitant à éviter de transformer cette dernière en panacée thérapeutique comme certaines voix nous y convieraient aujourd’hui.

H. M.-K. et T. P.

Mathilde Faugère est actuellement professeure agrégée de français dans le secondaire. Elle prépare une thèse sous la direction d'Hélène Merlin-Kajman sur les représentations de la lecture au XVIIe siècle. Elle est membre de Transitions.

 

 

 

 

 

Le psychanalyste apathique et le patient postmoderne de Laurence Kahn.
Essai de lecture en littéraire

 

 

Mathilde Faugère

01/06/2019

 

 

Le contenu de mon intervention s’est rapidement constitué autour de l’idée d’une lecture de l’ouvrage de Laurence Kahn, Le psychanalyste apathique et le patient postmoderne[1], que beaucoup d’entre vous avez déjà lu et discuté. Le principe de cette intervention s’est dessiné rapidement : cette lecture serait une lecture de « littéraire », ou en « littéraire », de l’ouvrage. Qu’est-ce à dire ? Je n’ai pas pu examiner les références littéraires dans cet ouvrage pour la bonne raison qu’il n’y en a pas, ou presque… En revanche, Laurence Kahn utilise du vocabulaire que l’on peut considérer comme « littéraire » : « herméneutique », « vraisemblable », « narration », « fiction », « littéraire ». Cependant, ce vocabulaire est systématiquement utilisé pour caractériser certaines pratiques psychanalytiques avec lesquelles Laurence Khan est profondément en désaccord. Ce n’est pas la littérature, ou les études littéraires, que vise Laurence Kahn, mais bien la psychanalyse.

Quelles conséquences tirer alors de cette lecture en littéraire ? Il me semble que le livre de Laurence Kahn peut être l’occasion de remises en question et d’interrogations productives, même si l’on est en désaccord avec l’ensemble de son propos. Laurence Kahn y remet en question certaines orientations de la psychanalyse dans les trente dernières années. Elle critique notamment le changement de position de l’analyste – chez qui l’« Indifferenz » freudienne laisserait la place à l’empathie[2]– ainsi que ce qu’elle dénonce comme une remise en question de la métapsychologie freudienne. Mais elle ne se contente pas de critiquer certaines évolutions : son propos va plus loin. Il me semble que Laurence Kahn attire notre attention sur ce que nous cédons, et ce que nous pouvons manquer parfois, pris dans nos pratiques ou nos options théoriques. Il s’agira pour moi de la considérer comme une occasion d’interrogation, de prendre le texte en bonne part, c’est-à-dire de me demander, malgré mes désaccords nombreux, quelles questions productives cette posture particulière de Laurence Kahn me permet de me poser. La critique qu’elle adresse à la psychanalyse actuelle est-elle une critique que la littérature, ou les littéraires, pourraient s’adresser à eux-mêmes ? Pourrait-on faire une transposition ? Est-ce que les études littéraires risquent de tomber dans les mêmes « travers » que Laurence Kahn décrits dans la psychanalyse[3] ?

Il me semble alors que les remises en question que peut nous permettre de faire Laurence Kahn sont au nombre de quatre. Ce ne sont donc pas des remises en question que Laurence Kahn fait à la littérature, mais un essai par une littéraire de transposition de ce qu’elle dit de la psychanalyse :

