Les Chats perdus, chapitre 18
Résumé des chapitres précédents
Dans le quartier des Pas perdus (qu’on appelle familièrement « quartier des Chats perdus »), depuis le 14 février de cette année, des fleurs sont déposées mystérieusement chez les uns ou chez les autres. Le premier, Furio Rosso, vieil italien retraité qui habite au dernier étage du 11, rue des Clartés, a découvert des lupins sur sa terrasse de style bouddhiste. Il va porter plainte, et c’est l’inspecteur Malik Fall, mis sur la touche par son supérieur hiérarchique en raison de sa lenteur et de sa rigueur obsessionnelles à mener les affaires, qui se lance dans l’enquête.
Tout l’immeuble est en effervescence. La rumeur circule d’autant plus vite que de nouveaux locataires, Éric Dupont et Ophélie Mesrine, tous deux brocanteurs, ont pendu leur crémaillère en invitant les habitants à la fête. Éric Dupont a aussi convié son ami d’enfance Anselme Frey, vulcanologue et volcanologue qui va bientôt partir en Indonésie - et les chapitres suivants nous feront le suivre là-bas. Kleptomane, il subtilise chez les Dupont-Mesrine un poignard ancien (nous le savons par les mails qu’il envoie et par le « Journal de ses résolutions »). Il est venu à la fête avec sa fille Aglaé, qui fait ainsi connaissance de Lydia Brancart, la fille de la concierge, et de son amie Rosalie. Ces deux dernières habitent l’immeuble et décident d’enquêter sur le mystère.
Le premier lieu où chacun cherche des informations est le magasin de Sarah Madamet, l’ancienne éditrice récemment reconvertie dans les fleurs, fleurs rêvées et fleurs vendues qui lui font souvent vivre une sorte de cauchemar éveillé (chap. 7).
Le chapitre 8 révèle au lecteur qu’en fait, c’est un groupe un peu gauchiste, un peu anar sur les bords, qui agit. Plusieurs de ses membres gèrent la crèche du quartier, fondée par Sacha Prizzi, la narratrice de leur épopée. La petite bande a décidé de remercier de la sorte des personnes choisies pour la manière qu’ils ont eue de « prendre parti » dans leur vie. En « fleurissant leur vie », le groupe veut empêcher que leurs actions ne sombrent dans l’oubli le plus total. Furio Rosso a donc reçu un lupin « pour avoir participé au collectif Arseno Lupino qui avait notamment écrit un livre sur l’éducation des plus jeunes », livre qui a inspiré le projet de crèche à Sacha et ses copines. Et Adélie Brancart, la concierge, va recevoir une gueule de loup pour rendre hommage au premier squat qu’elle a créé avant de devenir concierge, et qui portait ce nom-là.
Le chapitre 9, qui se déroule du côté de Sarah Madamet, quelque part entre sa boutique et ses hantises, a laissé le lecteur sur un mystère daté du 11 mai : « Le petit cattleya landate qu’on a livré ce matin. Je suis certaine qu’il lui manque une fleur. »
Nous allons retrouver cette fleur (ou une autre ?), de la famille des orchidées, au chapitre 10. Le groupe de Sacha profite de l'absence des Dupont-Mesrine pour une action florale dans leur appartement. La cible qu’ils veulent remercier est bien un Eric Dupont - un homme de théâtre important dans la vie des parents de Sacha -, mais celui que le lecteur connaît est son fils. L’erreur découverte in extremis les oblige à annuler l'opération de façon rocambolesque. Pendant l’opération, l’un des membres, Charly, vole lui aussi un poignard chez les Dupont-Mesrine… Par ailleurs, le lendemain, en arrivant à la crèche, une orchidée et un mot les attendent... Est-ce la même ? Qui l’a déposée ? L’énigme est entière, et les hypothèses de Lydia et Rosalie, mais aussi d’Adélie ou de Furio devenus amis, se succèdent.
