Les Chats perdus, chapitre 22

 

Résumé des chapitres précédents

Dans le quartier des Pas perdus (qu’on appelle familièrement « quartier des Chats perdus »), des fleurs sont déposées mystérieusement chez les uns ou chez les autres : d’abord chez Furio Rosso, vieil italien retraité qui habite au dernier étage du 11, rue des Clartés ; puis chez Adélie Brancart, la concierge. Enfin, à la crèche tenue par Sacha Prizzi.

Cette dernière fleur a d’abord constitué un mystère. Car si Furio et Adélie n’ont deviné que peu à peu la provenance de « leurs » fleurs, le lecteur sait depuis le chapitre 8 qu’en fait, c’est le groupe un peu gauchiste, un peu anar sur les bords, formé par les compagnons de Sacha, qui agit : outre Sacha, Verlaine, Juliette et Mona travaillent à la crèche ; Hager y est souvent, car elle est son médecin attitré ; Manu, Vincent et Bruno sont les copains respectivement de Sacha, Hager et Mona ; Charly est un vieil ami de Sacha (c’est lui qui fournit les fleurs). La petite bande a décidé de remercier de la sorte des personnes choisies pour la manière qu’ils ont eue de « prendre parti » dans leur vie. Furio Rosso a reçu un lupin « pour avoir participé au collectif Arseno Lupino qui avait notamment écrit un livre sur l’éducation des plus jeunes », livre qui a inspiré le projet de crèche à Sacha et ses copines. Et Adélie Brancart, la concierge, une gueule de loup pour rendre hommage au premier squat qu’elle a créé avant de devenir concierge, et qui portait ce nom-là.

Mais pourquoi, dès lors, une orchidée à la crèche ?         

Dès le dépôt des lupins, Furio est allé porter plainte. L’inspecteur Malik Fall, mis sur la touche par son supérieur hiérarchique en raison de sa lenteur à mener les affaires, s’est lancé dans l’enquête avec tant de rigueur spéculative qu’il a fait naître chez le précédent l’hypothèse qu’il s’agit là d’un dangereux groupe de terroristes. Le commissaire a mis d’autres policiers sur l’enquête – et Malik a prévenu le groupe de Sacha en déposant lui aussi une fleur – et un Playmobil – faisant une sorte de rébus. Une entrevue entre lui et certains du groupe de Sacha a fini de les éclairer sur les dangers qu’ils courent.

Malik n’est pas seul à mener l’enquête, et le groupe de Sacha, pas seul à s’inquiéter. Lydia Brancart, la fille de la concierge, et son amie Rosalie, fille d’une peste de l’immeuble, Huguette Charis, professeur Agrégée de grammaire et présidente de l'Association culturelle des Pas Perdus. Lydia et Rosalie ont eu vent de ces fleurs, et décident d’enquêter sur le mystère. Elles sont par ailleurs amies d’Aglaé, fille d’Anselme Frey, un vulcanologue-volcanologue qui se trouve aussi l’ami d’un autre habitant de l’immeuble, Éric Dupont : les fillettes ont accès aux mails échangés entre les deux hommes et interprètent à tort et à travers les « indices » dont ces mails sont remplis.

Le premier lieu où chacun cherche des informations est le magasin de Sarah Madamet, l’ancienne éditrice récemment reconvertie dans les fleurs, fleurs rêvées et fleurs vendues qui lui font souvent vivre une sorte de cauchemar éveillé : il se trouve que Bruno, le copain de Mona, est aussi son associé.

Le chapitre 17 était consacré à la rencontre entre Malik Fall d’un côté, et Sacha, Mona et Vincent de l’autre. Au chapitre 18 a été annoncé qu’une fête allait se dérouler au 11, rue des Clartés, parallèle à la fête de la Musique et organisée par Huguette Charis – et que cette dernière a notamment demandé aux membres de la crèche de prévoir un spectacle pour occuper les enfants.

