Les Chats perdus, chapitre 17
Résumé des chapitres précédents
Dans le quartier des Pas perdus (qu’on appelle familièrement « quartier des Chats perdus »), depuis le 14 février de cette année, des fleurs sont déposées mystérieusement chez les uns ou chez les autres. Le premier, Furio Rosso, vieil italien retraité qui habite au dernier étage du 11, rue des Clartés, a découvert des lupins sur sa terrasse de style bouddhiste. Il va porter plainte, et c’est l’inspecteur Malik Fall, mis sur la touche par son supérieur hiérarchique en raison de sa lenteur et de sa rigueur obsessionnelles à mener les affaires, qui se lance dans l’enquête.
Tout l’immeuble est en effervescence. La rumeur circule d’autant plus vite que de nouveaux locataires, Éric Dupont et Ophélie Mesrine, tous deux brocanteurs, ont pendu leur crémaillère en invitant les habitants à la fête. Éric Dupont a aussi convié son ami d’enfance Anselme Frey, vulcanologue et volcanologue qui va bientôt partir en Indonésie - et les chapitres suivants nous feront le suivre là-bas. Kleptomane, il subtilise chez les Dupont-Mesrine un poignard ancien (nous le savons par les mails qu’il envoie et par le « Journal de ses résolutions »). Il est venu à la fête avec sa fille Aglaé, qui fait ainsi connaissance de Lydia Brancart, la fille de la concierge, et de son amie Rosalie. Ces deux dernières habitent l’immeuble et décident d’enquêter sur le mystère.
Le premier lieu où chacun cherche des informations est le magasin de Sarah Madamet, l’ancienne éditrice récemment reconvertie dans les fleurs, fleurs rêvées et fleurs vendues qui lui font souvent vivre une sorte de cauchemar éveillé (chap. 7).
Le chapitre 8 révèle au lecteur qu’en fait, c’est un groupe un peu gauchiste, un peu anar sur les bords, qui agit. Plusieurs de ses membres gèrent la crèche du quartier, fondée par Sacha Prizzi, la narratrice de leur épopée. La petite bande a décidé de remercier de la sorte des personnes choisies pour la manière qu’ils ont eue de « prendre parti » dans leur vie. En « fleurissant leur vie », le groupe veut empêcher que leurs actions ne sombrent dans l’oubli le plus total. Furio Rosso a donc reçu un lupin « pour avoir participé au collectif Arseno Lupino qui avait notamment écrit un livre sur l’éducation des plus jeunes », livre qui a inspiré le projet de crèche à Sacha et ses copines. Et Adélie Brancart, la concierge, va recevoir une gueule de loup pour rendre hommage au premier squat qu’elle a créé avant de devenir concierge, et qui portait ce nom-là.
Le chapitre 9, qui se déroule du côté de Sarah Madamet, quelque part entre sa boutique et ses hantises, a laissé le lecteur sur un mystère daté du 11 mai : « Le petit cattleya landate qu’on a livré ce matin. Je suis certaine qu’il lui manque une fleur. »
Nous allons retrouver cette fleur (ou une autre ?), de la famille des orchidées, au chapitre 10. Le groupe de Sacha profite de l'absence des Dupont-Mesrine pour une action florale dans leur appartement. La cible qu’ils veulent remercier est bien un Eric Dupont - un homme de théâtre important dans la vie des parents de Sacha -, mais celui que le lecteur connaît est son fils. L’erreur découverte in extremis les oblige à annuler l'opération de façon rocambolesque. Pendant l’opération, l’un des membres, Charly, vole lui aussi un poignard chez les Dupont-Mesrine… Par ailleurs, le lendemain, en arrivant à la crèche, une orchidée et un mot les attendent... Est-ce la même ? Qui l’a déposée ? L’énigme est entière, et les hypothèses de Lydia et Rosalie, mais aussi d’Adélie ou de Furio devenus amis, se succèdent.
Pendant ce temps, l’inspecteur Malik Fall, très déprimé et ratiocinant, a raconté à son assistant, Kevin Junior comment il mène son enquête, ce qu’il a compris et les hypothèses qu’il fait de son côté. Kevin Junior les raconte au commissaire, qui ne retient que l’hypothèse terroriste et décide de mettre deux ou trois autres policiers sur l’enquête (chap. 12).