1. Première proposition. Il ne faut pas accorder une place primordiale à la narrativité. La valeur organisatrice de la narration ne doit pas nous aveugler et ne doit pas nous faire manquer ce qui lui échappe, ce qu’elle masque. Cela, Laurence Kahn le dit très clairement à propos de la psychanalyse en privilégiant le rapprochement avec le rêve : « Que reste-t-il du fait que le pouvoir de la créativité dans la cure est comparable non pas à la narration mais au rêve, en tant qu’il brouille les liaisons, morcelle et fragmente[4] ? » La narrativité, la capacité et la tendance à faire récit, créent selon elle du lien, de la logique, de la signification et excluent de fait ce qui est rupture, respiration, césure. Elle mobilise pour parler de la cure la comparaison avec le rêve qui ne serait alors pas seulement un matériau de la cure mais aussi son modèle de fonctionnement. Qu’en est-il pour la littérature ? On peut envisager la dominance du récit à plusieurs niveaux. D’une part, en termes de corpus : le récit est aujourd’hui relativement dominant dans ce que l’on publie et ce que l’on étudie en littérature[5]. Or, cela voudrait dire, si l’on s’appuie sur ce que Laurence Kahn dit, que la littérature risque de manquer quelque chose, c’est-à-dire de manquer de rendre compte de la fragmentation, de ne pas laisser de place à la rupture. Si la caractéristique du récit est de « lier », alors la littérature, en se définissant autour du récit, risque elle aussi de « lier » ce qui ne devrait pas l’être et surtout de ne pas rendre compte des ruptures et de ce qui est rétif à la narration.

 On pourrait certes objecter à cela la capacité du récit littéraire à faire place à la rupture, à la césure, au fonctionnement onirique. De Rabelais – et même avant – à Coetzee en passant par Kafka, nombre de récits font justement du brouillage l’un de leurs moteurs de lecture. La question du récit n’est pas alors seulement un problème de corpus. Laurence Kahn nous permet, me semble-t-il, d’être attentifs à la façon dont la littérature risque de devenir la science du récit ou de la mise en récit[6]. Mettre au cœur de la littérature le seul récit, au sens de capacité à faire du sens, du lien sans reste, pose problème. C’est un problème qui concerne à la fois son enseignement et le discours commun qui est porté sur elle. En effet, la littérature risque alors d’être complètement soluble dans la communication, la publicité et dans tous les types de récits. Son centre de gravité risque de bouger au risque de la faire disparaître dans sa spécificité, celle du rapport au rêve, à ce qui est heurté.

2. Deuxième remise en cause. Il faudrait, en suivant Laurence Kahn, se garder de l’intention de guérir le lecteur. L’idée que l’on peut améliorer l’esprit humain par la littérature n’est pas nouvelle[7]. Mais on peut constater une recrudescence de cette idée aujourd’hui. Il existe par exemple des thérapies autour des livres qui proposent de lire – et non seulement d’écrire – pour se guérir du trauma[8]. Il en a été également discuté à plusieurs reprises à Transitions[9]. Laurence Kahn me semble nous permettre d’y revenir à travers son analyse de Jean-François Lyotard et de sa relecture de la cure psychanalytique à la lumière du concept de différend. Elle affirme en effet que selon elle, la cure psychanalytique s’inscrit sous le label d’un « ratage[10] », le ratage entre la phrase-affect et la phrase articulée. La cure essaye d’articuler quelque chose de la phrase-affect et dans cette mesure lui fait violence puisque la phrase-affect précisément est étrangère à l’articulation dulogos. Le psychanalyste doit donc en avoir conscience. Les cures contre lesquelles se dresse Laurence Kahn sont celles qui ignoreraient ce ratage en pensant tout traduire par la métaphore, par le récit, par le contexte, et cela, dans le langage articulé. Elles réitèrent le différend au lieu de tenter d’en témoigner.

Comment cela pourrait-il s’appliquer à la littérature ? Certes Lyotard souligne le rôle de la littérature pour témoigner du différend. La littérature, avec la philosophie et « peut-être la politique » a pour enjeu de « témoigner des différends en leur trouvant des idiomes[11] ». Mais si on va jusqu’au bout de ce que Laurence Kahn dit de la psychanalyse, on peut se demander si, malgré ce rôle accordé à la littérature, les risques ne sont pas identiques pour la littérature et pour la psychanalyse : au lieu d’inventer un « idiome », la littérature risque fort, au même titre que l’analyse, de réduire le différend à un simple litige. Dire que la littérature « guérit » me semble pouvoir aller dans ce sens, sans que cela ne soit toujours le cas[12]. La tâche de la littérature n’est plus d’inventer un idiome, c’est de traduire et réduire dans la langue déjà existante. On risque alors d’ignorer le « ratage » productif qu’elle aussi permet peut-être. Un partage d’un texte littéraire qui prétend guérir passerait alors à côté de ce qu’elle permet de faire.

