Hélène Merlin-Kajman

18 février 2012

 

Dans son texte portant sur le retour de la rhétorique dans les études littéraires, François Cornilliat s'interrogeait sur l'effet, du point de vue de la transmission des textes, de l'abandon de l'histoire littéraire, celle qui postulait une « forme de solidarité esthétique entre des textes admirables, plus ou moins anciens, et des lecteurs contemporains ». Les textes que nous mettons en ligne cette semaine mettent en évidence la permanence d'une telle solidarité, même si elle n'est plus guère prise en charge par un discours institué.

L'exergue sur le contresens de Lise Forment, qui prend appui sur une phrase de Barthes, rejoint la contribution de Florence Naugrette (21/01/2012) en suggérant que le sens historique d'une oeuvre théâtrale, souvent difficile à définir, ne peut servir de boussole pour produire un spectacle qui nous plaise, et c'est donc en soi, esthétiquement, que se joue l'épreuve du sens en matière de spectacle.

C'est aussi de l'intimité secrète du rapport à la beauté des belles oeuvres, dont l'expérience « déplace le seuil de l'insensibilité », que nous fait part Catherine Brun. Cette intimité est pour elle passée par l'Ecole, qui n'a pas exigé que son secret soit levé ; qui ne doit pas l'exiger, même, nous suggère la réflexion de Catherine Brun.

Solidarité précaire, donc. Affaire d'adresse, de réponse, d'échos. Il faut inventer, quand on enseigne, « des chemins de traverse », nous dit encore Catherine Brun.

Pour nous, c'est aussi par le questionnaire que passe cette solidarité discrète, pudique, le questionnaire auquel répondent J.D. et Laure Mathieu. Auquel vous pouvez tous répondre...

 

 

 

Hélène Merlin-Kajman

11 février 2012

 

Cette semaine, interrogée dans sa radicalité, presque devancée, la littérature ne fait pas de doute. Il est étrange qu'alors, sa question devienne torturante.

L'exergue de Gilbert Cabasso emprunte deux voix, celle de Jean-Claude Milner et celle de Nietzsche, pour dire le tourment d'une alternative placée sous le signe de l'écriture et de l'absolu. Répondant au questionnaire, Jonathan Degenève dit sa préférence pour le « bon qu'à ça » de l'écrivain. L'impressionnante série de « non » à la question « pensez-vous que les genres suivants - rap, slam, chanson, BD, roman politicier, etc. - appartiennent à la littérature ? » de l'anonyme révèle, sur la littérature, une sorte de certitude assez inhabituelle en ce lieu-ci ; enfin, les poèmes « Le dernier mot sauvé par le vent » d'Alain Parrau soulèvent sourdement une violente souffrance sans nous en laisser approcher la source.

Même si aucune de ces voix n'est comparable à l'autre, une nostalgie et un intense espoir d'écriture insistent ainsi - un ton que nous aimons aussi.

Le bémol vient peut-être de la rencontre avec Jean Kaempfer : pourtant placée sous le signe d'un syntagme également radical (« Dislocation de texte »), la réflexion de Jean Kaempfer nous invite à nous interroger sur l'explosion du symbolique que la littérature peut parfois transmettre (certains passages proprement sadiques de Zola par exemple) ; mais, plutôt que de célébrer la jouissance quelle qu'elle soit comme l'a souvent fait la modernité, elle nous propose de les prendre comme l'occasion, dans l'enseignement, de conduire les étudiants au partage esthétique d'un sens commun qui sache s'en détacher, sans pour autant s'abstenir de ces voisinages dangereux.

Des voiles, oui. Mais certainement pas pudibonds ni renégats.

 

 

 

Hélène Merlin-Kajman

28 janvier 2012

 

Enseignants, enseignements

Le manifeste de Transitions se termine sur la différence, empruntée pour l'occasion à un texte célèbre de Walter Benjamin, «  Le conteur », entre l'expérience et l'information  : nous y proposons de placer l'enseignement (les enseignements) du côté de l'expérience, entendue comme le rapport entre ce qui arrive et ce qu'on en peut narrer. C'est une manière pour nous d'évoquer la question de la transmission, qui nous tient à coeur, et de proposer un style de conjugaison  entre le passé et le présent (donc aussi, par là, une figuration de l'avenir) qui ne soit pas de pure information, de pure connaissance.

Cette question, nous n'avons pas l'intention de la poser sans les enseignants eux-mêmes et sans leur expérience. Voilà pourquoi dès la première semaine de l'ouverture du site, on pouvait y trouver un croquis-reportage d'Ivan Gros qui, prenant l'occasion d'une page du journal Le Monde consacrée à l'humiliation des élèves en milieu scolaire, s'interrogeait en retour sur la perte de confiance en soi des enseignants. Voilà encore pourquoi, outre la qualité intrinsèque de son travail, nous avons accueilli Pierre-François Berger avec tant d'enthousiasme.

