Les Chats perdus, chapitre 20

 

Résumé des chapitres précédents

Dans le quartier des Pas perdus (qu’on appelle familièrement « quartier des Chats perdus »), des fleurs sont déposées mystérieusement chez les uns ou chez les autres : d’abord chez Furio Rosso, vieil italien retraité qui habite au dernier étage du 11, rue des Clartés ; puis chez Adélie Brancart, la concierge. Enfin, à la crèche tenue par Sacha Prizzi.

Cette dernière fleur a d’abord constitué un mystère. Car si Furio et Adélie n’ont deviné que peu à peu la provenance de « leurs » fleurs, le lecteur sait depuis le chapitre 8 qu’en fait, c’est le groupe un peu gauchiste, un peu anar sur les bords, formé par les compagnons de Sacha, qui agit : outre Sacha, Verlaine, Juliette et Mona travaillent à la crèche ; Hager y est souvent, car elle est son médecin attitré ; Manu, Vincent et Bruno sont les copains respectivement de Sacha, Hager et Mona ; Charly est un vieil ami de Sacha (c’est lui qui fournit les fleurs). La petite bande a décidé de remercier de la sorte des personnes choisies pour la manière qu’ils ont eue de « prendre parti » dans leur vie. Furio Rosso a reçu un lupin « pour avoir participé au collectif Arseno Lupino qui avait notamment écrit un livre sur l’éducation des plus jeunes », livre qui a inspiré le projet de crèche à Sacha et ses copines. Et Adélie Brancart, la concierge, une gueule de loup pour rendre hommage au premier squat qu’elle a créé avant de devenir concierge, et qui portait ce nom-là.

Mais pourquoi, dès lors, une orchidée à la crèche ?         

Dès le dépôt des lupins, Furio est allé porter plainte. L’inspecteur Malik Fall, mis sur la touche par son supérieur hiérarchique en raison de sa lenteur à mener les affaires, s’est lancé dans l’enquête avec tant de rigueur spéculative qu’il a fait naître chez le précédent l’hypothèse qu’il s’agit là d’un dangereux groupe de terroristes. Le commissaire a mis d’autres policiers sur l’enquête – et Malik a prévenu le groupe de Sacha en déposant lui aussi une fleur – et un Playmobil – faisant une sorte de rébus. Une entrevue entre lui et certains du groupe de Sacha a fini de les éclairer sur les dangers qu’ils courent.

Malik n’est pas seul à mener l’enquête, et le groupe de Sacha, pas seul à s’inquiéter. Lydia Brancart, la fille de la concierge, et son amie Rosalie, fille d’une peste de l’immeuble, Huguette Charis, professeur Agrégée de grammaire et présidente de l'Association culturelle des Pas Perdus. Lydia et Rosalie ont eu vent de ces fleurs, et décident d’enquêter sur le mystère. Elles sont par ailleurs amies d’Aglaé, fille d’Anselme Frey, un vulcanologue-volcanologue qui se trouve aussi l’ami d’un autre habitant de l’immeuble, Éric Dupont : les fillettes ont accès aux mails échangés entre les deux hommes et interprètent à tort et à travers les « indices » dont ces mails sont remplis.

Le premier lieu où chacun cherche des informations est le magasin de Sarah Madamet, l’ancienne éditrice récemment reconvertie dans les fleurs, fleurs rêvées et fleurs vendues qui lui font souvent vivre une sorte de cauchemar éveillé : il se trouve que Bruno, le copain de Mona, est aussi son associé.

Le chapitre 17 était consacré à la rencontre entre Malik Fall d’un côté, et Sacha, Mona et Vincent de l’autre. Au chapitre 18 a été annoncé qu’une fête allait se dérouler au 11, rue des Clartés, parallèle à la fête de la Musique et organisée par Huguette Charis – et que cette dernière a notamment demandé aux membres de la crèche de prévoir un spectacle pour occuper les enfants.

 

 



Qui que quoi dont où

 

Barbara Kadabra

OU

Carlo Brio

François Cornilliat

Florence Dumora

David Kajman

Hélène Merlin-Kajman

Brice Tabeling

10/02/2018

 

 

De : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

A : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Date : 22 juin 2017 17 : 08 UTC+2

