Hélène Merlin-Kajman

24 mars 2012

 

 

 

Cette semaine, chaque nouvelle publication est remarquable par sa différence.

Le compte-rendu de notre rencontre avec l’historienne Laurence Croq fait dialoguer deux disciplines proches mais souvent méfiantes l’une par rapport à l’autre. Laurence Croq nous raconte les déboires qu’elle a pu avoir au contact des textes littéraires : comment les prendre du point de vue de l’histoire sociale, que disent-ils des faits sociaux du passé ? Faut-il seulement leur poser cette question, leur demander des informations ? Ne faut-il pas plutôt comprendre qu’ils constituent d’irremplaçables témoignages qui donnent corps aux archives, et que leur puissance est surtout une puissance d’évocation ?

L’exergue : une citation de Dante en italien, que commente Brice Tabeling, et qui commence ainsi : « O somma luce che tanto ti levi... » Quoi de plus beau ?

Oui, quoi de plus beau ? Et dans la rubrique « Important », vous trouverez la trace de l’émotion esthétique – en un sens dont j’ignorais la possibilité –, de l’émotion tout court aussi (et de la gratitude), causées par une vidéo vue sur internet, qui relate une expérience chorégraphique menée par des danseurs (la compagnie DK Bel avec le collectif des Yamas) dont certains évoluent – par force – en fauteuils roulants.

Vive les jeunesses, vive la jeunesse ! Celle de Bixiou, vraisemblablement, est en un sens aux antipodes de celle des jeunes danseurs précédents. Le ton de sa réponse au questionnaire est volontairement adolescent, et même provocateur en diable ! Nous l’accueillons avec plaisir, même si au fond, ce n’est pas quand sa provocation verse dans l’excès que nous sommes le plus touchés. Il y a toujours un certain ennui dans la provocation – une musique, presque d’époque, trop connue. Mais malgré son côté « potache postmoderne », Bixiou a de l’entrain, de la sincérité, du talent : merci ! Dommage qu’il soit anonyme : nous aimerions pourvoir l’interpeller personnellement (au reste, cet anonymat si fréquent des réponses au questionnaire continue de nous étonner).

Au-delà de lui, d’autres jeunes lycéens ou étudiants se reconnaîtront-ils dans son ardeur ? A Transitions, nous aimerions nouer le dialogue avec eux, dont on sent bien qu’ils ne sont pas trop disposés à faire confiance au monde – à sa culture transmise.

Cependant, nous sommes un peu intervenus sur le texte de Bixiou. Car une fois, il a outrepassé les limites de ce qui est pour nous une règle d’or : la civilité. Nous avons retiré la réponse dont la grossièreté nous paraissait agresser un contrat de respect interhumain imprescriptible. Et puis, nous avons retiré les smileys et autres signes dont il avait ponctué ses réponses.

C’est que nous proposons ici un pacte de confiance dans le langage. A discuter bien sûr. Lecteurs, vous pouvez nous écrire, entrer en contact avec nous...

 


 

 

 

Hélène Merlin-Kajman

18 mars 2012

 

 

 

Place aux écrivains, cette semaine :

- Joëlle Gardes, que commente l'exergue de Claire Badiou-Monferran ;

Helio Milner, dont vous avez pu lire quelques « Tropes », et qui répond cette fois au questionnaire ;

- enfin, Michel Collot, qui nous offre de la beauté ! de la beauté en vers et en image...

 


 

 

 

Hélène Merlin-Kajman

04 mars 2012

 

Géométrie variable (2)

 

Né en 1613, Henri de Campion, dont Virginie Huguenin a imaginé les réponses au questionnaire sur la littérature proposé par Transitions, a écrit des Mémoires qui n'étaient pas destinés à la publication, à une époque où la littérature n'existait pas encore, du moins pas au sens où le XIXe et le XXe siècle ont entendu le mot. Double incongruité, donc, que de le tenir pour un écrivain et de lui prêter des réponses à des questions portant sur un objet discursif qu'il ne pouvait imaginer.

Pourtant, ce guerrier écrit dans un rapport au temps si profondément bouleversé par la perte de la fille qu'il adorait, son texte est si profondément marqué par une adresse débordant de loin ses destinataires avoués, qu'il est impossible, en le lisant, de ne pas avoir le sentiment que c'est à nous qu'il parle, nous que sa voix visait. Distance poignante, magiquement supprimée par la lecture.

« Littérature » : c'est, à ce phénomène, le nom que nous donnons aujourd'hui, c'est lui que réfléchit et diffracte le pastiche, d'emblée de géométrie variable. Le pastiche honore le temps : il dit la fragile rencontre des morts et des vivants. La vie se reconnaît creusée d'une différence : fiction littéraire, ou nécessaire vérité ? Ou les deux ?

Et la géométrie variable a encore ses variations, évidemment. La semaine dernière, le neurobiologiste Alain Prochiantz rappelait, sous le nom de littérature, le rôle de l'imagination et du langage naturel dans la découverte scientifique. Cette semaine, c'est la science elle-même que l'astrophysicien Aurélien Barrau place dans l'orbite de la littérature, l'une et l'autre découvrant, selon lui, des mondes possibles. La semaine dernière, Bruno Chaouat suggérait qu'il fallait  prendre à la lettre la volonté de Céline (cas exactement opposé à celui de Campion) de destruction de la littérature. Mais aujourd'hui, dans sa réponse au questionnaire, Jean Monamy rapporte son premier « vertige littéraire » à la lecture, à quinze ans, du Voyage au bout de la nuit.

