Séminaire
Séance du 13 juin 2013
Préambule
La rencontre avec Jean-Nicolas Illouz, alors membre de Transitions depuis peu, était une rencontre en un sens plus large que d’ordinaire. Car Jean-Nicolas Illouz est venu à la rencontre de nos questions avec une piste : Mallarmé est-il un poète transitionnel ? Et il a envisagé cette hypothèse sous quatre angles :
1. Mallarmé serait transitionnel dans sa pensée de la communauté, parce qu’il met en œuvre une forme nouvelle de communauté littéraire et artistique.
2. Il serait transitionnel dans le relais qu’il opère entre tradition et modernité.
3. Il serait transitionnel par la fonction qu’il confère au livre une fois celui-ci publié.
4. Enfin (et surtout ?), il serait transitionnel par la lecture créatrice que son œuvre appelle nécessairement.
H. M.-K.
Jean-Nicolas Illouz est professeur de littérature française à l'université Paris VIII – Vincennes-Saint-Denis, auteur notamment de Nerval, Le « rêveur en prose » : Imaginaire et écriture, PUF, « Ecrivains », (1997) ; Le Symbolisme, Le Livre de Poche, coll. « Références » (2004).
Rencontre avec Jean-Nicolas Illouz
12/09/2015
Présents : Anne Régent-Susini, Yannis Henry, Samuel Estier, Ningjun Zhuang, Tiphaine Pocquet, Adrien Chassain, Brice Tabeling, Denis Roche, Jacob Granger, David Kajman, Marie-Hélène Boblet, Sarah Nancy, Mathilde Faugère, Eve-Marie Rollinat.
Plan de la séance :
0:00 -> 3:09 : présentation H. Merlin-Kajman.
3 :09 -> 55 :43 : exposé de J.-N. Illouz.
55 :45 : (H. Merlin-Kajman) On n’a pas l’habitude d’applaudir ; mais j’en senti très fort la nécessité. J’ai trouvé extraordinaire ton article sur les vers de circonstance de Mallarmé, où tu expliques bien qu’ils étaient de vraies lettres, de vraies adresses avec deux destinataires : celui de la lettre, et le facteur qui devait – et savait – déchiffrer ces vers. Dans cet article auquel je fais allusion, tu dis souvent que Mallarmé convoque ironiquement la communauté, la littérature, et je me suis demandé comment tu définirais l’ironie et comment tu la situerais par rapport au déconstructionnisme; ensuite, comment ce serait si on se passait de ces catégories, dont il me semble que tu les emploies pour concéder que Mallarmé est moderne au sens où on dit que les avant-gardes et les postmodernes sont modernes. Donc, bien sûr, je ne parle pas de l’ironie du XVIIIe siècle. Et à mes yeux, ce n’est pas la même chose de parler de légèreté, et de parler de retournement critique. Au XVIIe siècle par exemple, il y a de l’ironie mais ce n’est pas l’enjeu critique majeur. Plus généralement, il me semble que la littérarité se produit par un décollement du langage, qui n'est pas fatalement ironique; et que ce décollement du langage s'explique au minimum par la dimension du don, du lien.
1 :10 :43 : (H. Merlin-Kajman) Je me demande seulement : gagnerait-on quelque chose à, je ne dirais pas éliminer ce repérage que tu fais de l’ironie de Mallarmé, mais à ne pas la mettre en avant ?
1 :14 :05 : (B. Tabeling) J’avais été frappé également dans vos articles par ce recours à l’ironie, qui permettrait à la communauté de ne pas être souveraine. Il me semble au contraire que l’ironie est peut-être ce qui a constamment relativisé toute forme d’absolu littéraire, parce que l’une de ses valeurs n’est pas du tout de suspendre les relations communautaires, mais au contraire de renforcer ces liens. Dans un des textes de Nancy que vous citez, on lit que l’art, on l’a toujours abordé soit du point de vue technique (plusieurs arts), soit du point de vue du sublime (un seul art). Il ne me semble pas que Mallarmé soit dans le pluriel, mais que c’est à l’intérieur du sublime qu’il va essayer de chercher la diversité. A propos donc de l’effort de négation de tout ce qu’il y aurait d’absolu chez Mallarmé, peut-on proposer une interprétation qui, sans remettre en cause les différents éléments que vous avez apportés, aussi bien dans l’ironie comme négation de la négation et comme passage entre les différents arts, fonctionnerait à l'inverse ?
1 :21 :53 : (S. Nancy) Même si votre texte est très rigoureux et documenté, on sent constamment une décision d’interprétation, qui est très belle, d’ailleurs. Mais cette décision me renvoie à une question déjà posée : celle de l’effet transitionnel entre l’œuvre et le regard, ou plutôt entre l’œuvre et l’oreille. Qu’est-ce qui se passe là ? Vous êtes à la fois interprète rigoureux de l’œuvre et vous êtes dans l’œuvre ! Qu’est-ce que se produit entre ce que l’œuvre produit et le regard qu’on veut porter sur elle ?
1 :32 :11 : (A. Régent-Susini) Tout à l’heure vous avez dit qu’il y a un va-et-vient entre la transitionnalité de Mallarmé et, au contraire, un effet d’intimidation. Je me demandais si ce va-et-vient était vraiment du coté de l’ironie. Ne seraitil pas plutôt lié à une posture d’autorité problématique, peut-être un côté religieux de sa parole, dans le sens où la parole religieuse semble toujours manquer de quelque chose, comme la parole de Mallarmé manque toujours d’un centre.
1 :39 :11 : (A. Chassain) La question du commun ne naît-elle pas du mouvement d’abstraction extrême de la situation concrète très matérielle, quotidienne, des poètes (ce serait l'aspect transitif de l’œuvre de Mallarmé) ? Donc je me demande si la question du commun ne se pose pas à partir d’une lecture concrète de Mallarmé : est-ce que vous seriez d’accord pour envisager ce type de processus qui va vers l’abstraction, mais qui part comme un mouvement du concret que Mallarmé développe de façon langagière (à travers sa poésie), et que dans cette dépersonnalisation, il y aurait, dans sa poétique, un début de quelque chose qui vise la communauté, le concret ?
1 :44 :32 : (E.-M. Rollinat) Parlons des représentations théâtrales. Visiblement Mallarmé s’intéressait au théâtre, il était en rupture avec la question de la mimésis, est-ce que tu peux préciser ces choses-là, d’une part, par rapport à la mimésis, de l’autre, dans le rapport entre la scène et la salle, et le rapport de l’auteur au « performeur », surtout à propos de la représentation du rien ?
1 :49 :20 : ( H. Merlin-Kajman) Quand tu rapproches Mallarmé de l’impressionnisme en disant que l’impressionnisme reconduit tout à la lumière comme Mallarmé reconduit tout au langage, je te suis très volontiers. Mais cela, selon moi, est incompatible avec l’ironie. Et dans un texte comme Crayonné au théâtre, l’opacité du style de Mallarmé n’est pas simplement celle de la lumière impressionniste: elle charme, elle intimide. Il me semble que dans l’histoire de la pensée (je pense par exemple à Mascolo – ou à Lacan !), il y a eu une incidence énorme de Mallarmé. Certes, on retombe peut-être sur la question de l’ironie, et des romantiques, pour lesquels poésie et théorie ne sont pas différentes. Mais il n’y a pas seulement la force d’intimidation d’un poète comme lui, il y a aussi une force d’enchantement qui pousse les lecteurs à l’imiter quand ils écrivent.