Objet : Scoop

Dommage que tu ne sois pas venue à la fête rue des Clartés : le spectacle des jeunes de la crèche était un vrai travail de pro. Évidemment Aglaé veut devenir actrice, maintenant. Ca a mis le quartier en émoi – et même attiré des extérieurs : figure-toi que j’y ai revu les deux flics de la semaine dernière, scotchés au premier rang (ce qui a fait son petit effet dans le public, aussi : il y a eu un sacré remue-ménage, du côté de Furio Rosso.) En tout cas il était manifestement question dans le spectacle même du mystère du quartier, tu sais, celui des fleurs-anonymes, tous ces jeunes ont l’air parfaitement au courant, voire directement impliqués, et font une sorte de coming out en scène devant les intéressés. Je ne sais pas s’ils avaient prévu qu’il y aurait aussi une délégation de police ! Il faut que je demande à Eric s’il y a eu des rebondissements depuis : quand je l’ai quitté Ophélie et lui discutaient dans un petit groupe, avec Furio et Adélie – si je l’ai bien reconnue, tout le monde était déguisé. Moi quand j’ai vu les deux flics (ceux-là on ne peut pas les rater, surtout le grand : imagine Jacques Tati essayant de se déguiser) je me suis fait discret. Vu qu’il avait tenu à me faire dire que je ne venais pas souvent dans le quartier, j’étais assez content d’avoir ma casquette et ma barbe : Aglaé m’avait obligé à me déguiser en Capitaine Haddock pour qu’on comprenne bien, malgré ses cheveux jusqu’aux fesses, qu’elle était déguisée en Tintin.

Pendant le cocktail avant le spectacle, j’avais déjà eu des émotions : la gamine que tu connais, Lydia la fille d’Adélie, est venue me voir déguisée en Dupont/Dupond avec moustache, cravate, canne, chapeau melon, et sœur siamoise un peu plus loin. Je lui ai demandé si elle connaissait le moyen de différencier Dupond et Dupont, mais malgré les apparences elle n’avait pas du tout envie de parler de Tintin. Elle m’a regardé droit dans les yeux et elle m’a dit qu’elle savait tout, puis, comme je ne comprenais pas, qu’elle savait tout de ma « double profession », d’un air entendu. J’ai été surpris qu’elle soit au courant de mes activités chez Michelin, vu qu’Aglaé elle-même n’a pas bien compris que je n’étais pas que volcanologue. J’ai confirmé, j’ai dit que ça arrive fréquemment qu’on ait deux métiers, mais que forcément au bout d’un moment il y en a un qu’on préfère ; bref je lui ai parlé comme à une gamine. Mais elle a insisté, et d’un air sérieux derrière sa moustache, elle m’a fait remarquer qu’entre mes deux métiers, il y en avait un plus dangereux que l’autre. C’est toujours pareil, les enfants croient que les volcanologues passent leur temps dans les cratères en fusion : j’ai dit que ce n’était pas si dangereux que ça, qu’il y a des règles de sécurité à respecter, et qu’une grande part du travail consiste quand même en analyses des données recueillies sur le terrain. C’est là qu’elle m’a dit : « Mais vous avez forcément affaire à des gens qui ne respectent pas les règles, il n’y a qu’à voir l’affaire du sceptre ». L’affaire du sceptre ? comme j’étais interloqué et que je me demandais si finalement elle en venait à Tintin, elle a précisé : « du poignard royal, en Indonésie ». Le poignard royal en Indonésie !!! Ça, ce n’était plus du Tintin. Comment une collégienne, qui vient m’écouter sur les volcans pour son exposé, est-elle au courant du fait que j’ai subtilisé un poignard dans un hôtel de luxe à Bondosowo, Java ? 1 Je t’assure, je n’en croyais pas mes oreilles, d’abord j’ai cru que j’avais trop bu, mais je n’avais rien bu du tout, je déteste le ponch, puis subitement je t’ai soupçonnée, toi ma propre sœur, d’avoir trahi à la fois ton aîné et le secret de la confession… Mais là, nouveau scoop, la gamine me dit qu’elle avait été rassurée la semaine dernière que j’aille moi-même en parler à la police. Cette fois j’ai voulu en avoir le cœur net : j’allais la mettre en tort, gentiment et fermement - « vous n’êtes pas un des deux Dupont, vous êtes une vraie espionne ! » - mais je n’ai pas eu le temps d’en placer une : le vrai Dupont, Eric, déguisé en Proust sous prétexte qu’il s’était accroché un vague cattleya à la boutonnière, s’est approché pour saluer sa jeune homonyme en chapeau melon, qui a fait mine de se retirer en me soufflant d’un air encore plus sérieux : « vous devriez faire attention, professeur, à vos amis les plus proches. Après tout, eux aussi, leur métier, ça peut être une couverture ! » Et elle a tourné les talons.

Je vais te dire une chose : je crois que ça m’a guéri. J’ai pris un verre de ponch avec Dupont et j’ai fait un vœu. Fini, mille milliards de mille sabords, l’escamotage des fines lames en série : plus le moindre petit ciseau à ongles !