3. Troisième remise en cause. Ce qui touche le lecteur, ce qui importe, n’est pas (seulement) une question de référentialité. Pour le dire autrement : là où on pourrait avoir tendance à considérer les textes et ce qu’ils peuvent faire en fonction de ce qu’ils racontent, Laurence Kahn nous invite à considérer que ce qui importe n’est pas forcément ce qui est raconté ou le statut de ce qui est raconté. Un élément nous permet d’aller dans ce sens. Dans Ce que le nazisme a fait à la littérature, Laurence Kahn cite de façon extrêmement appuyée l’œuvre d’Imre Kertész. Kertész est un écrivain hongrois, un survivant de la Shoah qui a écrit sur son expérience des camps et notamment d’Auschwitz. Cependant, il est frappant que Kertész catégorise tous les textes qu’il écrit comme des « romans » et non comme des œuvres de témoignages. Il justifie cela en expliquant que le témoignage est impossible, que la langue ne peut rendre compte de l’expérience sur le mode du témoignage mais qu’il est possible cependant de créer une langue romanesque et de raconter quelque chose, mais « pas de la fiction réaliste[13] ». Laurence Kahn, elle, parle de la langue de Kertész de la façon suivante : « La langue de Kertész cherche à prendre la logique idéologique à son propre piège, en la démantibulant, en la retournant, “cela va de soi” [14] ». Le travail romanesque est alors pour le narrateur selon Kahn de « réussir à être là, “naturellement”, là où l’auteur n’était pas. Ce n’est pas l’expérience qui est racontée, c’est une reconstitution langagière et fictive d’une expérience qui n’a pas eu lieu pour Kertész.

Qu’en dire pour le reste de la littérature ? D’une part, ce qui frappe est l’importance accordée par Kertész et par Kahn à la constitution d’une langue pour parler des camps. L’accent est mis sur la langue utilisée pour raconter l’expérience traumatique. Et cela veut dire qu’on ne peut pas réduire l’interrogation sur le traumatisme et les effets de la littérature uniquement à une question de contenu. Je pense notamment aux trigger warnings et à la façon dont ils posent le problème du trauma en passant par le référent[15]. Par ailleurs, en parlant de roman, Kertész souligne la force de la littérature pour parler du trauma, et cela en tant que cette dernière ne se préoccupe pas seulementdu lien entre réalité et texte.

4. Enfin, il ne faut pas assigner trop vite de place ni au lecteur, ni au livre. C’est ainsi que l’on pourrait voir ce que Laurence Kahn dit à propos de l’apathie, pourtant difficile à accepter dans son ouvrage. Le concept d’empathie est sans doute, avec celui de récit, l’un de ceux que Laurence Kahn met à distance le plus fortement. Il renvoie, ici, à la question du contre-transfert dans l’analyse. L’empathie de l’analyste serait sa capacité à se mettre en jeu dans l’analyse avec ce qui le remue au même titre que le patient. Laurence Kahn défend, quant à elle, le rôle productif de l’apathie, souvent considérée comme une froideur pleine de supériorité de la part de l’analyste. Son idée de l’apathie me semble pourtant devoir être distinguée de la définition commune de l’apathie. Voici comment elle la formule : « Or c’est dans ce périmètre que la froideur, l’abstinence et le refus de tout adoucissement sont les conditions sine qua non de la conduite de la cure, car seule l’impassibilité de sa surface psychique permet à l’analyste de percevoir les “vibrations” émanant de l’émetteur inconscient du patient. L’impassibilité est ici à la mesure de la “passibilité” de l’écoute requise pour, tout d’abord, former une présentation appréhendable de ce que le patient tente de faire et de faire vivre à l’analyste, puis pour acheminer une telle présentation vers la représentation de contenus refoulés[16]. » Cette définition d’une apathie de l’analyste comme « surface d’impassibilité » sur laquelle viennent résonner les signes envoyés volontairement ou involontairement est certes une définition en surplomb de la place de l’analyste : mais ce surplomb est au service d’une écoute et d’une infinie « passibilité ». Cette apathie passibleque décrit Laurence Kahn me semble ici tout à fait souhaitable dans certaines circonstances face à des textes littéraires. Le but de l’apathie me semble alors consister à éviter le contresens, mais aussi la violence ou l’incompréhension qu’il peut produire chez le lecteur. Cela me semble valoir notamment dans un cadre d’enseignement, mais également pour une lecture autonome. Il s’agit de se déprendre un peu de l’affect de surface.

