Mathilde Faugère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


mars-avril 2017

 

 Waiting for the other shoe to drop 

 

La période a été agitée, pleine de discours, de discordes, d’éveils aussi et de découvertes mutuelles. Nous sommes entre deux vagues, waiting for the other shoe to drop, entre calcul et abandon, pris par la discussion, en attendant de pouvoir, peut-être, commencer bientôt à nous projeter dans un temps autre. Des échanges, et les conversations, il y en a eu beaucoup à Transitions, au séminaire et sur le site pendant ces deux mois passés.

Car ici aussi nous avons parlé, ou plutôt nous avons écrit, comme nous en avons l’habitude mais un peu différemment aussi, multipliant saynètes, exergues, définitions, autant de formes qui font le pari double de la rapidité, et du déplacement. Il y a eu des analyses de rumeurs (ni Lise Forment ni Brice Tabeling ne l’aiment cette Rumeur sans visage). Il y a eu des illusions démasquées ou interrogées : Michèle Rosellini qui remet en question son « Obole » ou nous pousse à regarder le rituel de Pâques un peu autrement en commentant Quignard. Il y a eu des demandes d’écoute vraie – Gilbert Cabasso qui définissant « Parole » dit « tous [ses] efforts pour qu’on [l’]entende et [lui] accorde crédit » – et, plus récemment une interrogation sur ce que recouvre l’appel toujours renouvelé à la complexité (David Kajman commentant Miguel Benasayag et Diego Sztulwark). Hélène Merlin-Kajman et Brice Tabeling ont défini « Peuple », il n’a pas fallu moins de trois textes, et encore plus de points de définition, de changement d’acception ou de connotation, en plein milieu d’avril. Mais ce ne sont pas seulement les fragments qui se sont agités. Le vent a soufflé sur la rubrique Juste – celui dont le fabuliste d’Helio Milner tente de protéger l’enfant –, il y a même eu la mise à mort (toute fictive et poétique) d’un tyran (Coline Fournout).

Certains, dans les Fragments et ailleurs, ont cherché des sorties autres, ménagé des espaces plus en marge, sorties spatiales, temporelles ou poétiques se sont multipliées. Il y a l’appel à la « Mer » d’Augustin Leroy. Virginie Huguenin pensait au printemps en définissant « Pique-Assiette », Mary Shaw se projetait pour nous jusqu’en été : « there will be whole days of flying and climbing ». Gilbert Cabasso s’est attaché à regarder les « surfaces », belles. Hélène Merlin-Kajman a adjoint aux fragments de Sylvie Cadinot-Romerio sur « nos quartiers » une comptine de quartiers de fruits. Lise Forment, face à la misère inhérente à l’homme que peint Théophile de Viau nous invite à trouver du réconfort dans sa plainte, sortie hésitante quelque part du côté de la poésie. La poésie s’est mêlée à la physique, dans Juste et dans le dernier poème de Sebastian Amigorena : « La science reflète nos yeux brillants, la poésie nos yeux humides. » Il y a eu enfin la sortie en peinture d’Henri Ekman : un homme (un lapin ? un lapin de Pâques ?) qui nous regarde (masqué ? maquillé ?) et au dessus, mais non pas en surplomb : « Only human ».