Pendant ce temps, l’inspecteur Malik Fall, très déprimé et ratiocinant, a raconté à son assistant, Kevin Junior comment il mène son enquête, ce qu’il a compris et les hypothèses qu’il fait de son côté. Kevin Junior les raconte au commissaire, qui ne retient que l’hypothèse terroriste et décide de mettre deux ou trois autres policiers sur l’enquête (chap. 12).
Depuis le chapitre 11, et encore au chapitre 13, le lecteur lit les mails qu’échangent Lydia et Rosalie : elles sont en train d’élaborer, sur l’affaire des fleurs, des hypothèses encore plus farfelues que celles de Malik, non sans trouver pourtant de bonnes pistes (par exemple, l’existence d’un langage des fleurs qui fonctionne comme le rébus). Elles ne sont pas les seules : le chapitre 14 nous livre celles d’Adélie Brancart – par ailleurs devenue amie de Furio - et de Sarah Madamet, qui, sans s’être encore concertées (mais Sarah en annonce l’intention), s’interrogent chacune de son côté, avec une interlocutrice privilégiée : qui a déposé les fleurs ? Bruno ? Hassan ? Malik ? Ou sinon, qui ? Elles nous révèlent au passage que la menace venue du commissaire via Malik devient réelle, même si elles n’en comprennent pas la nature.
Tandis que les habitants du 11 rue des Clartés s'interrogent sur ces mystères, les choses s'accélèrent du côté de l'inspecteur Malik Fall et des jeunes de la crèche. La décision du commissaire a contraint Malik à passer à l'action : au chapitre 16, nous avons appris qu'il avait cherché à entrer en contact avec Sacha et ses ami(e)s pour les avertir discrètement de la menace policière. Son message, équivoque et farfelu, a bien été reçu mais aura-t-il été compris ? Les personnages de notre histoire vont-ils enfin pouvoir unir leurs forces pour déjouer le danger qui les guette ? C'est tout l'enjeu du chapitre 18...
Le Destin vous fait une fleur d'ananas
Barbara Kadabra
OU
Carlo Brio
François Cornilliat
Florence Dumora
David Kajman
Hélène Merlin-Kajman
Brice Tabeling
13/01/2018
De : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
A : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Objet : Club des Fleurs Trouvées
Date : 12 juin 2017 17 :30 UTC+2
Coucou Rosalie,
Je croyais qu’on était discrètes avec l’enquête, mais tout l’immeuble a l’air d’être au courant, et même au delà ! On fait un club de détectives et hop, on est sur écoutes. L’autre jour j’ai eu une drôle de discussion avec ma mère : elle a rencontré un ami à elle qu’elle n’a pas vu depuis des années, et je ne sais pas comment ils ont parlé de ça mais c’est lui qui lui a donné des détails sur l’interprétation – notre interprétation – des fleurs trouvées ! Le pire, c’est que cet ami c’est un policier. Je ne savais pas que maman avait des copains policiers, d’habitude elle dit plutôt les flics. Depuis quelques mois je découvre sans arrêt de nouvelles histoires sur son passé. Le policier, qui s’appelle Mathieu Quelquechose, maman dit que c’est aussi un cousin des Frey, et donc d’Anselme (notre témoin n°1 pour l’affaire du poignard disparu). Je ne sais pas si c’est la tante d’Aglaé, Alice, qui lui en a parlé parce qu’elle avait deviné qu’on enquêtait à cause des questions qu’on lui a posées sur les fleurs en peinture, ou si c’est Aglaé qui a rapporté. Je te l’avais bien dit, les petits c’est dangereux, ça ne sait pas garder un secret.
Moi je ne parle de rien d’important à Martin. Au contraire, je lui pose des questions, parce que comme il joue avec Estelle, la petite-fille de Furio Rosso (notre témoin n°1 pour l’affaire des Fleurs trouvées), il sait des choses utiles. Par exemple il m’a dit que Furio Rosso avait parlé d’une nouvelle fleur que quelqu’un a déposée de nuit à la crèche, installée dans une voiture de policier Playmobil ! Bien sûr, c’est surtout ça qui a intéressé Martin (c’est son rêve : parfois il met ses Playmobils en colonne avant de se coucher et il regarde s’ils ont avancé quand il se réveille. Moi j’en bouge toujours un ou deux pendant qu’il dort, par exemple je fais passer les filles devant, et il ne sait pas trop s’il y croit ou s'il n’y croit pas, comme pour la dent sous l’oreiller et la souris).