Depuis le chapitre 11, et encore au chapitre 13, le lecteur lit les mails qu’échangent Lydia et Rosalie : elles sont en train d’élaborer, sur l’affaire des fleurs, des hypothèses encore plus farfelues que celles de Malik, non sans trouver pourtant de bonnes pistes (par exemple, l’existence d’un langage des fleurs qui fonctionne comme le rébus). Elles ne sont pas les seules : le chapitre 14 nous livre celles d’Adélie Brancart – par ailleurs devenue amie de Furio - et de Sarah Madamet, qui, sans s’être encore concertées (mais Sarah en annonce l’intention), s’interrogent chacune de son côté, avec une interlocutrice privilégiée : qui a déposé les fleurs ? Bruno ? Hassan ? Malik ? Ou sinon, qui ? Elles nous révèlent au passage que la menace venue du commissaire via Malik devient réelle, même si elles n’en comprennent pas la nature.
Tandis que les habitants du 11 rue des Clartés s'interrogent sur ces mystères, les choses s'accélèrent du côté de l'inspecteur Malik Fall et des jeunes de la crèche. La décision du commissaire a contraint Malik à passer à l'action : au chapitre 16, nous avons appris qu'il avait cherché à entrer en contact avec Sacha et ses ami(e)s pour les avertir discrètement de la menace policière. Son message, équivoque et farfelu, a bien été reçu mais aura-t-il été compris ? Les personnages de notre histoire vont-ils enfin pouvoir unir leurs forces pour déjouer le danger qui les guette ? C'est tout l'enjeu du chapitre 17...
Un hérisson propose une extension du domaine floral
Barbara Kadabra
OU
Carlo Brio
François Cornilliat
Florence Dumora
David Kajman
Hélène Merlin-Kajman
Brice Tabeling
23/12/2017
« Range tes Playmobils ! ». Maman me disait souvent cela. Mais ce n’était pas mes Playmobils, c’étaient ceux de mon petit frère. Un jour, cela avait été les miens – c’est ce qui trompait ma mère, je pense – mais tous mes jouets, mon frère se les accaparait. Il le faisait sans violence, il n’en avait pas besoin : il lui suffisait de les désirer et face à son désir, je cédais. Son désir, c’était comme une grâce dont j’étais dépourvu, un truc extraterrestre qui me fascinait, tellement beau, tellement souverain, tellement consistant que je m’y abandonnais pour le plaisir de le voir s’exprimer devant moi. Je devais avoir un peu honte de ce pouvoir qu’il avait sur moi puisque jamais je ne protestais quand ma mère me demandait de ranger « mes » Playmobils. Je lui laissais croire qu’ils étaient encore à moi et je rangeais.
En regardant Sacha et ses amis, je retrouvais quelque chose de la pureté du désir de mon frère. Ils étaient trois, assis par terre face à moi, deux jeunes femmes et un grand mec, formant une sorte de bloc solidaire qui me renvoyait (assez douloureusement) à ma solitude. Je me demandai un instant qui aimait qui mais, au fond, je n’avais pas les outils pour élucider leurs relations : amitié ? amour ? lien militant ? Tout cela était possible. L’intensité de ce qui circulait entre eux me semblait rendre ce genre de distinctions parfaitement inopérantes.
Tout de même, ils étaient un peu ridicules : la chaise de Kevin était là, disponible. Avaient-ils si peur de la différence que nul ne pouvait bénéficier du confort d’une chaise si les deux autres n’en avaient pas ? J’eus un brusque accès de haine, vite réprimé par la vue de ma voiture Playmobil sur la table. Mon petit frère, lui, n’aurait jamais songé à me la rendre.
— Bon, voilà, dis-je.
— Hum, fit Vincent.
— Hum, fit Sacha.
— Hum, fit Mona.
Ils avaient retrouvé ma trace grâce aux images de la caméra de l’entrée de service. Ce n’était pas bien difficile. Je m’étais assuré d’être identifiable, prenant même le temps d’allumer une clope face à l’objectif, histoire que mon visage soit correctement éclairé. Puis, j’avais tiré la langue et fait quelques entrechats. Leur ami qui travaillait chez la fleuriste les avait aidés à mettre un nom sur le grand machin qui faisait le clown la nuit devant la caméra de leur crèche alternative.