Voilà donc quatre remises en question que Laurence Kahn me permet de faire et qui me semblent pouvoir être productives dans la compréhension et de la lecture autonome, et de l’enseignement de la littérature, et dans le discours théorique sur la littérature.

 

Il me faudra simplement pour conclure moduler de deux manières le rôle que j’ai accordé à cette image de Laurence Kahn que j’ai reconstruite. J’aimerais d’abord limiter la puissance de la transposition que je me suis efforcée de faire des propositions de Laurence Kahn aux textes littéraires. Cette limite, on peut la mettre sous le signe de la grande variété du corpus littéraire et des postures supposées par ces différents textes. J’en donnerais un simple exemple, à propos du couple empathie/apathie. J’ai en effet présenté comme souhaitable dans certaines situations de lecture d’user de ce que Laurence Kahn appelle « apathie ». Mais il me semble que si l’on peut valoriser l’apathie dans la lecture on ne peut le faire qu’en prenant comme point de départ l’empathie sur laquelle repose cette activité. On en arrive alors aux limites de la lecture en bonne part de Laurence Kahn. Voici ce que Laurence Kahn dit de l’empathie dans la cure : « L’attitude empathique a donc une fonction “générative” : elle génère dans l’analyste une reproduction du monde interne du patient, formée aussi bien de ses réactions que des introjections, émotions et souvenirs personnels de l’analyste. A partir de cette expérience s’ouvre la voie de l’“empathie narrative” qui permet à l’analyste d’aider le patient à organiser son expérience en un récit structuré[17] ». Il est très tentant dans cette phrase de remplacer le mot « analyste » par le mot de « lecteur » : le livre génère dans le lecteur une reproduction de son monde interne[18]formée aussi bien de ses réactions (au livre) que des introjections, émotions et souvenirs du lecteur… Je pense que cette phrase de Kahn ainsi transformée pourrait donner une définition adéquate de la lecture où se mêleraient les émotions, les souvenirs et les réflexions du lecteur. Or le propos de Laurence Kahn permettait précédemment de rapprocher lecture et apathie (voir la proposition 4). Le fait que l’on puisse ainsi parler d’apathie et d’empathie dans le même mouvement de la lecture me semble montrer les limites de la transposition que j’ai faite et donc également du rapprochement entre psychanalyse et littérature. Il me semble qu’en cela la marge de manœuvre de la littérature est grande.