Maman est donc au courant maintenant qu’on enquête sur les fleurs, mais elle ne m’a rien dit. Je m’entends bien avec elle en ce moment – sauf quand elle m’énerve avec la psychologie de l’adolescence, son nouveau dada. En tout cas ni elle ni Alice Frey apparemment n’ont compris le plus important, qu’Anselme est un espion et qu’il est parti en Indonésie à la recherche d’un poignard superimportant.
Mais que font les adultes ? ils ont sous le nez un cas d’espionnage et de trafic d’armes, un volcanologue et des services secrets, et ils s’occupent de playmobils et de botanique !
De : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
A : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Objet : re : Club des Fleurs Trouvées
Date : 12 juin 2017 17 :42 UTC+2
Coucou Lydia,
Qu’est-ce que ça peut vouloir dire, un playmobil de policier avec une fleur?
Il faudrait savoir le nom de la fleur, Martin a dû l’oublier. Un Lupin et une Gueule de Loup, c’était clair.
Moi si j’avais été eux j’aurais plutôt mis un Pot de Lys pour qu’on comprenne pot-lys : un playmobil de policier, c’est trop nul ! M. Rosso déteste les playmobils, il paraît que c’est une industrie allemande qui fabriquait des petits soldats nazis avant la guerre, c’est ce qu’il a dit aux petits quand ils ont voulu installer leur station spatiale sur le sable de sa terrasse.
Ma mère était d’accord avec lui, pour une fois : les Playmobils ça fait des millions de tonnes de plastique, et en plus c’est sexiste, il y a un château rose pour les filles et pour les garçons des camions de pompier. (C’est pas vrai, d’ailleurs, mais quand j’ai dit qu’il y a aussi une pompière, elle a râlé encore plus et je me suis arrêtée parce que j’avais pas envie de parler de grammaire, je préfère encore la psychanalyse.)
Ils ont fait quoi, à la crèche ?
De : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
A : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Objet : re : re : Club des Fleurs Trouvées
Date : 12 juin 2017 17 :45 UTC+2
C’est le plus bizarre : au lieu d’avoir peur, ils sont allés direct au commissariat !
Ca m’a fait réfléchir : nous on a découvert un message codé international sur un vol de poignard et on n’a rien dit, eux ils vont voir la police parce qu’ils reçoivent une fleur ! C’est quoi, comme délit, la fleur par escalade dans la cour d’une crèche ? Un don avec effraction ??
Je me demande si on ne devrait pas aller au commissariat pour aider dans l’enquête, nous aussi.
Mais si on en parle à ta mère ou à la mienne, elles vont vouloir tout savoir, elles vont en parler entre elles et se monter la tête.
De : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
A : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Objet : Mission Police
Date : 14 juin 2017 17 :53 UTC+2
Compte-rendu de mission : échec sur toute la ligne.
J’ai dit à maman qu’on avait une visite au Jardin des Plantes avec la prof de SVT, ce qui est vrai, mais après la visite des plantes carnivores du Jardin alpin, je suis allée au commissariat. Le problème c’est que je ne savais pas à qui m’adresser. Il y avait au moins 50 personnes dans une grande pièce, surtout des gens qui venaient faire des papiers ou déclarer des vols ou faire de « l’accueil de victimes ».
