Abécédaire

 

 

Nuit n° 2




Tiphaine Pocquet

25/03/2017

 

 

 

Il semblerait que la nuit n’ait pas toujours été là. D’abord furent créés le ciel et la terre, puis la lumière nous dit-on. Tout cela est bon. Puis les ténèbres, dans le geste créateur par excellence : la séparation. Et le Dieu de l’Ancien Testament nomme ces ténèbres « nuit ». À ce moment, dans le récit de la Genèse, le décompte des jours peut commencer (alors même que soleil et lune n’ont pas encore été créés). La nuit naît ainsi face au jour et tous deux font le temps.

La nuit est un temps précis, objectivable, on peut compter les nuits, on peut dire que quelqu’un ne la passera pas. Et en même temps, elle est un état intérieur parfois étale comme cette noche oscura de Jean de la Croix. La nuit du sommeil donne paix au corps et à l’esprit. Mais elle est également un lieu de retour, lieu des angoisses, moment qui vous tient singulièrement éveillé. Certains gardent les nuits, d’autre les veillent, d’autres encore les brûlent par les deux bouts. Et chacun a ses nuits, comme autant de petites noces ou de crimes dans un panthéon personnel.

Il y a eu de terribles nuits où le temps a dû s’arrêter, celle de la Saint Barthélémy, la nuit de cristal en 1938. Des nuits plus heureuses : celle du 4 août 1789. Quelles seraient les nuits historiques de notre temps ? Nous viennent seulement à l’esprit nuit des musées et autres fêtes de la lumière (qui par la force des choses ont lieu la nuit). Mais plus récemment la nuit debout a semblé relancer l’Histoire nocturne, faisant de la culture, à nouveau, du politique.

Depuis la Genèse, « Nuit » est un nom donné, une manière de dire la ténèbre en somme. Dans la langue on note l’infinie variété des expressions dont certaines sont perdues, « se mettre à la nuit » (se mettre en état d’être surpris par la nuit) ou « à nuit fermante », déclinée en « à nuit fermée » et le bel adverbe « nuitamment » dont nous voudrions rétablir l’usage tant il sied à notre oreille. « Nuit » dont Gérard Genette trouve qu’elle a un timbre lumineux, là où le jour sonne plus obscur.

La lumière de la nuit plaît à l’oreille du critique autant que du poète. On chante souvent la nuit comme le lieu érotique par excellence : « Belle nuit, ô nuit d’amour », « Faites place à la nuit la plus belle du monde », « Entends ma chère entends la douce nuit qui marche ». Mais elle est aussi redoutée comme lieu de déchaînement des forces destructrices, du retour halluciné des images traumatiques : « Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle ».

La nuit poétique semble ainsi souvent se décliner au féminin. Lorsqu’elle est représentée, Nuit est souvent une femme avec un voile semé d’étoile, debout sur un char tiré par des chevaux noirs. Pour faire la paire avec Apollon et les chevaux de jour sans doute… mais tout de même, la nuit, la femme… on aimerait sortir ces dernières de leur continent noir et l’on se met à rêver à d’autres figures : un Endymion endormi, un insomniaque génial et exalté, ou pourquoi pas un renard argenté pour figurer la nuit.

Avant d’être un moment d’abandonnement délicieux, pour moi la nuit fut longtemps le moment des lions sous les lits et autres fantômes sans nom. Le moment des veilleuses et des étoiles plafonnées. Plus loin encore, le moment des berceuses et des boîtes à musiques. Encore encore plus loin, je ne sais plus, sorte de grand magma primitif, mystère d’une origine nuitamment tissée.

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