Séminaire
Séance du 4 mai 2015
Préambule
Associer la réflexion sur la civilité (ou, de façon plus générale la convivialité) à la réflexion sur la littérarité : Gérald Sfez aborde la question à partir de la pensée de Jean-François Lyotard, c'est-à-dire à partir d'une pensée qui fait très exactement boîter les deux termes à l'aide du concept de « différend ». Ce n'est pas la première fois que Gérald Sfez nous alerte ainsi sur les décrochements et déchirements qu'une idée trop polie (trop carrée, trop décente, trop aimable, mais aussi bien trop structurale, etc.) tant de la civilité que de la littérarité, sous les auspices de la transitionnalité, risquerait d'éluder. Les enjeux de la transmission de la littérature s'approfondissent : sans rien perdre de leur importance et de leur urgence, ils sont ici dégagés en-dehors de tout appel humaniste. Voici qui nous aide aussi à défendre la littérature (un idiome incontournable, peu importe son nom puisque ses enjeux se jouent à la limite, voire en dehors, de l'institué) en dehors de la scénographie pesante, voire déprimante, de la « crise des humanités ».
Gérald Sfez est professeur de philosophie (Khâgne, lycée La Bruyère de Versailles). Il a écrit de nombreux ouvrages de philosophie, notamment sur Machiavel, Leo Strauss, Jean-François Lyotard. Il est l’auteur de La Langue cherchée (2011), Lyotard (2007), Jean-François Lyotard, la faculté d’une phrase (2000), Machiavel et la politique du moindre mal (1999).
H. M.-K.
Rencontre avec Gérald Sfez
03/10/2015
Civilité et littérarité
Présents : Nada Arida, Carlo Brio, Gilbert Cabasso,Sylvie Cadinot-Romerio, Adrien Chassain, Gabriel Marie d’Avigneau, Lise Forment, Côme Jocteur-Monrozier, Paloma Hidalgo, Alexis Hubert, Augustin Leroy, Hélène Merlin-Kajman, Sarah Nancy, Tomoaki Oguka, Tiphaine Pocquet, Léo Stambul, Brice Tabeling, Anne-Laure Thumerel, Benahia Tin Hinane, Cécile Vaidie.
Plan de la séance :
0:00 --> 2:27 Présentation d’H. Merlin-Kajman
2:28 --> 59:12 Exposé de G. Sfez (vous pouvez également le lire en cliquant ici)
59 :19 --> 1 :06 :25 H. Merlin-Kajman : Plusieurs questions. 1) Je pensais qu’il n’y avait différend que s’il y avait deux idiomes : je n’ai pas compris pourquoi il y a une mise en équivalence d’un idiome et d’un litige. 2) Pourquoi as-tu présenté la dissymétrie entre auteur et lecteur comme exemple évident de différend ? Et pourquoi le différend, dans ce rapport de filiation de l’auteur comme lecteur de son lecteur, serait-il contretemps? 3) Je me suis demandé aussi : quelle est la différence entre l’équivoque et le différend qui suppose la présence de deux idiomes ? Est-ce que l’équivoque est de l’ordre du différend ? 4) enfin : est-ce que tu peux rappeler mieux ce que c’est que la lecture chez Leo Strauss, éclaircir la différence entre « esseulement » et « solitude » et commenter ce que Lyotard dit à ce propos ?
1 :27 :05 --> 1 :27 :52 L. Forment : Je n’arrive pas à comprendre qu’est-ce qu’on partage si, comme dit Lyotard, l’œuvre est le partage de la singularité ? Qu’est-ce qu’on partage s’il n’y a pas de communauté ? Est-ce qu’on partage l’étrangeté intérieure ou l’esseulement? Comment partage-t-on si l’on reste tous dans la singularité ?
1 :33 :35 -_> 1 : 35 :25 B. Tabeling : Dans le différend tel que vous le présentez, je n’ai pas l’impression qu’il y ait une antériorité : on n’a pas besoin d’un récit qui explique pourquoi on a cet événement dont on va chercher à témoigner dans un langage : donc il n’y a pas besoin de chercher cette origine du différend. Mais, quand vous parlez de littérature, là, d’un coup, il y a l’origine.
1 :41 :44 --> 1 :49 :50 H. Merlin-Kajman : Je voudrais revenir à la question de la transition, de la transitionnalité. Je voudrais partir de cette phrase de Lyotard : le silence est le sentiment qui ne trouve pas ses mots : « quelque chose demande d’être mis en phrase » et « chaque phrase demande à être plaidée ». J’ai envie d’évoquer (ce qui serait en transition) les phrases sentimentales : je t’aime. C’est quoi, je t’aime ,dans la logique de Lyotard ? Quel idiome est celui de l’amour ? C’est une manière de dire que la littérature ne se tient peut-être pas intégralement sous le signe du réel au sens lacanien. La phrase, je t’aime, cet idiome, ne demande pas à être plaidée, à mon avis. Je viens alors à l’équivocité : tout le monde, au-delà des définitions, peut se dire d’accord sur le fait que la langue est enveloppée par l’équivocité dont personne ne peut se défaire. Je me permets un troisième rebond : il y a pour moi une petite dissymétrie fondamentale entre le naître et le mourir : l’individu meurt seul mais il ne naît pas seul ! Avec ça je ne veux pas dire qu’il y ait automatiquement un nous, une communauté etc, je dis seulement que cette dissymétrie indique qu’il y a du lien. Or, chaque fois qu’on pense la singularité de l’individu, on le pense comme indivisible (in-dividu). Mais il résulte d’une division. Bref, je ne suis pas sûre que modèle de l’altérité de Lyotard ou de Levinas soit le seul.
1 :57 :45 --> 1 :59 :29 G. Cabasso : Je pensais, à propos du je t’aime, à comment, en lisant Proust, une singularité apparaît, par des effets de différence, et je pensais notamment à la phrase du Temps retrouvé où Proust dit que dans l’amour, le général gît à côté du particulier : cette particularité peut être de l’ordre de l’idiome, et c’est dans cette interstice entre le général et le particulier que la littérature trouve sa place.
Auteurs cités : Heidegger, Derrida, Merleau-Ponty, Harendt, Levinas, Lévy-Strauss, Valéry
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