En bref, nous avons continué à chercher, à enquêter à l’image des protagonistes du roman-feuilleton de Barbara Kadabra. L’enquête avance, des messages s’échangent et des liens se font progressivement (j’ai hâte !) ; on trouve également des messages dans le dernier dreamscape de Mary Shaw et l’enquête vient un moment se substituer à la fable dans « La cage et le pinson bleu » : que faire du chat qui a blessé l’oiseau ? Rien n’est laissé de côté, tout est soulevé : du nom de nos rides (Noémie Bys), en passant par ce dont nos nuits sont faites (Tiphaine Pocquet et Jennifer Pays) et ce que cachent nos monstres (Noémie Bys et Boris Verberk), l’abécédaire va dans les recoins de nos vies, inventaire baroque. Des silhouettes plus ou moins connues qui nous ressemblent apparaissent aussi dans les saynètes : celle de la cheffe de Marie NDiaye (Gilbert Cabasso), celle de Gatsby (André Bayrou), celles de Sabina et de Tomas (Mathilde Faugère), celles des buveurs de café de Constantinople et d’aujourd’hui (Tiphaine Pocquet et Antoine Galland, autour d’un café, et d’un texte). L’enquête, celle de savoir ce que la littérature nous fait, passe par ces figures, à qui nous empruntons, et les exergues reprennent la question de la transitionnalité en multipliant les réponses : il s’agit de privilégier la transition à la substitution du même au même pour Brice Tabeling avec Monique David-Ménard. En fait il s’agit finalement d’arrêter d’attendre, et de s’entrainer, comme Balzac et Benoit Autiquet, à « “formuler ses pensées en paroles”, et, mieux, à formuler des paroles qui surprendront ses pensées ».

 

Bonne lecture !



 

 

 

 

 

 





 

 

 

Brice Tabeling

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Janvier-février 2017

 

« Irrésistibles équivoques »

La définition d'« Histoire » de François Cornilliat est une série incroyable d’élévations réflexives. Le point de départ est pourtant un de ces problèmes où, souvent, la pensée s’immobilise dangereusement : l’équivoque histoire/Histoire dans laquelle ont pu s’abîmer les excès du linguistic turn et ceux de la déconstruction et dont se nourrissent, pour nous stupéfier, négationnismes et complotismes. Mais l’équivoque n’est en aucun cas, pour François Cornilliat, source de pétrification ; déployée dans toute sa puissance ambivalente, elle devient à l’inverse le moteur même de la réflexion, la difficulté à laquelle la pensée ne cesse de s’arracher pour en tirer l’énergie qui lui permet de continuer à avancer. On progresse ainsi d’écueil en écueil, de crise en crise : double valeur des origines latines du terme, autofiction, journalisme fictionnel, stories-témoignage et stories de la propagande trumpienne, grand récit et petit storytelling composent une spirale ascendante qui débouche, ultime fulgurance, sur le concept d’expérience qu’on n’envisagera surtout pas alors comme un dépassement mais bien plutôt comme une avancée portant la mémoire des obstacles rencontrés, ou encore : comme un pas gagné.

« Tenir le pas gagné », l’expression est empruntée par Patrice Loraux à Rimbaud dans son ouvrage Le Tempo de la pensée et, comme de nombreux passages de son oeuvre, elle accompagne Transitions depuis ses débuts. Elle souligne à quel point l’obstacle, la difficulté, le hiatus ou l’aporie sont des composantes nécessaires, et peut-être vitales, du mouvement lancé en 2010 par Hélène Merlin-Kajman. L’actualité politique et internationale rend, me semble-t-il, d’autant plus nécessaire ce type de démarche, saccadée mais énergique, que les envies de fuite et d’esquive, ou – ce qui revient un peu au même – de résolutions tranquilles et sans perte (les « harmonies continuées » de Loraux) se font plus fortes. La livraison de ces derniers mois témoigne, quoi qu’il en soit, d’une accentuation de cette approche (figure ? éthique ? tempo ?) intellectuelle qui s’inscrit à même l’écriture ou les images, en leurs multiples formes, des 41 publications proposées depuis décembre.