 

 


Grand mouvement autour de la vie

 

Barbara Kadabra

OU

Carlo Brio

François Cornilliat

Florence Dumora

David Kajman

Hélène Merlin-Kajman

Brice Tabeling

09/06/2018

 

Date : 21 juin à 12h11

De : Adélie Brancart <énièCette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.>

A : <Psy5@ CmppChatsPerdus.fr>

Objet : bavardage d’avant la Fête de la Musique

 

Chère Madame,

J’espère que vous allez mieux et que votre santé va bien se rétablir. Je devine que si vous vous êtes arrêtée, ça doit être grave un peu. Comme je vous l’ai dit au téléphone, oui, bien sûr, on repoussera la fin de ma psy à la rentrée. En tout cas, je vous remercie de m’avoir proposé de vous écrire. C’est vrai que comme on va bientôt finir, c’est un bon truc, un truc qui nous va bien, qui colle à mon départ (car c’est un départ, n’est-ce pas, pas une vraie séparation). Et en plus, figurez-vous, en me mettant devant l’ordi, je trouve que c’est un truc même exaltant. Je ne connaissais pas, mais alors pas du tout, l’état de bonheur dans lequel ça me met. Ou alors, ou alors ! Ah, mais oui ! Mais c’est si vieux ! Oui, oui, de l’école, quand même ! Mince alors. Figurez-vous que j’adorais les rédactions, ça me revient ! Mince alors, ça me revient d’un coup comme ça : je voulais être poétesse. Je vous jure : po-é-tesse, et j’écrivais ça : poëtesse… ! Super, super, comme dit ma fille. Vous êtes un peu sorcière, avouez-le (je rigole J).

Je vais quand même essayer de me calmer et de vous écrire tranquillement. Quand je suis face à vous, je suis tranquille : mais là, pas du tout. J’ai envie d’employer tous les mots d’un seul coup. De les lancer contre l’écran de mon ordi et de vous les balancer comme des jets de couleur, vous voyez le genre (un jour, à la télé, j’ai vu qu’il y avait des peintres qui faisaient comme ça : avec leurs pinceaux, ils ne touchent pas la toile, ils la bombardent. Non, non, ce n’est pas vous que j’ai envie de bombarder. Ou alors joyeusement… Peut-être plutôt ramasser les mots comme une gerbe de fleurs et vous les offrir d’un coup !)

(Décidément, toutes ces fleurs, ça frappe mon ciboulot.)

Pourtant, ces jours-ci, je n’ai pas trop de quoi m’extasier. Les résultats scolaires de Lydia m’inquiètent. Jonas attrape toutes les saloperies de microbes qui traînent à la crèche (ce n’est pas leur faute, aux filles de la crèche, même elles font tout ce qu’elles peuvent avec Hager : les fleurs dans les biberons, vous vous souvenez ? Bon, c’est pas tout à fait ça, elles font du kéfir et des trucs comme ça qu’elles donnent à boire aux plus grands, elles disent que ça renforce les défenses de l’organisme, et les mères qui ont l’habitude des crèches, elles disent que c’est vrai, les mômes sont moins malades – mais pas Jonas ! Ou alors, il faut croire que ça aurait pu être pire ! Et c’est difficile, les angines, les otites…).

Ma semaine a été mouvementée. C’est que, vous savez bien, j’ai un peu comme une machine à l’intérieur de moi, une machine branchée sur tout ce qui se passe autour de moi : ben, c’est incroyable ce qu’elle a pu vibrer, ma machine, cette semaine ! Rêves en pagaille, attaques en pagaille, des flics partout, cagoulés partout, et en voilà un qui vole Lydia et la donne à manger à une plante carnivore, un autre qui vole Jonas et l’envoie au milieu d’un champ de cactus (comme dans le désert de Lucky Luke, vous voyez, mais en plus serrés, impossible de ne pas être piqué de partout), je hurle et me précipite et les cactus deviennent tout doux, ça m’a quand même réveillée, le contraste. Je me rendors : il me reste Martin sur les trois, mais cette fois, c’est Martin qui se transforme en palmier marcheur (vous connaissez ? c’est vrai – pour vous épater j’ai cherché le nom, il s’appelle Socratea exorrhiza, c’est un arbre tropical). Bon, bien sûr, il ne court pas comme Martin courait dans mon rêve pour échapper à ses poursuivants, toujours les flics. Mais tout ça, à part le désert aux cactus, sale moment, tout ça se passait dans des paysages plutôt joyeux, avec des lapins leur courant entre les pattes (les pattes des flics je veux dire), des prairies qu’ils n’arrivent pas à saccager, des visages qui leur font des grimaces et leur ramollissent leurs boucliers – je vous jure ! Et même un joueur de flûte qui les taquine…