Je finirai sur une dernière remarque sur le rapport de Kahn à la littérature en elle-même. Bien que les concepts « littéraires » soient mis à distance dans son travail, bien qu’elle considère l’empathie comme un problème en psychanalyse il me semble que sa façon de se rapporter à la littérature, et notamment sa façon de citer, est très empathique. Deux cas me semblent significatifs : l’un se trouve dans Le Psychanalyste apathique lorsqu’elle cite Derrida parlant d’Artaud et l’autre dans Ce que le nazisme a fait à la littérature quand elle cite Kertész. Dans ces deux cas, elle ne commente pas, mais partage la parole avec eux[19]. Elle cite les auteurs par bribes de phrase qu’elle inclut dans son discours en les prenant à son compte. On ne sait plus alors s’il s’agit de leur donner la parole ou de progresser dans son propre discours. Il me semble qu’on ne peut séparer les deux. Il existe des passages où les deux voix se fondent l’une dans l’autre sans s’écraser. Et c’est l’écriture de Kahn comme des auteurs qu’elle cite qui rend cela possible. On peut considérer cela à proprement parler comme un usage empathique de la littérature, et on pourrait même aller jusqu’à le qualifier de transitionnel. La parole des auteurs semble alors s’offrir à Laurence Kahn comme une parole qu’elle peut presque prendre à son compte : un espace se crée où circulent à la fois les œuvres citées, la pensée de Kahn et le « monde interne » de son lecteur[20].

 

 

[1] Laurence Kahn, Le psychanalyste apathique et le patient postmoderne, L’Olivier, « penser/rêver », 2014.

[2] Ibid., p. 9, n. 3.

[3] Il ne s’agira pas pour moi de traiter des critiques que Laurence Kahn fait à la psychanalyse. D’une part, parce que cela dépasse les limites de ma compétence. D’autre part, mon choix a été de considérer les propositions de Laurence Kahn moins comme des propositions à vocation hégémonique que comme des sources de remise en question ponctuelles.

[4] Ibid., p. 88.

[5] On publie et on lit une majorité de romans en France par rapport aux autres genres littéraires. Le roman arrive en tête des livres lus en France avec les « livres pratiques » et les BD et mangas (voir l’étude de mars 2019 du Centre national du livre « Les Français et la lecture », en ligne, page consultée le 28 mai 2019 : https://www.centrenationaldulivre.fr/fichier/p_ressource/17648/ressource_fichier_fr_les.frana.ais.et.la.lecture.2019.03.11.ok.pdf) Le texte narratif constitue par ailleurs le premier texte que l’on apprend à lire à côté du texte informatif sans vocation littéraire (voir https://www.education.gouv.fr/cid21049/pirls-2016-evaluation-internationale-des-eleves-de-cm1-en-comprehension-de-l-ecrit-evolution-des-performances-sur-quinze-ans.html). Dans les programmes du secondaire le récit constitue également le genre fondamental à partir duquel les autres sont pensés et distingués.

[6] Christian Salmon dans son ouvrage Storytelling, la machine à fabrique des histoires et à formater les esprits (Paris, La Découverte, 2007) montre comme le concept de récit a pu être utilisé à des fins publicitaires, militaires ou politiques tout en s’appuyant sur la légitimité des théories du récit littéraires. Son ouvrage s’ouvre notamment sur une lecture de conte dans un contexte de stage de formation en entreprise. La lecture à haute voix du conte, littéraire ?, a alors in fine des conséquences commerciales. Il mentionne également le développement de la « thérapie narrative » (p. 8).

[7] On pourrait citer à titre d’exemple parmi bien d’autres les propos de Jean-Pierre Camus, évêque de Belley, sur son roman édifiant Agathonphile publié en 1620 : « Le dessein de l’auteur a été de détourner par cet écrit divers esprits de séjour, de la lecture de certains livres non seulement inutiles, mais dangereux, desquels saint Paul a autrefois dit, que ceux qui se détournent de la Vérité se tournent volontiers vers les fables. Il s’est servi expressément des mêmes industries dont se servent ces ouvriers d’iniquité à suggérer le Mal, pour essayer d’insinuer le Bien. » Il invite alors sa lectrice à découvrir « la moelle de plusieurs beaux et utiles enseignements sous l’écorce de cette histoire ». (Jean-Pierre Camus, « Epitre à Madame la Comtesse de Saint-Paul », Agathonphile ou les martyrs siciliens, Paris, C. Chappelet, 1620). Il s’agit alors de changer les dispositions du sujet par le biais de la lecture.