C’est bien sûr notre Abécédaire qui en donne l’illustration la plus nette. De très nombreuses définitions s’organisent autour d’une forme d’équivoque, moment d’hésitation du sens où se découvre, parmi les valeurs possibles du terme envisagé, un risque ou une menace que l’écriture va devoir assumer et franchir. La définition de « Faconde » par Lise Forment met ainsi au jour un usage fascisant de cette éloquence « mineure », usage dont il faut reconnaître le pouvoir d’emprise pour se mettre en mesure d’imaginer une faconde débarrassée du culte de l’authenticité. Pour Adrien Chassain, l’équivoque se trouve moins dans « Manifeste », le terme qu’il cherche à définir, que dans ce nous que la forme manifestaire semble toujours présupposer et qui paraît réclamer un effacement auquel le je hésite à se résoudre. Là encore cependant, une décision positive est prise, un pas est osé. Dans le texte d’André Bayrou autour de « l’éloge », ce qui résiste se nomme, sans fausse pudeur, « envie » (celle que provoque d’abord l’éloge des autres) ; l’effort éthique, qui, il est vrai, tend alors davantage vers le dépassement, est particulièrement sensible dans l’écriture ; c’est lui qui scande le trajet du texte vers une résolution apaisée. « Envie » et « éloge », seront repris par Hélène Merlin-Kajman dans une double définition vertigineuse qui, des difficultés éthiques et subjectives contenues dans les deux termes, trouve la formule commune pour en relancer des valeurs désirables. (Voir aussi : « Envie » de Mathilde Faugère, « Faconde » et « Mer » de Virginie Huguenin, « Éloge » de Brice Tabeling, « Géant » d’Hélène Merlin-Kajman, « Horloge » de David Kajman, « Invasion » de Lise Forment et d’Eva Avian, « Juke-Box » de Michèle Rosellini et Hélène Merlin-Kajman, « Manifeste » d’Hélène Merlin-Kajman.)

Les transitions sont-elles toujours équivoques ? La transition est un passage, elle glisse mais soudain quelque chose grince, il y a comme une réticence, un hiatus dont le franchissement devient alors la condition pour nouer un lien pleinement transitionnel. Nos Exergues s’attachent aux figures de la transition dans les textes, or cette ambition implique bien souvent, non sans paradoxe, un premier effort de déprise face à ce que Mathilde Faugère nomme, à l’occasion d’une chanson de Pink Floyd, la « linéarité d[es] cheminement[s] ». Ainsi, pour Michèle Rosellini commentant un texte de Lévi-Strauss autour du Père Noël, « ce n’est qu’en apparence que [les enfants] sont les destinataires de nos dons » ; ils sont bien davantage les « médiateurs d’un processus » qui mène, sinon à « l’obscure puissance gouvernant nos vies », du moins à « saisir la plénitude d’une existence soumise à la précarité de l’instant ». Même moment de déprise chez Benoît Autiquet : l’émotion provoquée par un documentaire sur les concours d’éloquence dans les banlieues est interrompue par la culpabilité du « thésard » oisif qui le regarde : d’où la nécessité « de nouer d’autres liens », d’« explore[r] d’autres identifications ». Cet effort pour trouver d’autres identifications est également au cœur des différentes Saynètes. Dans les commentaires d’Augustin Leroy et de Tiphaine Pocquet, le ridicule des personnages de Dom Garcie et d’Arnolphe, loin d’assigner une place évidente (et antagoniste) au spectateur, se trouble : la paranoïa jalouse du premier est rattrapée par l’expérience personnelle du soupçon amoureux, la tyrannie misanthrope du second par la compassion pour sa solitude. (Voir aussi l’exergue de Michèle Rosellini autour d’Azar Nafisi, celui de Natacha Israël autour d’Albert Camus, la saynète d’Hélène Merlin-Kajman autour de Stendhal, celle de Mathilde Faugère autour de Goliarda Sapienza et celle de Virginie Huguenin autour d’Hemingway.)

« Tenir le pas gagné », l’expression ne pourrait-elle, par ailleurs, résumer mieux que tout autre adage pédagogique l’entreprise enseignante ? La première séquence transitionnelle, composée par Virginie Huguenin autour des fables de La Fontaine, est un trajet soucieux des difficultés de la transmission mais qui envisage ces difficultés comme autant d’occasions de déplacements des positionnements pédagogiques habituels, et notamment, comme le formule Lise Forment, ceux « du soupçon critique et de l’admiration esthétique » ; c’est une « voie […] semée d’embûches et de débats » mais qui, par là, « permet de se frayer un chemin ». (Voir aussi les questionnaires de Sarah Mallah et de Valérie Pham.)