J’ai pensé que pour nous c’était plutôt déclaration de vol, sauf que ce n’est pas moi qui ai été volée. J’avais apporté les mails d’Anselme Frey que j’avais imprimés au CDI, mais je ne savais plus trop ce que j’allais dire si on me faisait remarquer que ce n’était pas à moi qu’ils avaient été écrits. Surtout qu’en fait on ne sait même pas qui a volé à qui, on sait juste qu’un poignard sacré a disparu en Indonésie, et qu’un volcanologue-espion en a été informé et est parti s’en occuper, et tout ça ça reste des hypothèses. Comment j’allais prouver que c’était bien ça qui était écrit dans le mail ? Donc, au fur et à mesure, j’avais moins envie d’en parler, en plus dans cette grande pièce on commence par te donner un numéro d’attente, c’est comme un examen, tout le monde avait préparé sa carte d’identité, moi je n’avais que ma carte de cantine. Je me suis demandée si les mineurs ont droit de porter plainte dans un commissariat, ou s'ils ont juste le droit d’appeler les numéros verts pour enfants battus ou pour maltraitance ou pour pédophilie. Et pendant que je réfléchissais que ce serait peut-être bien de m’adresser à ce genre de service pour enfant d’abord, pour que le témoignage sur l’affaire d’espionnage reste top secret et que personne n’écoute tout autour (pour ne pas heurter les sensibilités), justement à ce moment-là tu sais qui j’ai vu ? Le père d’Aglaé ! Il n’avait pas de menottes, mais il avait quand même un drôle d’air, pas du tout l’air qu’il avait pendant sa conférence sur les volcans, ni d’ailleurs un air d’espion. J’ai bien regardé s’il avait apporté le sceptre de Kan Ular mais il n’avait rien dans les mains. Ou plutôt il n’avait rien dans les mains au début : parce qu’au bout d’un moment, comme il regardait dans le vide de façon de plus en plus bizarre, et qu’il était juste devant moi, j’ai vu qu’il s’est levé et qu’il est allé directement à un grand pot de fleurs et qu’il a pris un sécateur dans la soucoupe. Il est resté planté là, puis tout à coup il a coupé une grosse fleur sur la plante, et il est passé devant tout le monde pour poser le sécateur et la fleur sur un guichet devant une dame en disant que c’était très dangereux de laisser traîner une arme dans un commissariat. Il était tout rouge, et à ce moment-là trois policiers sont arrivés à toute vitesse d’une pièce à côté, ils ont pris le sécateur et la fleur, et lui ont demandé de les suivre, ça avait l’air de barder.
Je me suis dit que ce n’était vraiment pas une bonne idée de venir raconter notre enquête alors que le père d’Aglaé était venu parler lui-même à la police, qu’il valait mieux partir sans attendre mon numéro.
D’accord, j’ai raté ma mission, mais finalement par hasard j’ai trouvé encore un indice, une autre pièce du puzzle, non ?
En tout cas j’étais bien contente de rentrer à la maison saine et sauve.
De : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
À : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Objet : re : Mission Police
Date : 14 juin 2017 17 :57 UTC+2
Tu crois qu’il est en garde à vue maintenant ?
Ou que le sécateur c’était une sorte de code avec les policiers et qu’il venait dire quelque chose à quelqu’un de spécial ?
De : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
À : : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Objet : re : re : Mission Police
Date : 14 juin 2017 18 :50 UTC+2
Je ne sais pas.
Parfois je me demande si tout ce qu’on a c’est bien des pièces de puzzle, si tout va avec tout, ou s'il y a des pièces en trop, ou des pièces en moins, je me dis que ça va jamais se raccorder et qu’il n’y aura pas de puzzle fini sans trou, comme on l’imagine quand on cherche.
Peut-être qu’on est aussi naïves que Martin avec ses Playmobils, qui attend que ça bouge ?
Ca m’agace.
En plus j’ai été dégoûtée par ma note de latin, je savais la liste de vocabulaire par cœur mais c’était une version avec aucun des mots !
Lydia
De : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
À : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Objet : re : re : re : Mission Police
Date : 14 juin 2017 18 :54 UTC+2
Dis-donc, ça n’a pas l’air d’aller :
« Passages à vide ? troubles de l’humeur, dus à la transformation physique et psychologique de l’individu de 13 à 18 ans ? » : attention, crise d’adolescence !
Ouep t’inquiète, je plaisante.
Bien sûr que tu n’as pas rêvé tout ça, les trucs super bizarres ça a forcément un sens.
