Calendrier du séminaire
Année 2019-2020

 

 


Le séminaire de Transitions se tient le mercredi de 18h à 20h ou le samedi de 11h à 13h, au Centre Censier, 13, rue de Santeuil, 75005-Paris.

 

 

 

Gaieté(s) de la littérature : style, émotions et transmission

2019-2020

 

Programme

Vous pouvez dès à présent réserver les dates suivantes !

Mercredi 16 octobre, de 18h à 20h (Censier, salle 418B) : table-ronde autour de textes permettant d’éclairer la gaieté de la littérature et de ses approches critiques.

Samedi 23 novembre, de 11h à 13h (Censier, salle à préciser) : Gaieté et sociabilité sous l'Ancien Régime (Sévigné, Beaumarchais).

Séance reportée au 15 janvier, de 18h à 20h (Censier, salle 221) : La gaieté comme style : au risque de la déliaison ? Raillerie de soi, impassibilité et « gaietés traumatiques » : enjeux démocratiques d'une réflexion sur la gaieté comme « style ».

Samedi 8 février, de 10h à 13h (Censier, salle 125) : Léo Stambul (répondante Tiphaine Pocquet) :  "Gaietés satiriques, de qui se moque-t-on ?" 

Mercredi 18 mars, de 17h à 20h (Censier, salle à préciser) : Jérôme David (répondant Adrien Chassain) : " La gaieté critique. " Voici un bref descriptif des enjeux de la séance : "Le sérieux le plus implacable, lorsqu’il gagne la critique, s’accompagne d’un appauvrissement des expériences de lecture. Il épargne aux exégètes de s’exposer à l’épreuve des textes étudiés ; il verrouille la réception de leurs relances interprétatives. Certains objets de connaissance et de plaisir exigent néanmoins plus de « jeu », c’est-à-dire un autre espace logique d’assertion savante. C’est le cas de la littérature mondiale et, je crois, de toute théorie de la littérature aujourd’hui. La « gaieté » en donne peut-être le ton, si l’on se rappelle que la critique est aussi un art de la conversation."

Argument

Le Roman comique de Scarron s’ouvre sur l’arrivée dans la ville du Mans d’un drôle d’équipage, une troupe de comédiens escortée par un petit poulain qui « allait et venait à l’entour de la charrette comme un petit fou qu’il était. » Ce détail gratuit donne le ton : il autorise un plaisir qui ne dépend pas d’une lecture au second degré, comme l’a souligné Hélène Merlin-Kajman[1], ni de la parodie subversive que l’on attendrait d’une œuvre burlesque, mais qui communique un élan de liberté, une bouffée d’enfance, une irrépressible gaieté. Tel est l’état d’esprit que le séminaire de Transitions, en cette année 2019-2020, visera à mieux comprendre, pour mieux le cultiver, fidèle en cela aux premiers mots de son manifeste : « Nous déclarons gaiement : / Un peu de mouvement. / Juste ce qu’il faut pour espérer[2]. » Nous chercherons à définir différentes sortes de gaieté, en suivant les façons dont elles se manifestent dans une écriture, puis sont mobilisées par des commentaires ou un enseignement pour créer des relations changeantes au sein d’un collectif de lecteurs. La préface des Fables (1668) de La Fontaine nous offre une définition fondamentale à partir de laquelle nous pouvons dérouler nos différentes questions sur la notion choisie : « Je n’appelle pas gaieté ce qui excite le rire : mais un certain charme, un air agréable qu’on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus sérieux. »