Pour conclure, il me paraît significatif que Transitions ait inauguré cette année dans sa rubrique Juste une nouvelle forme d’écriture collective, le roman-feuilleton, dont, par tradition, le fonctionnement repose principalement sur la qualité des enchaînements. L’histoire est une intrigue policière. Nos héros deviennent ainsi les symboles joyeux, comiques et/ou émouvants de notre exigence du pas gagné ; parviendront-ils à triompher des obstacles que le récit leur oppose ? Résoudront-ils le mystère de ces fleurs qui semblent apparaitre sans raison à différents endroits de la ville ? Survivront-ils aux menaces qui pèsent sur le quartier des Pas-perdus ? (Voir aussi, dans Juste, les vidéos d’Henri Ekman, les « Instants » de Sebastian Amigorena, les Dreamscapes de Mary Shaw, les fables de Coline Fournout et les tropes d’Hélio Milner.)

Bonne lecture !



 

 

 

 

 

 





 

 

 

Brice Tabeling

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Octobre 2016

 

Conditions du passage 

Peut-on lire un texte sans imaginer, de quelque manière, une figure d’auteur ? Dans sa définition du terme, Hélène Merlin-Kajman n’évoque aucune nécessité mais parle d’un moment où, comme de l’extérieur, comme malgré nous, s’impose une présence familière : « il reste un mystère, le seul qui m’intéresse : parfois, en lisant un texte, on se surprend en train d’aimer quelqu’un, de l’aimer en dépit de tout ce que l’on sait ou croit savoir. On le cherche, on se familiarise avec lui, on le rencontre un peu, on l’étreint à travers les mots, son nom fût-il celui d’une illusion réputée ».

Mystère, en effet, que cette apparition d’une figure suffisamment constituée qu’on puisse rêver de l’étreindre. Mais le mystère ne naît-il pas plus avant, dès le sentiment confus d’une présence sous le langage dont un unique vers ou une courte expression suffit parfois à nous alerter ? On est loin alors de la personne civile ou morale, loin de l’auteur « héros d’une biographie » mais n’avons-nous pas déjà, dans les termes de Barthes, l’impression diffuse qu’il y a là le « corps » d’un « sujet à aimer » ?

Ce corps, incertain mais pressenti, ce « pluriel de charmes », est, pour Barthes, la condition du plaisir du texte et le point de départ de sa possible « transmigration » dans nos vies. C’est une fondation, essaimée et parcellaire parfois, dont « l’auteur » (nom, figure et illusion) serait alors le signe lui-même fragmentaire. Une telle configuration n’est pas sans évoquer la définition politique de l’autorité proposée par Hannah Arendt dans La Crise de la culture : « force liante » dont la « puissance nulle » n’a d’autre fonction que d’articuler l’événement de la fondation (de la cité, de l’Empire, du collectif) à l’avenir, d’assurer une transmission. Or, cette définition, Arendt la déduit justement de l’étymologie du terme « auteur ». L’auteur (ou ce qu’il en reste) et l’autorité : deux conditions du passage…