— Donc, en somme, vous cherchez à nous aider, dit Mona.
— Donc, pour résumer, vous nous avez foutus dans la merde, dit Vincent.
— Pas seulement nous, dit Sacha, mais tous ceux chez qui on a déposé des fleurs : Furio Rosso, Sarah Madamet, Adélie Brancart.
— Hum, fis-je.
J’aurais bien objecté qu’ils s’étaient foutus dans la merde tout seuls et que j’avais seulement fait mon travail mais à quoi bon ? Je venais de leur raconter toute l’histoire, mes problèmes avec le commissaire, Kévin Junior, Meunier et Mounier ; je n’avais rien laissé de côté, pas même l’histoire du vieil Africain et « ses présupposés affligeants » ou mes entretiens avec le psychologue. Leurs conclusions étaient aussi valables que les miennes.
— Je ne suis pas sûr qu’on puisse vous faire confiance, dit Sacha.
— J’ai aussi mes doutes à ce sujet, dis-je.
— Est-ce que vous continuez à parler tout seul ? interrogea Mona.
— Je crois que je m’améliore. Mais c’est à vous de me le dire : ce sont les gens à qui l’on parle qui savent si on parle seul.
— Et votre assistant, vous pensez vraiment qu’il est fiable ? Pourquoi il est pas avec nous ? demanda Vincent.
— Kévin Junior est un modèle de droiture. Il est d’ailleurs au commissariat en train de faire consciencieusement son travail.
— Je ne suis pas sûre d’aimer votre humour, dit Sacha.
Il y eut un court silence. La situation, en effet, n’avait pour eux rien de plaisant. Ils venaient de découvrir que la police française les suspectait de terrorisme et ils étaient suffisamment intelligents pour comprendre tous les enjeux d’une telle information. C’est leur calme qui m’impressionnait.
— Il faut prévenir les autres, dit Vincent.
— Et après ?, objecta Mona, on prend le maquis ? On récupère la famille Brancart et on les convainc de filer au Mexique avec nous ?
— On n’a pas tellement le choix. Si ce que Malik nous dit est vrai, tu peux être sûr qu’on a déjà la DGSE sur le dos. Et avec nos antécédents…
— Alors quoi ? Le Mexique, vraiment ? Tout ça pour des fleurs ? Putain, vous déconnez !
— Qu’est-ce que tu veux faire ?, rétorqua Vincent, attendre en espérant que les flics comprennent le sens poético-politique, subversif mais pas trop, de nos infractions ? Que l’État se montre sensible à nos hommages alternatifs et que, dans le contexte actuel, il n’essaie pas d’exploiter la situation ?
— On pourrait toujours aller voir les flics et leur expliquer. On ne sait jamais.
— Tu as compris que c’est un flic qui vient de nous expliquer que son supérieur avait qualifié cela d’atteinte à la sécurité de l’État, n’est-ce pas ?
— Ça va, Vincent, dit Sacha. Pour le moment, Mona, on doit avertir les autres : ce qu’on fera après, on verra. On peut plus décider de ça tout seuls ; ça implique trop de monde maintenant et c’est trop grave.
— Les enchiladas, c’est plutôt bon, tenta Vincent.
— Et les burritos, dit Sacha.
— Je préfère les quesadillas, dit Mona.
Je les aimais bien ces jeunes.
— Il y aurait bien une autre solution, dis-je.
Et face à leurs regards perplexes, j’ajoutai :
— Nous pourrions étendre le dispositif.