Peut-être qu’on aurait dû plutôt aller directement parler à Anselme Frey à son retour à Paris, en lui disant qu’on sait tout, qu’on sait ce qui s’est passé en Indonésie, et qu’il se méfie des Dupont, parce que pour le moment les Dupont sont les plus suspects ?
Mais tu vas voir, ce n’est peut-être pas trop tard.
Je ne sais pas si ta mère te l’a dit : mercredi, en même temps que la fête de la musique, il y a la fête du quartier, on organise un stand de théâtre dans la cour : il y aura les voisins mais aussi des amis des voisins, certainement Anselme Frey va venir, surtout que les gens de l’Université du temps libre où on avait écouté la conférence sont invités, et aussi l’équipe de la crèche, parce qu’ils gardent les enfants de l’immeuble, et madame Madamet, la fleuriste qui t’a offert le crocus, et plein d’autres. Il y aura au moins 80 personnes, Furio Rosso va faire les pâtes spéciales qu’il a faites pour Estelle et Martin et tout le monde peut se déguiser : c’est trop cool, pour l’enquête.
On se déguise en quoi ? en Dupont et Dupond ? Comme ça tout le monde pensera qu’on pose des questions à cause du déguisement.
PS : pour le latin, c’est pas grave. On a rugby pour rattraper la moyenne.
De : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Objet : Fête
Date : 14 juin 2017 22 :45 UTC+2
Cher Anselme,
Tu viendrais chez nous avec Alice le 21 ? Tu reverras Furio Rosso et Adélie que tu as rencontrés la dernière fois, et Aglaé la bande d’enfants qui fait du chahut dans les couloirs.
La présidente du syndic organise une création de théâtre dans la cour et le jardin, elle a invité les Anciens, dont mon père, qui a habité là longtemps comme tu sais, sans doute pour le théâtre, et elle a recruté deux ou trois jeunes de la crèche d’à côté.
Ca s’appelle la fête des Pas perdus, décor par le peintre du quartier, un original qui habite plus ou moins place de la République, même le vieux du 9e étage a invité sa famille et propose de faire les pâtes à la napolitaine.
Bon, bien sûr c’est déguisé, Aglaé peut venir en princesse balinaise, mais ce n’est pas une obligation !
À : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Objet : re : Fête
Date : 14 juin 2017 23 :45 UTC+2
Cher Pompon,
Avec plaisir. Ca sera agréable dehors, par cette canicule. Alice et Aglaé ont appelé Ophélie et vont participer aux décors.
Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle j’ai envie de venir, tu vas voir.
L’autre jour je suis allé me refaire faire des papiers au commissariat et, je ne sais pour quelle raison, à la vue d’un sécateur traînant dans un bac, je m’ennuyais, ou il faisait chaud, ou alors j’obéissais à une vocation enfouie (une autre !) d’horticulteur, j’ai pris le sécateur, et pour me donner une contenance, hop, j’ai taillé une horrible plante verte agressive et phallique qui en avait sacrément besoin, et malencontreusement, une fleur monstrueuse, une sorte d’ananas rouge du genre à fleurir une fois tous les cinq ans, qui est partie avec. Vandalisme en plein commissariat, flagrant délit avec objet tranchant dans un lieu public : mauvais par les temps qui courent. Mais quand même, je ne m’attendais pas à la suite. De deux côtés différents, un couple de brutes manifestement porté sur le Cinzanno, et un Lucky Luke postadolescent dégingandé ont commencé par s’engueuler pour savoir qui m’interpelait et où. Au début j’ai cru que j’avais eu de la veine que ce soit plutôt Lucky Luke qui l’emporte sur les deux costauds. Ensuite j’en ai été moins sûr, parce qu’au lieu de me laisser me justifier il s’est précipité sur son portable pour appeler quelqu’un à qui il a expliqué mon cas en baissant la voix, sauf pour dire, texto, « c’est en rapport avec Arsène Lupin, Chef ». Et ça a marché : cinq minutes plus tard, un type encore plus grand, mais un peu moins jeune, l’a remplacé