Il me semble que, s’il y a une esthétique transitionnelle, elle aurait alors à voir avec le souci de faire émerger et de protéger cette figure de l’auteur comme garant du passage, avatar dans l’écriture de la « mère bienveillante » de Winnicott. Ainsi des textes d’Eva Avian. On ne trouvera, dans sa saynète ou sa définition de banalité, nul sujet plein, nulle stabilité (sexuelle, biographique, narrative) de l’énonciation et pourtant comment ne pas être saisi par l’évidence d’une présence sous la phrase ? Le corps vulnérable qui s’expose alors et sert de fondation émotionnelle au partage est cependant fermement tenu : non pas l’occasion d’un effondrement mais le prétexte à la douceur d’une « conversation ». À l’autre bout du texte, il revient au lecteur, comme le suggère Hélène Merlin-Kajman dans son commentaire d’une citation de Carlo Ginzburg, de consentir naïvement à cette exposition en s’y risquant lui-même. Une naïveté qui est pour Lise Forment aussi une affaire de temps : sachons, nous dit-elle dans un exergue autour de Tristan Garcia, nous tenir dans le présent de la lecture, en alerte de la merveille.

Chacun des textes parus depuis la rentrée est ainsi marqué par l’exposition d’une subjectivité sous-jacente et la préoccupation de sa transmissibilité. Comment articuler les rêveries cinématographiques autour du mot « chacal » et le sens commun attaché au terme (dans ma définition) ? Peut-on conserver le désir de la banalité face à la critique philosophique de la notion (Gilbert Cabasso) ? Comment dire la disproportion de « Bérézina » entre la terreur intime du mot et son application commune, en général distanciée (Hélène Merlin-Kajman, rebondissant sur ma propre définition) ? Que garder de nos diverses identifications aux personnages d’un roman au moment de sa transmission à des élèves (Virginie Huguenin) ?

Le corps à aimer et les formes de sa transmission ne cessent d'être en tension : telle serait la leçon de l'attention délicate du conteur face aux demandes de l'enfant dans les fables d'Helio Milner; tel serait le suspens singulier de l'écriture électrique, entre détresse et humour, de celles de Mary Shaw. Et ne pourrait-on pas voir dans le jeu entre les deux définitions du terme « abîme » écrites par Lise Forment et Mathilde Faugère comme le dessin de cette tension même : l’appréhension enjouée du signifiant répondant aux failles profondes de ses évocations ? 

Deux figures particulièrement heureuses me paraissent pouvoir résumer (et dépasser !) cette question du passage. La « cavalcade » proposée par Boris Verberk tout d’abord : « l’élan enivrant » du mouvement se communique follement à l’écriture et devient ainsi le motif même de son partage. Dans ce texte fulgurant, c’est l’énergie du passage qui en est la condition (une structure qu'Hélène Merlin-Kajman, retrouve également dans un texte de Maupertuis : « sa joie nous relie comme en jouant dans la vivacité transitoire de la vie »). Le court film d’Henri Ekman ensuite : il met en scène un chat noir contemplant une caméra fébrile. Regardez-le : ne vous semble-t-il pas que l'attention aimante de cette dernière ne tient qu’à l’immobilité placide du premier (le même jeu est visible dans Vertical, avec une montgolfière)?

Il revient néanmoins à Benoît Autiquet d’interroger le plus fortement la question des conditions du passage et d’en formuler les enjeux politiques. Il le fait à l’occasion d’un texte de Francis Ponge discutant, dans le contexte de l’après-guerre, les difficultés et les fragilités du dialogue qu’il cherche alors à engager avec le public allemand. « Le texte de Ponge n’est pas d’abord révolutionnaire », écrit Benoît Autiquet, « mais, s’inquiétant de susciter une communauté d’attention, se préoccupant de l’écoute de son auditeur, il n’en est pas moins politique ». Et il conclut : « il me prouve qu’à cause de cette fragilité, il mérite bien, au moins par moi, d’être considéré comme une autorité ».

Bonne lecture !

 B. T.



 

 

 

 

 

 





 

 

 

Mathilde Faugère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Novembre-décembre 2016

 

 

Où il est question de chuchotements, de nœuds à demi-faits et de colimaçons.
      
C’est la lettre mensuelle de Transitions.

