Juste un poème n° 15
Place Tahrir
Danielle Auby
Jacqueline Lobenberg
22/11/2014
Trente-cinquième nuit
C’était encore le cœur de l’hiver mais le jour et la nuit s’étaient dépliés et chacun de nous, à l’intérieur du jour, à l’intérieur de la nuit, s’était déplié si bien qu’il se trouva la plus grande place de la plus grande ville pour nous recueillir ensemble, jour, nuit et chacun dépliés. Le jour, la nuit, chacun avançait sur la place et la place se dépliait, avançait vers le Nord, vers le Sud, vers l’Ouest et vers l’Est.
Trente-sixième nuit
Au plus noir de la nuit, des pluies d’ombre dansaient et dans le tourbillon montaient des feux, des comètes. La place entière, vue du ciel, bougeait comme un grand animal dont le corps était vaste comme cinq continents avec les cinq mers qui les bordent. L’ombre vibrait, tournait. Nous la gardions au creux des tentes que nous avions dressées pour habiter la place. Chacun à son tour s’étendait un moment tandis que tous les autres veillaient sur son sommeil.
Trente-huitième nuit
A l’aube, venues des quatre coins de la ville, de l’intérieur des terres, après avoir traversé les nuits qui les séparaient de la place, passaient les filles et les femmes en coiffe, en voile, en cheveux, sœurs d’hiver et de mai. Elles se laissaient regarder au visage et puis marchaient dans le soleil.
Quarantième nuit
Dans un pays voisin, les maîtres dégagés, les places changeaient de nom. La Place de Novembre prenait le nom du premier mort de janvier. Et le jasmin servait de titre à toutes les histoires.
Dans un pays voisin, un autre,
un autre encore, - on disait : c’est le printemps qui joue aux dominos ! -
les maîtres remontaient
sur leurs chevaux de bataille.
Champ de la guerre de mars,
sur la Place d’Avril et de Mai,
sur la Place de la Perle,
dans les rues, les quartiers,
dans les maisons, les chambres.
Texte : Danielle Auby
Tableaux : Jacqueline Lobenberg