Hélène Merlin-Kajman
09 juin 2012
Serge Daney
Le 12 juin 1992, Serge Daney, critique de cinéma et théoricien de l’image, mourait des suites du sida. Il était né en 1944. J’aime à imaginer que notre mouvement l’aurait intéressé : pour ce qui me concerne, Transitions lui doit indirectement quelque chose. En hommage, voici un texte inédit écrit juste après sa mort.
Cette semaine, Daphné, dont nous publions la réponse au questionnaire, livre un témoignage important qui concerne la question du contresens, abordé ici même dans la rubrique « Intensités » : à la question « Le fait d’expliquer un texte est-il, selon vous, [...] un appauvrissement ? », elle répond : « Non. Sauf si l’on pense qu’il y a une vérité du texte ; c’est réducteur et dangereux pour les lecteurs, après on angoisse de ne pas comprendre ».
Quelle est cette angoisse, et les enseignants peuvent-ils, doivent-ils la reconnaître ?
La question mériterait peut-être d’être creusée. Ne faudrait-il pas que la parole, même celle de l’enseignant, s’ancre toujours un peu dans la région de l’aleph évoquée par Gershom Scholem, citation commentée dans l’exergue de cette semaine par Dionys Del Planey ?
Il peut paraître abusif, voire dangereux, de sembler placer de la sorte l'enseignement sous le signe de la mystique. Mais il ne s'agit pas d'inciter par là les enseignants à cultiver le charisme. C'est même le contraire : eux qui, face aux élèves, détiennent le savoir, devraient cependant ne jamais oublier que le véritable savoir tire son autorité d'une capacité, chez le « savant », à s'en dessaisir - à être dessaisi.
Transmettre, ce serait d'abord pouvoir être saisi - en alerte de la merveille.
Ou, pour le dire avec Serge Daney, « ne pas toujours remplacer ce qui nous excède par ce qui nous arrange », savoir « vivre avec de l'antagonisme, de l'irrésolu, de l'inconciliable ». Et l'on rejoint alors l'enjeu de la lettre de Kateb Yacine à Albert Camus concernant leur « discorde » au moment de la guerre d'Algérie, citée ici et commentée par Catherine Brun à l'occasion de l'exposition qu'elle et Olivier Penot-Lacassagne consacrent aux intellectuels face à la guerre d'Algérie.