* * *
Depuis quelques temps, les choses devenaient plus claires. Je me souviens d’un séjour dans les Alpes où en l’espace d’une journée le paysage avait tout simplement disparu. La neige avait fondu, ainsi que tout ce qui était beau, et moelleux, et lunaire, et flou autour de nous. Une réalité nouvelle était apparue, peut-être la réalité par opposition au paysage hivernal qui a toujours quelque chose du rêve (comme tout paysage peut-être); c’était un monde fait de mille détails sans harmonie entre eux mais précis, déliés et nommables : les flaques boueuses le long de la route, les gaz sortant du pot d’échappement le matin quand nous démarrions la voiture, le bruit d’un marteau faisant résonner du bois en bas au village, les couleurs criardes des panneaux publicitaires vantant le « ski fun » des Trois Vallées. Jusqu’alors, cette réalité nous était invisible, cachée par la beauté d’un paysage qui ne cessait de faire des transitions entre ses différents éléments au point d’en annuler la laideur, l’indifférence ou la solitude. Ce n’était pas nécessairement mal : les choses avaient gagné une consistance nouvelle, un pouvoir d’émotion propre et une forme d’égalité avec moi, chose déliée parmi d’autres. Et puis, nous pouvions circuler sans après-skis.
Mes désirs étaient devenus très bordéliques. Je ne prétendais plus y trouver la moindre cohérence, ni le moindre arrangement moral. Mais je les reconnaissais comme miens, aussi laids, contradictoires ou immoraux soient-ils. J’étais devenu un truc éparpillé, un ensemble chaotique de revendications personnelles qui avaient toutes une clarté et des objectifs propres. Le personnage que je composais jusque-là s’évaporait à mesure que j’approfondissais mes arguments pour découvrir une raison à mes actions et à mes manières d’être. Ce personnage était vraisemblable oui, mais tellement abstrait (on aurait dit du Racine). Ma convalescence avait pris la forme d’une autonomisation désinvolte de mes envies, saillances plurielles s’élançant dans de multiples directions sans se soucier de faire sens.
En bref, j’étais devenu une sorte de hérisson. Ce que disait le hérisson en ses épines était : je veux aider Sacha et ses amis ; je veux rester flic ; je veux que Kévin Junior reste près de moi ; je veux qu’on cesse de m’emmerder ; je veux que le commissaire morfle ; je veux avoir raison ; je me moque d’avoir raison ; j’aime le langage des fleurs ; je veux que toute cette histoire s’arrête ; je veux que cette histoire ne cesse jamais.
De quelle manière ma proposition d’extension du dispositif floral remplissait-elle toutes ces conditions ? Voilà un souci de cohérence dont je pouvais aujourd’hui me passer. Néanmoins (soyons incohérent jusqu’au bout), elle répondait à la plupart de mes désirs. Pour résumer, il s’agissait de rendre impossible le récit terroriste en multipliant de manière spectaculaire les hommages floraux. Si un millier de personnes recevaient des fleurs, comment prétendre qu’il s’agissait encore d’un groupuscule clandestin œuvrant secrètement à saboter l’État ? Je privilégiais les effets de discordances : en déposant des fleurs au ministère de l’Intérieur, devant la niche d’un chien, chez le commissaire, chez Jean-Luc Mélenchon et Laurent Wauquiez, à la porte des prisons, à Notre-Dame-des-Landes, aux pieds d’une statue de Dalida, etc., nous ferions cesser (sans nul doute) l’hypothèse que les personnes concernées étaient de mèche. Je désirais rendre tout à fait ininterprétable nos actions en jouant au maximum de l’hétérogénéité des situations, je voulais transformer le langage des fleurs en langage parfaitement équivoque qui annule toute possibilité de récit vraisemblable (qui effondre, oui, tout espoir d’un unique paysage).
Ma proposition les amusa beaucoup mais Mona objecta qu’il fallait conserver un sens minimal : il ne faudrait pas, dit-elle, que cette extension transforme leur action en happening artistique bidon ou en pub pour Interflora. Vincent suggéra d’associer Furio, Adélie et Sarah : nous aurions besoin d’aide. Je rechignai : plus les personnes au courant de l’affaire étaient nombreuses, plus ma situation professionnelle devenait précaire. Sacha objecta que, puisque nous les impliquions dans une affaire qui aurait un certain retentissement, il serait malhonnête de ne pas les tenir informés. « Ils sont déjà dedans ; la moindre des choses est de leur donner la possibilité de dire non à ce qui risque d’être une exposition publique de leur vie ». De toute manière, conclut-elle, nous devons en parler avec le reste de la crèche. Je leur dis de faire vite : le temps nous était compté.