Gaieté et sociabilité

Commençons par nous demander à qui s’adresse ce « charme » : ne peut-il être apprécié que par des lecteurs choisis ? On sait que l’art de plaire évoqué par La Fontaine est, à son époque, un sujet qui passionnait un public spécifique, celui qui se réunissait dans les salons et qu’un vaste pan de la critique désigne comme galant ou mondain[3] : faut-il en conclure que le style plaisant des Fables est la marque d’un entre-soi, un signe de reconnaissance pour un milieu social restreint ? La question se pose naturellement au-delà des bornes du XVIIe siècle et de son « bel esprit », pour toutes les formes de connivence humoristique par laquelle un groupe de lettrés tend à se distinguer : qu’on pense aux mystifications pratiquées par Diderot et ses amis, au style potache du XIXe siècle, à l’ironie des philosophes ou des dandys. Si un mode de divertissement est parfois la signature d’un groupe d’initiés, on peut néanmoins considérer que le mouvement et le naturel qui caractérisent la gaieté, dans la conversation comme dans l’écriture, sont capables de faire bouger les limites entre groupes sociaux et d’instaurer une forme d’horizontalité dans l’échange.

Décrire le mode de sociabilité, de solidarité qui se dessine dans un texte enjoué implique dès lors de repenser les catégories d’analyse qui servent habituellement à nommer la dimension comique des œuvres d’art, car ces catégories ne sont pas neutres – elles disent implicitement les valeurs qui fondent l’adhésion à un collectif. Il n’est pas sûr que tout texte satirique, burlesque, grotesque ou parodique soit forcément gai, et inversement, la gaieté d’une scène burlesque pourrait susciter un rire qui ne soit ni insolent ni subversif, comme Hélène Merlin-Kajman et Brice Tabeling l’ont bien montré en analysant le burlesque du Roman comique de Scarron[4]. À la différence de certains rires et moqueries qui poussent un groupe à s’unir contre une cible commune, ou qui pétrifient sa capacité de ressentir les dégâts d’une parole ou d’un geste violents – ce seraient des « gaietés traumatiques[5] » –, le style empreint de gaieté véritable inviterait à tisser des liens sans exciter de haine ou de mépris. Il serait alors au croisement d’une forme de civilité, notion qui retient l’attention de Transitions depuis sa création, et d’une forme de poésie ou de musique, comme un allegro qui animerait le texte et imprimerait son mouvement à la lecture.

Gaietés réparatrices

Or, ce rythme allègre et enlevé peut aussi traverser l’évocation des sujets « les plus sérieux », insiste La Fontaine. En effet, peut-être la gaieté charme-t-elle surtout lorsqu’elle touche aux sujets de réflexion ou d’inquiétude, lorsqu’elle se fait l’écho d’une mélancolie, d’une plainte, d’un deuil. Elle offre alors des ressources pour dire avec pudeur une souffrance intime, mais aussi pour tenter de l’apaiser ou de l’enchanter. Lors du récent colloque de Transitions consacré à Littérature et trauma en décembre 2018, la psychanalyste Françoise Davoine a présenté une communication inspirée de son essai Comme des fous : folie et trauma dans Tristram Shandy, où elle fait du célèbre roman de Sterne, véritable Don Quichotte du XVIIIe siècle, le modèle d’un « bon dispositif » face au trauma[6]. Le personnage de l’oncle de Toby ferait office de « thérapeute » auprès de son neveu Tristram en l’invitant dans un espace transitionnel singulier, un jeu de boule ou « boulingrin » où « jouer à la guerre » ensemble. Comme l’annonce le titre du livre, c’est pour ne pas céder à la folie que ces personnages et leur auteur s’amusent comme des fous. Or, le livre de Davoine se présente sous la forme d’un dialogue avec son mari disparu, le psychanalyste Jean-Max Gaudillière, choix formel singulier qui donne à cet essai un air de conversation complice et qui redonne voix au disparu. On comprend que les vertus transitionnelles d’une écriture joueuse sont aussi à rechercher dans l’écriture d’ouvrages critiques ou théoriques, quelle que soit la discipline concernée. Que peut nous inspirer aujourd’hui le « gai savoir » emblématique des troubadours ou des humanistes, que Nietzsche avait repris à son compte ?

