Séminaire
Séance du 13 mai 2013
Préambule
Ce qui intéresse Florence Goyet dans l’épopée, c’est le travail épique. L’affirmation n’a rien d’une évidence. Car il s’agit par là de ne pas s’en tenir au genre comme monument, et même de ne pas s’en tenir au genre tout court, puisque ce travail épique peut, selon elle, s’opérer dans d’autres genres. Le « travail épique », c’est la capacité d’un texte à « penser sans concept », à « penser le politique » de manière inégalable par des récits qui « prennent le relais quand il n’est plus possible de rendre compte du monde » pour proposer des solutions qui ne seront visibles qu’a posteriori.
Cette capacité à accueillir les questions, les apories, la confusion, pourrait faire de ce travail épique l’emblème du fonctionnement de la littérature en général. Mais que gagne-t-on ou que perd-on à égaliser les genres au nom de ce dénominateur commun ? La qualité polyphonique de l’épopée, c’est-à-dire son aptitude à tenir ensemble comme autant de vérités des discours que tout oppose, semble ainsi imposer un rapprochement avec le théâtre. Mais s'agit-il de la même chose ?
Un des enjeux est de séparer l’épopée de la légende (C. Puech) parce qu’à la différence de celle-ci, qui constitue son matériau, elle « redonne du jeu » (F. Goyet), elle relance des questions – ce qui la rapproche alors du mythe. Mais on peut avoir envie de distinguer mythe et théâtre, de distinguer les textes qui proposent des réponses, même confuses, même différées, à ceux qui « empêchent d’oublier qu’une partie des affaires humaines est aporétique » (H. Merlin-Kajman).
Il y a donc encore bien des nuances dans ce demi-jour, dans cette confusion qui caractérise l’épopée et peut-être la littérature. Ici, une nuance qui a déjà retenu notre attention, cruciale pour définir ce que nous entendons par « transition » : celle qui existe entre le transitif et le transitionnel.
S. N.
Florence Goyet, Professeur à Grenoble III, est comparatiste (russe, japonais, anglais, italien, allemand et plusieurs langues anciennes), ses travaux portent sur le rôle intellectuel et politique de la littérature dans ses rapports avec la polyphonie (Bakhtine). Ouvrages: La Nouvelle, 1870-1925, PUF, 1993; The Classic Short Story 1870-1925. Theory of a Genre (Open Book Publishers, Cambridge - UK, 2014) est en téléchargement gratuit à l'initiative de l'éditeur, sur la plateforme Unglue.it, Penser sans concepts. Fonction de l'épopée guerrière, Paris, Champion, 2006, étude fouillée, dans le texte, de l'Iliade, la Chanson de Roland, les Hôgen et Heiji monogatari.
Rencontre avec Florence Goyet
Définir l'épopée, définir la littérature
05/07/2014
Présents : Victor Beguin, Marie-Hélène Boblet, Samuel Estier, Linda Farès, Jacob Granger, Virginie Huguenin, David Kajman, Hélène Merlin-Kajman, Sarah Mouline, Sarah Nancy, Tiphaine Pocquet, Christian Puech, Jean-Louis Repelski, Madeleine Savart, Gérald Sfez, Léo Stambul, Brice Tabeling, Manon Worms.
Plan de la séance :
Ouverture par Hélène Merlin-Kajman
00 : 04 : 05 Exposé de Florence Goyet
01 : 30 : 34 Question d’Hélène Merlin-Kajman : Tu arrives à un éloge de l’épopée qui fait modèle pour la littérature. Mais qu’est-ce qui se passe si on en vient à pouvoir faire l’éloge de tous les genres ?
Est-ce qu’on peut être nostalgique de discours qui donnent des réponses ? Quelle est selon toi la différence entre mythe et épopée ?
01 : 49 : 20 Question d’Hélène Merlin-Kajman : Pour Bakhtine, le dialogisme est du coté du roman, par différence avec l’épopée. Or tu as mis l’épopée de ce côté, donc du côté du théâtre. Mais peut-on vraiment dire du théâtre ce que tu dis de l’épopée ?
01 : 06 : 22 Question de Sarah Nancy : Puisque ces textes se caractérisent par leur « auralité », qu’est-ce qui nous touche aujourd’hui chez eux ? Est-ce ce qu’on pressent en eux de solution ou au contraire leur obscurité ?
01 : 14 : 51 Question de Brice Tabeling : Pour qui l’épopée crée-t-elle du nouveau politique ? Pour la communauté qui l’écrit et l’écoute – et dans ce cas, à quel moment cette fonction est-elle reconnue dans l’épopée ? Ou pour l’interprète, qui va chercher dans le texte quelque chose qui adviendra plus tard ?
01 : 21 : 25 Question de Christian Puech : Est-ce que vous admettez une différence entre épopée et légende ? J’ai l’impression que la tendance est à réhabiliter épopée comme quelque chose qui serait toujours vivant, et qu’on réduit alors la différence entre épopée et mythe, notamment avec cette idée de répétition.
01 : 41 : 36 Question de Mathilde Faugère : Vous avez évoqué la possibilité d’un travail épique aujourd’hui. Qu’est-ce qui se joue alors par rapport à l’ « auralité », au « sans concept », à la pluralité des œuvres ?
01 : 51 : 41 Jean-Louis Repelski : Comment comprenez-vous le fait que dans l’Iliade, l’« embrasement » de la société, pour reprendre votre terme, vient d’un personnage qui n’apparaît qu’une seule fois : Thersite ?
Seriez-vous d’accord pour ajouter aux caractéristiques de l’épopée le recours et la nostalgie ?
Œuvres et auteurs cités dans la discussion
Chanson de Roland
Hôgen et Heiji monogatari
Chanson des Nibelungen
John Folley
L’Iliade
Les fils de Pisistrate
Le Cid
Ernst Jünger, Traité du rebelle, ou le recours aux forêts
Ahmadou Kourouma
Patrick Chamoiseau
Léon Tolstoï
Richard Wagner
Wajdi Mouawad
John Ronald Reuel Tolkien
Lucain, La Pharsale
Louis Marin
Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet, Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Paris, F. Maspéro, 1972.
Claude Lévi-Strauss
Marcel Griaule
Jean Rouche
Robert Brasillach
Thierry Maulnier
Mikhaïl Bakhtine
Dostoïevski, Les Carnets du sous-sol
Dostoïevski, L’Idiot
Tzvetan Todorov
Anton Tchekhov
Georges Dumézil
Solon
Sigmund Freud, De l’interprétation des rêves
Cervantes, Don Quichotte
Marta Boni, Romanzo Criminale : Transmedia and Beyond, Edizioni universitarie Ca' Foscari, Venezia, 2013.
Thomas Mann
Theodor Adorno
Joseph Bédier
Games of Thrones (série de D. Benioff et D. B. Weiss)