L’un dans l’autre, l’extase en moins, ça prouve que ça va, non ? Ce soir, c’est la fête de la musique ici, 11 rue des Clartés. Je vous le donne en mille, ici, ça s’appelle « Réjouissances vicinales de la Saint-Jean ». Oui, Huguette Charis, bien sûr : je vous ai déjà dit que ses parents habitaient déjà là quand mes parents étaient concierges ? Franchement, eux, ils étaient cools ! Un peu alcoolos sur les bords, un peu trop portés sur le cannabis aussi, ça indignait mon père, et la petite qu’on laissait traîner (la petite, c’était déjà une ado, on a presque dix ans de différence, elle et moi, elle fait semblant de ne pas se souvenir de moi, et puis elle et ses parents ont vécu je ne sais plus où un bon moment avant qu’elle ne revienne s’installer ici, je ne l’ai même pas reconnue tout de suite, avec son nom, Charis) ! En tout cas, je peux vous dire qu’elle ne traîne plus du tout, la petite Huguette, mais alors, plus du tout – et Monsieur Ernest Charis (ça ne s’invente pas), il part avant l’aube et il rentre à pas d’heure, il paraît qu’il est haut placé je ne sais trop où, grand patron de je ne sais trop quoi, ce sont des choses que j’oublie dès qu’on me les dit, en tout cas, ils ont tout le 8eétage à eux tout seuls, et un balcon presque aussi grand que la terrasse de Furio.

Et bref, Huguette Charis a passé la semaine à me harceler de questions et de demandes : il fallait que je reçoive le livreur de jus de fruits, que je veille à ce que tous les vélos soient retirés de la cour afin de placer toutes les chaises et que les gens aient retiré le linge qui pend entre deux fenêtres (ici, c’est un peu le midi, on s’amuse, il y a quelques habitants qui se sont mis d’accord pour tendre des fils, j’adore ça, les draps l’été qui chantent, pas Huguette qui râle que c’est interdit par le règlement de la copropriété, mais le règlement de la copropriété, ici, on s’en fout la plupart du temps quand on est tous d’accord pour les poussettes dans la cage d’escalier et les vélos dans la cour et les fils tendus entre les fenêtres) ; il fallait que je ressorte de la cave commune de l’immeuble les grosses gamelles dans lesquelles l’an dernier, à la même date, on avait fait réchauffer le curry de poulet commandé sur internet et qui était tellement fort que personne n’avait fini, alors cette année, c’est Furio qui va faire des spaghetti alla carbonarapour tout le monde (des « vrais », pas comme ceux que vous faites en France, franchement c’est pas ça, m’a-t-il dit, avec ce mélange de colère et de douceur qui est sa marque de fabrique à lui et qui m’apaise tant). Il faut aussi que ce soir, je surveille et ne fasse pas entrer une seule femme voilée si elle est accompagnée d’un homme barbu – si, si, je vous jure, elle a osé me demander ça (mais Furio et moi on a décidé qu’il y aurait aussi des pâtes vegan, ça contente plein de monde) ! Et puis aussi, que personne ne vienne avec des bouteilles de vin ni des cannettes de bière, il y a ce qu’il faut, rien de plus que ce qui est prévu, je vous prie, Adélie(oui, elle me parle comme ça. Mais maintenant, je m’en fiche).

Bon. Tous les enfants de l’immeuble sont surexcités et renversent les chaises pour faire des blocages (ils disent « blocus »). Ils ont vu les lycées bloqués à la télé, d’ailleurs les gamins du 7eétage et ceux du 2eaussi (ceux qui crachent par terre, c’est juste une pose, ils sont gentils et un peu pommés, mais c’est moi qui nettoie, sauf quand leurs parents s’en aperçoivent, ou moi quand je les prends) font partie du mouvement, je le sais parce que je fais le ménage chez eux et que leurs mamans m’en ont un peu parlé, elles sont inquiètes, avec toutes les images qu’on voit dès qu’il y a une manif maintenant, les black blocs et les flics, on dirait presque que la vie politique, ça se réduit à ce spectacle.