au bureau et lui a fait signe de sortir, puis il m’a regardé comme s’il prenait son élan et sans m’interroger m’a fait un exposé sur le rapport exact entre le flagrant délit et le kairos grec, la dette symbolique du sécateur aux ciseaux d’Atropos, la 3e des Parques, l’avatar imprévisible mais immanquable du récit dans le réel, les dégâts que font les hypersceptiques post-modernes dans les conflits contemporains, et que la fleur que j’avais coupée ne fait pas partie des Crassulacées, comme on aurait pu le croire. Comme j’étais encore sous le coup du raptus du sécateur, et que par ailleurs je m’étais mis à bégayer (ça m’arrive, de temps en temps), pour me maîtriser j’ai embrayé du kairos sur le calcul de probabilités sismiques, juste histoire de me remettre les idées en place, il me regardait d’un air un peu absent et là je te jure, je l’ai entendu dire quelque chose comme « ça va tourner vinaigre, avec un flag du gang des fleuristes chez les flics le commissaire va lâcher ses dogues », et puis il a eu l’air d’engueuler quelqu’un, ça ressemblait aux paroles de Brel, « Ay, Malieke Malieke je t’aimais tant, de Bruges à Gand… » mais ce n’était plus du tout à moi qu’il parlait, à mon avis ce type a beau avoir fait grec il a un peu dû abuser de la brigade des stups.
Et c’est pas tout. J’ai toussé, ça l’a réveillé, et là il m’a demandé, de but en blanc : si je connaissais quelqu’un au 11 rue des Clartés, et si ça m’était déjà arrivé de mutiler, ou simplement de disposer, anonymement ou en laissant un cartel (il a dit « cartel »), des fleurs dans des lieux publics ou privés, avec une intention précise ou selon le pur principe de l’acte gratuit.
J’en suis resté bouche bée.
L’avantage c’est que j’ai arrêté net d’avoir envie de bégayer.
Votre immeuble l’intéresse, c’est sûr : il avait un dossier devant lui, avec sur l’étiquette « Fleurs du mal et expiation », et dessous « Affaire des Pas perdus ».
Je me serais cru dans une série policière sur Arte.
De : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Objet : Sécateur !
Date : 15 juin 2017 08 :45 UTC+2
Mais que fait la police ?
Dis-donc, vieux, tu exagères de mettre sur le dos des forces de l’ordre et de la canicule tes désordres et coups de chaud personnels. Est-ce que tu n’es pas un peu surmené ?
Je continue de penser qu’entre tes deux métiers, il faut que tu tranches. Pardonne-moi, mais le sécateur, c’est ça, non ? Vulcanologue ou volcanologue, tu as besoin de trancher.
Et tant que j’y suis dans la résolution d’énigmes, je crois que je peux expliquer en partie le comportement des flics. Tu te souviens que je t’ai raconté l’histoire des fleurs mystérieuses, qui a commencé chez Furio Rosso, au 9e étage.
Eh bien ça continue. Je ne suis pas tout à fait au courant, mais la concierge (Adélie Brancart) s’est rapprochée du vieux, elle et sa gamine ont reçu des fleurs elles-mêmes, et il y en a eu d’autres dans le quartier, ils te diront ils en savent plus que moi. Au début j’ai cru que c’était de vulgaires cambrioleurs, parce qu’une pièce précieuse de Rosalie avait disparu, mais elle l’a retrouvée, donc c’est autre chose.
D’ici que la police s’en mêle !
Nous en tout cas on se plaît assez dans le quartier, ça nous change des antiquaires.
De Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Objet : Réjouissances Vicinales de la Saint-Jean
Date : 15 juin 2017 09 :00 UTC+2
Chers voisins, chères voisines,
Nous profiterons de la cour intérieure et de la relative fraîcheur qui y règne le soir pour organiser le 21 juin une fête de quartier, qui commencera à 18h et donnera lieu, à 20h, à des lectures publiques, un petit concert amateur et peut-être une représentation théâtrale improvisée.
Les déguisements sont bienvenus à tous les âges, et le jardinet est suffisamment grand pour y accueillir les amis que vous souhaitez.