 

De : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

A : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Date : 22 juin 2017 18 / 07 UTC+2

Objet : re : Scoop

Mon frère chéri, ta décision t’honore. Je dirai même plus : pour ce qui est des ciseaux à ongles, elle ne te privera pas trop : quand j’ai voulu couper les ongles à Aglaé, chez toi, j’en ai trouvé une bonne vingtaine dans la commode de la salle de bain (dans le lot il devait bien y en avoir à moi). Quant à tes soupçons ils font injure à ma discrétion. Je n’ai évidemment rien raconté aux filles sur Java, mais peut-être qu’on en a parlé au téléphone tous les deux, qu’elles ont compris de travers et imaginé tout un tas de choses. Vu le côté roman-feuilleton que prennent tes derniers mails, je vois bien qu’au fond tout ça t’amuse. Et si ta résolution tient, ça t’épargne au moins trente séances de psychanalyse et des choses très désagréables sur les sécateurs, les ananas rouges et le complexe de castration.

Apparemment Lydia et Rosalie faisaient fausse route sur l’affaire des fleurs, d’après ce que tu me racontes du spectacle. Elles accusent ton grand copain Dupont de cacher son jeu, et tu sais, je comprends leurs soupçons vis-à-vis d’Eric et Ophélie. Je ne sais pas où ces deux-là dénichent leur marchandise. Si je n’avais pas peur de les mettre en difficulté, je donnerais bien le Vulcain et Flore qu’ils m’ont confié pour expertise 2 à un professionnel. Tu m’as bien dit qu’ils avaient de l’obsidienne provenant de sites archéologiques en guerre ? Ça ne m’a pas l’air d’une parfaite déontologie. La toile date du XVIIIe siècle, j’ai fait analyser l’enduit. Je ne pense pas qu’Eric soit au courant ni du sens, ni de la valeur du tableau : mais comment l’a-t-il eu en mains ?

 

De: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

À: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Date: 22 juin 2017 18 :31 UTC+2

Objet: Club des fleurs trouvées

Coucou Lydia,

Est-ce que tu viens avec moi écouter la conférence d’Anselme Frey sur le volcanisme martien ? On dirait qu’il avoue que son métier de volcanologue n’est pas sérieux, mais j’ai regardé sur Internet, il y a bien des volcans sur Mars (il y en a même vingt-deux), au moins il n’a pas inventé ça ! C’est mercredi prochain. On pourra aller lui reparler de la fête et de tout ce qui s’est passé ensuite, et lui demander pourquoi il a disparu juste après la pièce.

Biz,

Rosalie

 

De: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

À: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Date: 22 juin 2017 18 : 36 UTC+2

Objet: re : Club des fleurs trouvées

Coucou Roz,

Je suis dégoûtée, je ne pourrai pas venir mercredi, j’ai deux heures de colles et je dois faire de la grammaire. Tu crois que ta mère peut m’aider ? La prof m’a mis 7 en français, avec 1/10 à la question de grammaire. Elle m’a dit qu’il fallait remonter la pente et elle a écrit : « je vous conseille une vieille grammaire : tant que vous confondrez la nature et la fonction des mots, vous aurez ce genre de résultat ». Tout ça parce que je ne savais pas si « que » et « quoi », c’était des pronoms ou des COD ! À quoi ça sert, la nature et la fonction, si on connaît les mots ? C’est comme en techno : depuis le début du semestre on a passé tous les cours sur la différence entre la valeur d’usage et la valeur d’estime, alors que le prof ne sait même pas faire marcher son Powerpoint !!

 

De: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

À: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Date: 22 juin 2017 18 : 45 UTC+2

Objet: re : re : Club des fleurs trouvées

Coucou Lydia,

Je ne te conseille pas de demander à maman de t’aider. Elle va vouloir reprendre les bases et corriger tes fautes une par une. Maintenant elle lit le journal avec un stylo rouge. En ce moment c’est pareil pour moi, c’est la cata en français. L’autre jour j’ai répondu en cours qu’on peut voir qu’au début de l’acte V, la situation d’Alceste n’est pas optimale, et que du coup le monde entier le débecte, la prof m’a arrêtée net. Célimène le trompe, il vient de perdre son procès et il va partir dans le désert : en vrai le désert au XVIIe siècle ça ne doit pas être hyperéquipé, moi c’est ce que j’appelle une situation pas optimale ! Mais la prof dit que « pas optimal » c’est pas du bon français. La prochaine fois je te jure je dirai qu’Alceste il est venere ou qu’il a le seum et on verra si elle préfère !

 

 

1 Le lecteur qui aurait été un brin inattentif peut se reporter ci-dessus, chapitre 10, « Le Sceptre de Kan Ular » (NdE).

2 Le lecteur consommateur de notes de bas de page peut se reporter au chapitre 6, « Vulcain et Flore » (NdE).

Powered by : www.eponim.com - Graphisme : Thierry Mouraux   - Mentions légales                                                                                         Administration