« Nous tentons de nous recevoir cahin-caha ». La phrase m’est apparue au cœur de la définition de « don » de Tiphaine Pocquet. Entre les « on », les « il », à la place du je, j’ai vu poindre le nous. Il naît, tout de suite un peu tourmenté, un peu maladroit. Cela va « cahin-caha », cela ne marche pas si bien, mais c’est bien là, cherchant à recevoir. Ce n’est pas si facile, de recevoir. Je tente.

Je l’ai alors vu réapparaître plus loin, ou plus tôt, ce nous, toujours aussi mêlé, incertain. Il a été rattrapé, in extremis, à l’issue de la définition de Dialectique de Gérald Sfez, « inespér[ant] ». Il était aussi le nous non décidé, non dit, créé par « elle » et « lui » dans la définition de « Difficulté » de Lise Forment et Brice Tabeling. Et ce qu’on recherchait, avec Queneau, avec Eva Avian, dans un lien temporaire, pas plus, pas beaucoup, mais il naissait alors de la civilité bourrue qui « me soulage des circonstances particulières de mon amertume ». Il est alors un peu lâche et si beau – comme la détente du point non tiré, du nœud non serré.

Souvent, en cheminant, je suis certes passée auprès de « je », assistant alors à des retrouvailles, voyant remonter des souvenirs. J’ai redécouvert, là, par la mémoire du corps, des gestes du passé. Michèle Rosellini m’a rappelé avec le chuchotement comme une « première expérience enfantine de l’intimité ». Gilbert Cabasso retrouve, au passé, au présent, avec Elio Vittorini « le trésor dilué » des moments de l’enfance, la sienne, la mienne, pris dans les plis de textes. Natacha Israël, en chantant du Berger, en commentant du Camus fraye, entre le moment de la « répugnance à l’identification » et celui de « la gorge serrée », un chemin possible. Elle écrit alors le corps de Meursault, et son chant à elle, et le mien. Nous allons, « la peine s’élevant alors en colimaçon ».

Beaucoup aussi étaient désirants, j’en tremble avec eux. Ils désirent plus, que voulez-vous ! Ces désirs, comme le nous, sont parfois hésitants comme celui qui apparaît dans l’ébriété d’Eva Avian, « avide et plus incertain », certains ressemblent fort à une fuite en avant : « bref, tout, sauf rester transi », désirais-je moi-même. Ils font prendre des risques à ceux qu’ils habitent, comme les pots de fer et les pots de terre qui ne peuvent être sauvés dans la fable d’Hélio Milner. Mais ces désirs, sont aussi volontés, contre toutes les objections de velléités, contre toutes les exclamations, contre tous les cynismes discernés par David Kajman : « je n’attends des mondes que ce que nous en ferons ». Et le désir devint immense, exorbitant pour soi, encombrant pour les autres. Mais André Bayrou maintient, étudie, se fait alchimiste. Et lorsqu’on a trouvé, on désire encore, reprend Gilbert Cabasso, Vittorini toujours. Il fait résonner, pour les catanais que nous sommes, « ce désir qui ne s’accommode pas de ce qui est ». Histoire recommençant, je suis Pénélope, inlassable.

Il a donc fallu ralentir, faire le travail de la nuit, j’ai dû écouter, je m’étais laissée emporter. Un temps d’arrêt, avec Mary Shaw, « mesmerized, for sure, by the strong scent of my own uncertainty. » Un autre, avec Perrault, et Lise Forment : « on peut tout perdre sans se retourner ». Des considérations m’arrivent, plus lentement : Jules Brown qui digresse, et raconte, ce que l’urgence du présent peut avoir de cynique, Ivan Gros examinant nos désirs de littéraires, « la tentation du sens caché », Brice Tabeling, lisant le New York Times, observant les mouvements fous du présent et « témoign[ant] du hiatus » et Hélène Merlin-Kajman observant et triant dans la dialectique pour y trouver la contradiction, l’aimant, « d’un amour un peu désespéré ces temps-ci. »