* * *
En vérité, je doutais que cette solution me permette de sauver ma carrière. Si notre plan marchait, cela constituerait pour le commissaire une humiliation professionnelle et j’en serais à ses yeux le principal responsable (puisque c’est moi qui aurais été à l’origine de cette idée d’un groupuscule communiquant à l’aide de fleurs). Le connaissant, ses efforts pour me virer de la police n’auraient alors plus de limite. Tel était le prix de la divergence de mes désirs. Étais-je prêt à le payer pour aider Furio, Adélie, Sarah et les jeunes ? Le hérisson est un animal mélancolique.
Kévin Junior arriva vers huit heures. Il avait passé la journée au commissariat. Je le mis au courant de la venue de Mona, Sacha et Vincent et lui fis part de nos projets. Il se proposa aussitôt pour nous aider. Je lui dis que non. Il devait éviter autant que possible toute implication directe de manière à pouvoir continuer à nous tenir informés de ce qui se passait du côté de la police. Sa capacité à agir de l’intérieur était vitale. Il ne fallait en aucun cas la compromettre. D’ailleurs, ajoutai-je, où en était l’enquête ? Avait-il eu son entretien quotidien avec le commissaire à mon sujet ?
— Oui et non. J’ai été pour le voir et lui raconter les mensonges sur votre déprime et tout ça mais il a pas eu le temps de me recevoir.
— Cela ne vous inquiète pas, Kévin ? Vous croyez qu’il se méfie de vous ?
— Non, non, chef. Il recevait une huile. Quelqu’un de haut placé au ministère des affaires étrangères.
— Aux affaires étrangères ?
— Oui, chef. Albert Bell Weber, ou quelque chose comme ça. C’est un directeur de cabinet.
— Robert Well-Bebert ?
— Vous connaissez, chef ?
Tout le monde connaissait Robert Well-Bebert. L’écrivain post-moderne à succès et universitaire influent dont l’entregent considérable et l’absence totale de scrupules lui avaient permis, quelle que soit la majorité au pouvoir, d’occuper d’innombrables postes de prestige. Sa capacité à parler éloquemment de toute chose l’avait autorisé à intervenir dans une diversité remarquable de domaines. Il fut ainsi chargé d’une série assez ubuesque de missions gouvernementales : sur l’enseignement de l’Histoire, la francophonie, l’édition numérique, la sécurité, la préservation des écosystèmes volcaniques, etc. C’était le « nouveau nouveau philosophe » par excellence, le modèle d’une pensée active et transdisciplinaire. Il y a quelques années encore, il régnait (d’une main de fer) sur le débat intellectuel français mais son étoile avait un peu pâli après avoir été accusé d’avoir délibérément sabordé, à la demande du gouvernement français, une commission d’enquête sur le génocide rwandais qu’il avait été chargé de diriger. Son talent pour la sophistique avait fait des miracles pour expliquer au public que, de toute manière, puisque toute preuve était relative et toute démonstration ambivalente, il fallait en toute logique en déduire que la réalité était par essence incertaine, fluctuante et fantasmatique : comment « prouver » la « réalité » du « génocide » alors ? Ou même celle du « Rwanda » ? À cet égard, ne craignons pas d’aller au bout de nos présupposés : cette « France » qu’on accuse de tous les maux peut-on vraiment dire, en toute logique, qu’elle existe ? Si oui, alors, prouvez-le moi ! (Prouvez-le moi ! fut le titre du rapport officiel de la commission et provoqua un tel scandale que le gouvernement fut contraint de le désavouer).
— C’était une visite officielle ?
— Non. Une rencontre privée. C’est un ami du commissaire, je crois.
— Un ami du commissaire ?
Mon estomac se noua.
— Dites Kevin, elle en est où cette histoire avec le vieil Africain ? Vous savez si Meunier a avancé sur l’enquête ?
— J’en sais rien, chef. Ça a quelque chose à voir avec l’histoire des fleurs ?
— Cela concerne plutôt l’histoire d’un hérisson. Mais il y a un point commun entre le hérisson et les fleurs. Vous savez lequel Kévin ?
— Les hérissons mangent des fleurs ?
— Les épines, Kévin, les épines. Or les épines, ça pique.