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Hélène Merlin-Kajman

04 mars 2012

 

Géométrie variable (2)

 

Né en 1613, Henri de Campion, dont Virginie Huguenin a imaginé les réponses au questionnaire sur la littérature proposé par Transitions, a écrit des Mémoires qui n'étaient pas destinés à la publication, à une époque où la littérature n'existait pas encore, du moins pas au sens où le XIXe et le XXe siècle ont entendu le mot. Double incongruité, donc, que de le tenir pour un écrivain et de lui prêter des réponses à des questions portant sur un objet discursif qu'il ne pouvait imaginer.

Pourtant, ce guerrier écrit dans un rapport au temps si profondément bouleversé par la perte de la fille qu'il adorait, son texte est si profondément marqué par une adresse débordant de loin ses destinataires avoués, qu'il est impossible, en le lisant, de ne pas avoir le sentiment que c'est à nous qu'il parle, nous que sa voix visait. Distance poignante, magiquement supprimée par la lecture.

« Littérature » : c'est, à ce phénomène, le nom que nous donnons aujourd'hui, c'est lui que réfléchit et diffracte le pastiche, d'emblée de géométrie variable. Le pastiche honore le temps : il dit la fragile rencontre des morts et des vivants. La vie se reconnaît creusée d'une différence : fiction littéraire, ou nécessaire vérité ? Ou les deux ?

Et la géométrie variable a encore ses variations, évidemment. La semaine dernière, le neurobiologiste Alain Prochiantz rappelait, sous le nom de littérature, le rôle de l'imagination et du langage naturel dans la découverte scientifique. Cette semaine, c'est la science elle-même que l'astrophysicien Aurélien Barrau place dans l'orbite de la littérature, l'une et l'autre découvrant, selon lui, des mondes possibles. La semaine dernière, Bruno Chaouat suggérait qu'il fallait  prendre à la lettre la volonté de Céline (cas exactement opposé à celui de Campion) de destruction de la littérature. Mais aujourd'hui, dans sa réponse au questionnaire, Jean Monamy rapporte son premier « vertige littéraire » à la lecture, à quinze ans, du Voyage au bout de la nuit.

De telles divergences, voire de tels désaccords, défieraient la recherche d'un consensus si nous voulions en construire un. Mais tel n'est pas notre but.

Parfois, nous cherchons à dessiner les conditions d'un nouveau partage littéraire ; d'autres fois, simplement à sonder toutes les résonances que le mot, l'idée, rendent aujourd'hui. L'un et l'autre ne se recoupent pas entièrement, car le premier engagera des positions là où le second est de pur accueil. Mais à elles deux, ces fins créent peu à peu les conditions d'un nouveau débat.

Enfin - troisième plan ? -, l'exergue d'Antoine Pignot commentant une citation de Leo Spitzer sur l'art de la transition chez La Fontaine nous rappelle que notre intérêt pour les transitions, lui aussi, est à géométrie variable : du détail particulier d'un texte aux problématiques les plus englobantes...

 


 

 

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