Enseigner gaiement

La diffusion du « gai savoir » est affaire de temps. En temps de nostalgie, on pensera la gaieté comme un temps révolu, mais elle peut aussi nous entraîner dans le tourbillon d’un présent insouciant et peut-être oublieux. Elle se pense aussi au futur, tournée vers un avenir que l’on se sent avide de découvrir, avec cette impatience qui serait caractéristique de la jeunesse. Pour les élèves comme pour leurs enseignants ou éducateurs, l’école constitue un lieu et un temps travaillés par le défi de répondre à un désir d’amusement qui se trouve facilement déçu, ou qui se manifeste par une gaieté parfois débordante. La frustration juvénile s’exprime dans nombre d’œuvres qui associent l’école à l’ennui, à la tristesse, ou à la modération contrainte des joies enfantines (certaines de ces œuvres parviennent d’ailleurs à dire les travers de l’institution avec un style d’une gaieté ouverte et bienveillante, à commencer par Chemin-d’école[7] de Chamoiseau). Mais faut-il pour autant que l’enseignement vise avant tout à tirer les élèves de leur ennui, à les « réveiller » par des jeux plus ou moins provocateurs ? La recherche constante d’un apprentissage ludique, la promotion d’une pédagogie du « choc » émotionnel censée retenir l’attention et mener à l’émancipation des jeunes ont de quoi laisser perplexe. Mais la gaieté comme modalité d’enseignement ou de partage des textes n’est pas réductible à ce dernier avatar.

Aussi vous invitons-nous à venir la peindre avec nous par petites touches, non dénuées de gravité, de tendresse et de rêverie. 

 

[1] « Le ‘corbillon’, une clé transitionnelle », Op. cit., revue des littératures et des arts [En ligne], « Agrégation 2019 », n° 19, automne 2018 , mis à jour le : 19/12/2018, URL : https ://revues.univ-pau.fr/opcit/455. 

[2] index.php/manifeste (page consultée le 1er octobre 2019).

[3] Voir notamment les ouvrages d’Alain Viala et d’Alain Génetiot à ce sujet. Alain Génetiot, Poétique du loisir mondain, de Voiture à La Fontaine, Paris, H. Champion, 1997. Alain Viala, La France galante : essai historique sur une catégorie culturelle, de ses origines jusqu'à la Révolution , Paris, Presses universitaires de France, 2008.

[4] Voir Hélène Merlin-Kajman, « Le ‘corbillon’, une clé transitionnelle », article cité. Brice Tabeling, « ‘Je fais dans mon Livre comme ceux qui mettent la bride sur le col de leur chevaux’ », Op. cit., revue des littératures et des arts [En ligne], « Agrégation 2019 », n° 19, automne 2018 , mis à jour le : 19/12/2018, URL : https ://revues.univ-pau.fr/opcit/459 (page consultée le 1er octobre 2019).

[5] Voir Hélène-Merlin Kajman, Lire dans la gueule du loup. Essai sur une zone à défendre, la littérature, Paris, Gallimard, coll. « NRf Essais », 2016, notamment p. 118-131.

[6]« Psychanalyse prénatale de Tristram Shandy par son oncle traumatisé de guerre le capitaine Shandy, qui inspira Winnicott, Wittgenstein et Bion ». À lire sur le site de Transitions : index.php/intensites/litterature-et-trauma/sommaire-general-de-litterature-et-trauma/1670-n-13-f-davoine-psychanalyse-prenatale-de-tristram-shandy-par-son-oncle-traumatise-de-guerre-le-capitaine-shandy-qui-inspira-winnicott-wittgenstein-et-bion (page consultée le 1er octobre 2019).

[7] Patrick Chamoiseau, Une Enfance créole II. Chemin-d’école, Paris, Gallimard, 2007. Il s’agit ici du cas très particulier de l’école coloniale et de la situation de diglossie qu’elle instaure.

 

 

 

 

 

 

 

 

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