Hélène Merlin-Kajman
03 juillet 2021
Un programme de perplexités
Et voici l’été – un été (un peu ? ou à peine?) plus sûr que l’été dernier. Notre sablier est né du confinement. En portera-t-il définitivement la trace ? C’est bien probable. Guido Furci choisit souvent sa forme pour écrire. Quand on lit celui d’aujourd’hui, toujours empreint de l’humour perplexe, discrètement chaotique et mélancolique, qui le caractérise, on se dit plutôt que le confinement était vraiment fait pour faire ressortir les penchants absurdes de notre époque…
Nous avons reçu vendredi 18 juin, lors de notre séminaire consacré à la question de « la lecture minoritaire », Gérald Sfez. Il nous a éclairés sur la position de Jean-François Lyotard, et nous avons discuté la question de savoir si, et en quel sens, l’enfance pouvait se comprendre à partir de cette catégorie-là. Sa venue avait été préparée par des conversations critiques portant notamment sur sa définition de l’infantia et ce que Gérald Sfez en soutient, ainsi que sur l’étrange « langue romanesque » que Lyotard prête à l’enfant, vu plutôt sous l’angle de la « petite fille » et de « ses chiffons » (figure de l’écrivain). Après Augustin Leroy et moi-même, Natacha Israël interroge ces paradigmes en repartant de Freud et propose d’envisager, à côté d’une langue d’enfance et d’une langue adulte, la spécificité d’une langue d’adolescence. Sans doute aurons-nous l’occasion de creuser ces pistes en reprenant le séminaire l’an prochain.
Est-il vrai qu'il n'y a que la vérité qui blesse ? Encore des réponses perplexes, de Benjamin Antzenberger et de moi-même, à cette question. Nos adages sont plein de fissures : c’est ainsi, par hypothèse, qu’on passe de la morale à l’éthique. La perplexité, décidément, convient bien au mouvement Transitions. Parce qu’il y a tant de bruit autour de nous, dans cette culture que Winnicott, étourdiment, voyait toute transitionnelle ! Et il est à coup sûr difficile de faire émerger des désaccords perplexes quand on refuse le bruit. Mon article, qui dit mon désaccord avec le livre d’Eliane Viennot, Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin, est motivé par mon étonnement devant son bruit. Bien sûr que je ne crois pas que le masculin l’emporte sur le féminin ! Mais aucune conviction ne devrait sacrifier à la facilité du slogan. C’est même ma fierté de femme que d’essayer par tous les moyens de contribuer à ce que nous devenions, collectivement, un peu plus intelligents et un peu plus prudents qu’hier…
Ah, et nos belles saynètes du jour ! Le texte de Tozzi, étonnant jusqu’au malaise, a continué d’inspirer : Natacha Israël et Michèle Rosellini ont complété les commentaires du mois dernier de Guido Furci et de Brice Tabeling. Ce mois-ci, Madame de Sévigné, l’infatigable correspondante de sa fille que la postérité, ou plutôt ses héritiers, ont rendu muette, nous a aspirés dans ses abîmes, ici discrets mais d’autant plus fascinants : ce qui donne deux commentaires vertigineusement différents. Et comme je suis l’auteure de l’un des deux, et dix-septiémiste de surcroît, je peux bien avouer publiquement que celui d’Augustin Leroy m’a rendue vraiment jalouse ! Au-delà de sa pertinence et de sa justesse propres, il prouve qu’à Transitions, nous sommes capables, toutes générations confondues, de conjuguer des méthodes critiques formelles rigoureuses et notre plaisir de lire, afin de nous l’expliquer et de le communiquer mieux…
Alors, bonne lecture – et bon été...
H. M.-K..
Prochaine saynète : un texte posthume de Roland Barthes.
Prochain adage : « Après moi le déluge ».
Prochaine conversation critique : un texte de Didier Eribon.