Toutefois toutes les festivités devront impérativement être terminées à 1h du matin.
Bien à vous,
Huguette Charis,
Professeur Agrégée de grammaire,
Présidente de l’Association Culturelle des Pas Perdus,
Présidente du conseil syndical de la copropriété,
11 rue des Clartés.
Journal des résolutions d’Anselme
Tu baisses, mon pauvre Anselme : poignard d’obsidienne archéologique, arme sacrée indonésienne, ciseaux de barbier en plein séisme, pour finir sur un sécateur dans un commissariat de quartier ! Avec en plus une nouveauté inquiétante, l’usage de l’arme. L’usage, c’est pas compris dans le programme du parfait kleptomane. Le vol, oui, mais pas utilitaire. Un sécateur c’est dangereux, il a raison l’inspecteur Kairos.
A moins que ce soit Pompon qui ait raison : il faut trancher. Vivre, c’est trancher. Pas seulement se résoudre, se résolutionner : trancher dans le vif.
Mais alors tant qu’on y est dans la psychanalyse sauvage, le bégaiement, c’est parce que je fais tout en double ?
Pourquoi pas ? Qui est-ce qui a décidé que je serai vulcanologue, et non volcanologue ? Est-ce que c’est le destin, là-haut, qui s’est trompé de voyelle ? Ou est-ce que c’est vraiment moi ?
L’ananas rouge, Anselme, pense à l’ananas rouge, qui ne fleurit qu’une fois dans sa vie : le destin te fait une fleur.
Arrête de procrastiner : envoie ta démission à Michelin.
De : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
À : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Objet : Club des Fleurs Trouvées
Date : 16 juin 2017 16 :50 UTC+2
Coucou Rosalie,
J’ai trouvé ce qu’il faut qu’on réponde, quand on nous embête avec les « changements d’humeur des ados » :
L’eau de la Seine arrêtera son flux,
Le temps mourra, le ciel ne sera plus,
Et l’univers aura changé de face
Auparavant que cette humeur me passe.
Trop stylé (c’est p. 64 du manuel).
Comme je n’ai pas osé aller parler de l’histoire à la police, ni à Alice Frey, ni à maman ni à ta mère, j’ai pensé que je pouvais aller voir à nouveau Madame Madamet. Bien sûr elle s’y connaît plus en fleurs qu’en espionnage : mais on peut lui parler sérieusement sans qu’elle interrompe tout le temps en croyant savoir à l’avance ce qu’on va lui dire.
Je suis donc allée la voir dans la boutique, Dites-le avec…, où travaille aussi le copain d’une des filles de la crèche qu’on trouve si jolie.
Elle m’a fait entrer et on s’est assises dans le fond, là où elle arrose les plantes, ça donne envie de se mettre sous le jet d’eau. Comme elle a mal au dos j’ai arrosé à sa place, elle m’a dit qu’elle me prendrait en stage en 3e si je veux.
Je lui ai raconté toute l’histoire et elle a eu l’air très surprise. Elle a réfléchi, puis elle m’a dit que peut-être les choses qui semblaient graves ne l’étaient pas tant que ça et celles qui paraissaient moins graves pouvaient le devenir. Je ne suis pas sûre qu’elle ait bien compris. J’espère qu’elle ne parlait pas du Playmobil, elle aussi.
L’enquête avance à la vitesse d’Empédocle l’escargot.
On y verra peut-être plus clair quand tout le monde sera réuni à la fête, mercredi prochain !