Du nous, des je, des « il faut », du désir et son arrêt, des hiatus et des transitions. Cent personnages, mille mots, chacun avec sa syntaxe, ses images, les lignes narratives se mêlant. Un dernier, pour vous quitter, dans ce petit coin immense de « Juste », en haut à droite, puis en redescendant, là où habitent aussi les fabulistes et les chanteurs, du côté de Coline Fournout, il est arrivé quelque chose :

« L’Araignée a trouvé foyer à sa mesure :

Foyer sans l’usure

Car toujours en mouvement,

Roulis permanent

Où l’on braille et murmure. »



 

 

 

 

 

 





 

 

 

Lise Forment

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Septembre 2016

 

Un même mouvement, un mouvement nouveau 

Le site reprend la mer et change d’élément(s) : en cette sixième rentrée, vous le savez, Hélène Merlin-Kajman quitte la barre (mais elle reste à bord. Un capitaine n’abandonne pas ses matelots, et peut même se transformer en abeille…). Je prends la relève, secondée par Mathilde Faugère et Brice Tabeling, assistée d’un nouveau bureau et entourée par un essaim de rédacteurs et relecteurs.

Pour inaugurer cette « ancienne renouvelée » maison qu’est Transitions, nous avons choisi de vous parler de « mouches à miel » (et de bourdons). Abeilles butineuses, abeilles bâtisseuses, maçonnes et platières, abeilles coupeuses de feuilles et découpeuses de luzerne, abeilles tapissières ou domestiques : toutes viennent prendre leur place dans notre organisation ; elles portent l’ambition de notre mouvement pour les mois à venir, comme le montre l’abeille « littéraire » de Brice Tabeling. Elles nourrissent aussi des souvenirs d’enfance, dardent des émotions, dans la définition intense d'Hélène Merlin-Kajman et se déguisent même en bourdon humoristique et débonnaire, anarchiste et fier, dans celle de David Kajman. Nous jouerons encore à l’Abécédaire pendant deux ans, butinant ça et là des mots qui nous intriguent, qui nous importent ou nous emportent.

Nos préoccupations sont sérieuses : il y va de la civilité dans nos Saynètes, de l'enseignement dans nos Réflexions, de la littérature dans Intensités (le dossier « Religieux / Littéraire », en cours d’élaboration, sera mis en ligne en janvier). Mais entrent souvent sur nos scènes des animaux inattendus, étranges ou familiers. Gilbert Cabasso relève chez Mathias Énard la « rencontre incongrue d’un couple, d’une fillette et de ses chèvres » ; Virginie Huguenin nous raconte, entre autres expériences d’enseignement, un jeu de rôles entre Renard, Corbeau, Lévrier, Bouc et Loup, où le ressort si décrié de l’identification naïve finit par donner aux élèves « un petit peu de guérir ».

Guérir, est-ce là le pouvoir de la littérature ? Est-ce là le rôle des études littéraires ? Ces questions seront au cœur de notre séminaire de l’année, puisque nous nous demandons, nous vous demandons :  Le tournant éthique : faut-il le prendre ? En réaction au formalisme de la modernité – en réaction, aussi, au retour d’approches historicistes hostiles aux appropriations anachroniques –, des voix se sont élevées en philosophie, en littérature, en histoire des arts pour réexaminer les rapports entre « littérature, éthique et vie humaine » (S. Laugier), pour réévaluer l’importance des émotions, pour souligner leur intérêt cognitif et éducatif quand elles sont mises en littérature, transmises à des lecteurs qui peuvent en faire leur miel moral. Le mouvement Transitions peut-il faire ruche commune avec ces pensées ?

Et bien sûr, nous vous réservons encore, dans les prochaines semaines, de nouvelles surprises : d’autres questionnaires, d’autres fables, d’autres images vous attendent…    

 

 

Powered by : www.eponim.com - Graphisme : Thierry Mouraux   - Mentions légales                                                                                         Administration