De telles divergences, voire de tels désaccords, défieraient la recherche d'un consensus si nous voulions en construire un. Mais tel n'est pas notre but.

Parfois, nous cherchons à dessiner les conditions d'un nouveau partage littéraire ; d'autres fois, simplement à sonder toutes les résonances que le mot, l'idée, rendent aujourd'hui. L'un et l'autre ne se recoupent pas entièrement, car le premier engagera des positions là où le second est de pur accueil. Mais à elles deux, ces fins créent peu à peu les conditions d'un nouveau débat.

Enfin - troisième plan ? -, l'exergue d'Antoine Pignot commentant une citation de Leo Spitzer sur l'art de la transition chez La Fontaine nous rappelle que notre intérêt pour les transitions, lui aussi, est à géométrie variable : du détail particulier d'un texte aux problématiques les plus englobantes...

 


 

 

 

Hélène Merlin-Kajman

11 mars 2012

 

 

 

L’art des bégaiements évoqué par Linda Farès dans son exergue autour d’une citation de Jean-Luc Lagarce, faisant écho aux hiatus des Mégariques bègues de Patrice Loraux/Brice Tabeling, participerait-il de l’esprit de transition dont la réflexion de Jacques Guilhaumou dégage les traits ? Oui, sans doute, s’il s’agit pour nous d’offrir un lieu où construire « un savoir des possibles ». Non, car faire du bégaiement une sorte de mot d’ordre transitionnel serait le plus absurde des paradoxes.

Il faut se garder de favoriser le développement d’une nouvelle langue de bois – danger qui certainement ne cessera de nous guetter. Il n’en reste pas moins que, comme nous le rappelle opportunément la réflexion de Jacques Guilhaumou, nous sommes aujourd’hui dans la nécessité de nous placer dans la perspective d’une transition historique, dans laquelle la littérature aurait un rôle central à jouer – et d’abord, l’amour de la littérature, sans fausse pudeur ni fausse prétention, comme la voix discrètement véhémente de Marc Hersant nous le fait entendre.


 

 

 

Hélène Merlin-Kajman

25 février 2012

 

Géométrie variable

 

La littérature est à géométrie variable. La proposition n'est pas une manière relativiste d'éluder les questions, comme le montrent bien les réponses au questionnaire (cette semaine, celle de Marie-Hélène), qui malgré leurs variations, s'organisent toutes autour d'une seule conviction.

Géométrie variable, d'abord, par ses voisinages, comme nous l'a appris Pierre François Berger qui, avec Nombredindoute, poursuit ici la familiarisation des mathématiques et de la littérature. En effet, on le mesure en lisant comme un ensemble les textes, et même la photo de Soroche Del Planey, que nous mettons en ligne cette semaine.

La recherche et l'œuvre d'Alain Prochiantz, neurobiologiste, donnent à la littérature une extension maximale. Car pour lui, elle nomme ce qui, dans sa pratique, est « de la science sur un autre tempo » - « la science nocturne ». Signalant ainsi l'importance de l'imagination dans l'invention scientifique, elle en constitue le moyen et le symptôme. Or, cette expérience de la littérature est parallèle à la définition qu'Alain Prochiantz donne de l'être humain, animal a-nature par nature, irréductible à un programme génétique, dont la forme répond assez, nous dit-il, à la proposition de Bergson : « La forme est un moment pris sur une transition ».

Voilà qui nous convient bien! La littérature serait la trace récurrente de ce moment, saisi du côté du langage - le développement d'une ritournelle, à suivre le fil métaphorique présent dans la citation de Deleuze et Guattari proposée pour l'exergue, en parfaite consonance avec le travail d'Alain Prochiantz.

L'homme, un animal littéraire du fait de ses 900 cm3 de cerveau en trop par rapport à ses plus proches cousins ? C'est ici qu'intervient encore la géométrie variable. Non pas pour mieux circonscrire l'objet d'un territoire disciplinaire (même s'il n'est pas indifférent que les disciplines aient leur propre objet). Mais parce que l'activité littéraire de l'homme entre parfois en contradiction flagrante avec cette origine sans origine qui est la sienne. L'oeuvre de Céline, par exemple, ne conduit-t-elle pas à modifier cette définition de la littérature si on l'y fait entrer ?

Il était inévitable que Transitions s'affronte à Céline. Bruno Chaouat le fait ici pour nous avec humour et gravité sous la forme d'un dialogue qui récapitule tous les arguments accumulés par la critique tout en relançant avec force le débat. Un dialogue : le pari , l'enjeu est de taille. Belle, l'oeuvre de Céline ? Pour qui, pour quoi ? Le doute s'y conjugue au refus de faire de Céline un dossier classé à force d'avoir été instruit et retourné en tout sens.

Définie à l'échelle de l'espèce humaine et à la jonction des disciplines, la littérature en a sans doute fini avec l'art (qui en a du reste sans doute fini avec lui-même). Mais en finir avec l'art, ce n'est pas en finir avec le beau, ce n'est pas en finir avec le partage qu'on appelle esthétique.

Il en va de même pour les photos que nous publions : nous espérons qu'elles content quelque chose, qu'elles soient, en un clin d'oeil, un condensé d'expérience fugace. Celle de Soroche Del Planey, Lumières sous la lune, nous donne à regarder le visage absorbé de jeunes gens dans les lumières du feu, de la lune invisible, des portables dont le flash jette un éclair, arrêtés dans la nuit des temps et dans le plus moderne des mondes, une pause prise sur une transition...

 


 

 

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