De : Anselme.Frey@IPGP
A : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Objet : Une de plus
Date : 19 juin 2017 23 :50 UTC+2
Ma directrice de conscience préférée,
L’autre jour j’ai frôlé de très près la mise en taule, et je ne comprends toujours pas ce qui s’est passé exactement. Je te passe les détails : il se trouve que j’ai été pris en flagrant délit dans un commissariat du 10e avec un sécateur à la main, ayant vilainement vandalisé une plante grasse. A priori, pas grand-chose cette fois, objet sans valeur marchande ni sacrée. Mais les flics ont un peu surréagi à mon goût, ils étaient trois à me sauter dessus. Seulement après, le 4e qui m’a finalement reçu dans son bureau s’est comporté de façon erratique. D’un côté, il a prononcé des paroles menaçantes à côté de la plaque, sur un gang des fleuristes dont je ferais partie susceptible de déclencher les foudres de sa hiérarchie. De l’autre, au lieu de chercher à me coincer (ce qui est toujours possible à mon avis, en ce qui me concerne) il a tout fait pour minimiser les choses. Je te donne un exemple : j’ai dû être fouillé, sans doute pour vérifier qu’avec le sécateur j’avais pas embarqué l’imprimante, ou les tampons, ou les punaises, ou les gobelets en carton. Or, dans mes poches, il se trouve qu’il y avait toute une collection de météorites extraordinairement précieuses que m’avait prêtées un peu confidentiellement une collègue qui organise l’exposition qui aura lieu à l’automne au Jardin des Plantes (elle se bagarre avec un petit malin qui veut attirer le client, sous prétexte d’exposition « immersive », avec une voiture défoncée par une météorite je ne sais où en Amérique du nord). Tu me suis ? C’est-à-dire que j’avais dans mes poches des pièces uniques, littéralement extraterrestres (une achondrite lunaire et une martienne) qui ont fait sonner tous les portiques ; pour tout arranger, sur mon passeport, les visas extrêmement louches si tu ne sais pas que le point commun entre les pays, ce n’est pas les hauts lieux du salafisme (ça alors, l’écriture intuitive corrige en satanisme !), mais les éruptions volcaniques ou la culture de l’hévéa ; et enfin, quand il m’a demandé le nom de mes amis du 11 rue des Clartés (qui l’intéresse, m’a expliqué Eric, justement à cause d’une histoire de fleurs du quartier), j’ai dit M. et Madame Dupont, je voyais le moment où soupçonné d’acte de terrorisme j’allais devoir épeler le nom de mon amie Ophélie Mesrine, « M-e-s-r-i-n-e, comme Jacques Mesrine ». Une copine descendante de l’ennemi public n°1 c’est pas la meilleure référence quand on doit répondre de comportement déviant. Je me disais, donc, que chacun de nous est un faisceau de circonstances accablantes à soi tout seul, une vraie pluie d’étoiles filantes de détails à charge qui se mettent à converger en un clin d’œil pour une misérable plante grasse : et c’est là que mon interlocuteur flic, l’inspecteur qui m’interrogeait, m’a dit « pas du tout, vous faites erreur, ça ne converge pas, il n’y a rien de centripète là-dedans, je dirais plutôt centrifuge, l’ananas c’est plutôt un modèle végétal de hérisson, vous voyez ? » Le type n’avait pas l’air de se foutre particulièrement de ma gueule. Il ne faisait pas non plus de la télépathie. Simplement ce qui lui est venu, devant mes météorites, mon attentat horticole et mes accointances douteuses, c’est la structure dynamique de l’ananas-hérisson.
J’ai pas osé tout raconter à Éric, parce que ça me gêne d’avouer que finalement j’ai été à la fois lâche et macho, j’ai dit « monsieur et madame Éric Dupont » (quoique entre nous, « Dupont » ça fasse un peu camouflage, je me demande si ce n’est pas un des charmes d’Éric aux yeux d’Ophélie…). S’il grattait un peu, le flic, Dupont-Mesrine, ça renforcerait la paranoïa. Sauf que tout ce qu’il voulait, lui aussi, c’était minimiser. Il m’a dit : bon, revenons à ce bromélia requin (c’est le nom scientifique de l’ananas rouge) : je vois que vous êtes un passionné de jardinage ? J’ai eu la présence d’esprit de répondre que j’avais fait une conférence sur la flore volcanique, ça ça lui a plu.
Il m’a dit en finissant l’entretien : au fond, on est d’accord, vous n’y êtes pas allé très souvent, dans le quartier des Pas perdus, n’est-ce pas ?
J’ai répondu que non.
Je me demande si c’est une très bonne idée, finalement, d’aller à la fête après-demain.