Cette semaine, nous rencontrons la question de l'enseignement d'une autre façon - et même, de plusieurs autres façons. L'exergue de Stéphanie Burette, actuellement enseignante en collège, commente une phrase de Denis Kambouchner portant sur un concept central de la théorie érasmienne de l'éducation, la repuerescentia. Nick Hammond, chercheur chevronné et enseignant enthousiaste à l'université de Cambridge, répond au questionnaire sur la littérature sans rien éluder de la question de son enseignement. Enfin, la rencontre dont nous publions aujourd'hui le compte-rendu, le 28 novembre 2011, avec Isabelle Guary, professeur de Lettres à Narbonne, et Jean-Louis Jeannelle, enseignant-chercheur à l'université de la Sorbonne, nous a donné l'occasion de réfléchir aux enjeux d'un programme de littérature dans l'enseignement secondaire : la polémique suscitée par la présence des Mémoires de guerre de De Gaulle au programme des Terminales L en 2010-2011 et 2011-2012 en a été l'occasion.

Vous le verrez, les riches exposés d'Isabelle Guary et de Jean-Louis Jeannelle, puis le débat qui les a suivis, ont soulevé de nombreuses et importantes questions. Notamment, celle de la place récente prise par la littérature dite de témoignage dans l'enseignement. Transitions s'intéresse de près à ce type d'enjeu. Nous appelions, dans le manifeste, à trouver des voies - des couleurs - nouvelles pour peindre l'avenir. Quelle place doit avoir le passé pour une telle tâche ? Cet autre débat se dessine à l'horizon du précédent.

Nous espérons le continuer avec tous ; et souhaitons tout particulièrement que ce site devienne un lieu de partage pour tous les enseignants.

 

 

 

Hélène Merlin-Kajman

04 février 2012

 

Juste...

 

« Il y a image, et elle est juste, si elle convoque une familière étrangeté », écrit Marie-Hélène Boblet dans l'article qu'elle consacre à la courtoisie littéraire d'un Jean Paulhan ou d'un André Dhôtel.

Nous aurions pu placer la rubrique « Juste » sous ce signe plutôt que sous celui de la formule de Godard, « pas une image juste, juste une image » ; car Godard se souvenait sans doute davantage du surréalisme que de Paulhan. Mais juste une image, c'est aussi une image qui arrive et s'efface - comme on dit de quelqu'un qu'il s'efface pour donner passage. Juste une image - juste un punctum - un visage penché au-dessus de nous - un sourire ou une inquiétude, sans emphase et en passant - « City lights » d'Antoine Pignot - l'espace d'un discret éclair, une familiarité accélérée, un petit saut qualitatif du regard.

C'est aussi simple que le « Je les respire même » d'Agnès Cambier parlant de ses livres dans sa réponse au questionnaire sur la littérature, auquel, souvenez-vous, chacun est invité à répondre - juste un questionnaire !

Et juste un exergue : cette semaine, « transition » se dit en latin, d'un très beau mot d'Horace expliqué par Nancy Oddo : junctura, ou l'art oscillatoire des liens, liens entre les mots qui sont figures des liens entre les hommes.

La boucle serait-elle bouclée, serions-nous revenus à la courtoisie ? Eh bien,  juste pas !... Ce serait trahir l'hiatus - vous souvenez-vous ?

 

 

 

Hélène Merlin-Kajman

21 janvier 2012

 

 

Nous n'avions pas imaginé, en projetant de faire succéder les deux thèmes de réflexion de la beauté et du contresens, qu'ils se révéleraient étroitement liés. La contribution de Florence Naugrette mise en ligne cette semaine pose une question : « Peut-on parler de contresens de mise en scène ? » et nous invite à chercher dans la beauté le critère de ce que n'est pas un contresens au théâtre : si l'écart en quoi consiste une mise en scène est beau, alors, la question du respect du sens du texte est comme résolue ipso facto.

Oui, dira-t-on, mais qu'est-ce qu'être beau ? La bonne direction (comme on parle de « vie bonne »), ce qui, nous donnant du bonheur sensible, nous oriente bien ? Peut-être en tout cas la qualité d'une adresse, d'un certain souci des spectateurs - ou des lecteurs, des auditeurs, etc.

Pourquoi l'onirique oiseau « ombredindoute » que nous présente aujourd'hui Pierre François Berger est-il beau? Parce que, effleurant notre pudeur, il nous expose (pataud, informe, magique, cocasse, agitant des lettres et des nombres comme des sortilèges d'enfant) et qu'en même temps, nous figurant (nous voilant), il se soucie de nous, donnant forme inattendue à des points névralgiques de nous-mêmes (l'enfer de l'arithmétique ou de l'orthographe, le chaos des chiffres, des mots, de la naissance au langage, des premiers pas...)...

La poésie, alors, plutôt ? L'exergue de cette semaine nous invite à le penser, une citation de Char, non pas développée mais appropriée pour nous par Aude Volpilhac, qui écoute et traduit pour Transitions ce qui « existe préliminairement en traits, en spectre et en vapeur dans le dialogue des êtres » - dialogue que poursuivent aussi les deux réponses de la semaine au questionnaire, de François Pellerin et de Jorane, tandis qu'Helio Milner s'empare d'un adage d'Erasme pour son nouveau « Trope », « Les yeux des loups »...

 

 

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