[8] Sur le sujet dans le même dossier de Transitions voir l’article d’Alexandre Gefen « La Culture du trauma » (en ligne, page consultée le 28 mai 2019 : http://www.mouvement-transitions.fr/index.php/intensites/litterature-et-trauma/sommaire-general-de-litterature-et-trauma/1645-n-9-a-gefen-la-culture-du-trauma). Voir également l’article de Léa Guidi, « La bibliothérapie, pratique médicale méconnue en France » (en ligne, page consultée le 28 mai 2019 : https://mondedulivre.hypotheses.org/1700).

[9] Il s’est notamment agi d’une séance de séminaire le 11 octobre 2018 animée par Lise Forment autour du « rôle thérapeutique de la littérature : un pari ». Avant cela, Hélène Merlin-Kajman avait discuté, dans son ouvrage L’Animal ensorcelé, l’idée que la littérature pouvait répondre à un « besoin thérapeutique de nos sociétés mondialisées » (L’Animal ensorcelé. Traumatismes, Littérature, Transitionnalité, Paris, Ithaque, « Theoria Incognita », p. 430). Elle s’appuyait notamment sur un article de Johannes Türk, « Rituels d'agonie et terriers d'angoisse chez Freud, Proust et Kafka. Prolégomènes à une immunologie critique » dont la traduction par Brice Tabeling est disponible sur le site de Transitions (http://www.mouvement-transitions.fr/index.php/hospitalites/republications-traductions-inedits/n-13-j-turk-prolegomenes-a-une-immunologie-critique).

[10] Laurence Kahn, Le psychanalyste apathique et le patient postmoderne, op. cit., p. 113

[11] Jean-François Lyotard, Le Différend, Paris, ed. de minuit, « Critique », 1983, p. 30

[12] Il faudrait distinguer entre une littérature réduite à un médicament et un partage des textes qui serait en lui-même thérapeutique. Le séminaire de Transitions avait également été l’occasion de distinguer entre fin thérapeutique univoque et conséquence indirecte du partage littéraire : est-ce le partage littéraire des textes ne guérirait pas qu’en tant qu’il ne cherche pas forcément à guérir et à circonscrire ce qui est à guérir ?

[13] Voir l’entretien donné à L’Express et publié le 1er avril 2005, « On ne survit jamais aux camps. Ils sont là pour toujours » (page consultée le 17 mai 2019 : https://www.lexpress.fr/culture/livre/entretien-avec-imre-kertesz_809986.html).

[14] Laurence Kahn, Ce que le nazisme a fait à la psychanalyse, Paris, PUF, « Petite bibliothèque de psychanalyse », 2018, p. 194

[15] Voir l’article d’Hélène Merlin-Kajman, « Enseigner avec civilité ? Trigger warning et problèmes de partage de la littérature », consultation en ligne : http://www.mouvement-transitions.fr/index.php/litterarite/articles/n-4-h-merlin-kajman-enseigner-avec-civilite-trigger-warning-et-problemes-de-partage-de-la-litterature.

[16] Laurence Kahn, Le psychanalyste apathique et le patient postmoderne, op. cit., p. 136

[17] Ibid., p. 129

[18] On comprendrait « monde interne » comme « monde », univers du livre. Le mot de « monde » reste donc métaphorique mais le comparé change.

[19] Cela a été noté par Tiphaine Pocquet en séance de préparation à propos de Laurence Kahn et de Kertész le 14 novembre 2018. Tiphaine Pocquet parlait d’« entremêlement des voix » et soulignait le contraste entre cette façon d’écrire et certaines théories de Laurence Kahn.

[20] Voir Hélène Merlin-Kajman, L’Animal ensorcelé, op. cit., p. 401-404.

 

 

 

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