Je peux pourtant vous dire que ça ne date pas d’hier, le bordel dans les manifs, c’est pour ça que mon père détestait les autonomes, c’était un militant discipliné, mon père, il avait même fait partie du service d’ordre de la CGT ! Mais avant, les flics n’avaient pas de caméras avec eux et ne balançaient pas leurs images à la télé, et les journalistes, quand même, faisaient leur boulot sans leur aide ! Et les blacks blocs, moi je connais un peu comme vous savez, le principal problème, c’est que ça ne sert à rien de rien ou presque, j’ai mis un moment à le comprendre, ça ne sert à rien parce que l’affrontement avec la police donne l’illusion d’un affrontement politique, que dalle ! il faudrait qu’on soit une armée (et même… on risquerait de devenir comme les flics…).

Bon, mais c’est un peu court, quand même, bloquer des lycées pour protester parce qu’on veut leur imposer des uniformes. Et ils disent « uniformes », mais en fait ce sont des blouses, c’est pas pareil parce que la blouse ça se retire dès que vous êtes sorti du lycée et ça se fourre dans le sac, le tour est joué. Heureusement qu’ils ont ajouté un mot d’ordre un peu plus vrai, vous avez vu je suppose, Solidarité contre les bavures policières. Mais quand même, la dernière « erreur » de la police, comme dit Huguette (je vous jure, elle m’a reprise l’autre jour parce que moi, je disais devant Lydia et Rosalie que là, ce n’était pas une bavure, parce qu’une bavure, c’est quand on ne le fait pas exprès), la dernière « erreur », elle date d’il y a deux mois, alors tant qu’à faire, ils feraient mieux de bloquer les lycées tout de suite, sans attendre une petite histoire de blouse pour se mettre en mouvement. Moi je trouve ça un peu tristounet, et après tout, je ne sais pas si je suis vraiment contre la blouse, c’est une manière de dire l’égalité, je ne sais pas, moi… Tandis que le gamin black qui s’est fait tabasser il y a deux mois, ça, ça me coupe le souffle encore maintenant, ça me révolte, ça me, ça me… on est d’accord, vous et moi, même si ça me démolit, on ne va pas essayer de changer mon « inconscient » là-dessus, hein ! Et je n’ai pas pu faire la manif parce que je n’avais trouvé personne pour garder Martin et Jonas. Les emmener en manif, non, là, je ne suis pas d’accord…

Où en étais-je ?  Vous m’avez dit de ne pas me relire et de vous envoyer mon truc comme ça, j’ai topé, alors je tape (J), j’avance, je continue, débrouillez-vous (J) ! (vous ne saviez pas que j’adorais les smileys, hein. C’est plus difficile pour vous, pas de jeu de mots en perspective…)

Le temps a l’air d’être beau, ça c’est sympa pour ce soir. Il y a un flic que j’avais vu au commissariat avec Malik Fall, un jeune, qui est passé d’un air gêné pour demander s’il fallait réserver pour être de la fête ce soir. Il n’a pas dû voir que je l’ai reconnu. Il portait une casquette visière à l’envers, flamboyante, c’est un flic en civil comme Malik, mais pas toujours, Furio les croise souvent au Thermomètre. J’avais envie de lui demander s’il était déjà déguisé (oui, parce que ce soir, c’est déguisé…). Le spectacle, il me dit. On est deux, on a entendu parler du spectacle, et mon ami dit que ça va être plein de présupposés hilarants, alors on voudrait bien assister au spectacle. Je lui ai dit qu’ils n’avaient qu’à arriver en avance, c’était pas plus compliqué que ça.

Les filles de la crèche et leurs copains sont venus hier soir pour installer des trucs dans la cour en prévision du spectacle et pour répéter un peu. Au moment où ils repartaient, je leur ai offert de la bière, et on a découvert qu’on n’aimait pas vraiment Huguette Charis, les uns et les autres, et comme ça on a bavardé un bon bout de temps dans la cour à casser du sucre sur son dos, il faisait bon, j’avais un œil sur les gosses par la fenêtre ouverte de la loge. Et celle qui s’appelle Sacha m’a demandé des nouvelles d’Eric Dupont, le père, parce que ses parents ont commencé le théâtre avec lui quand il faisait des colos de théâtre et qu’ils étaient gamins. Alors là, le monde est petit quand même, non ? Et alors, elle sait faire du théâtre parce que ses parents lui ont appris ? Oui, elle m’a dit. Un peu évasive, le regard triste. Brusquement je me suis demandé si ses parents vivaient encore ou un truc comme ça, j’ai rien demandé de plus, surtout en public comme ça. Moi j’ai raconté les cours d’impro dans la cour quand j’étais gamine, Huguette faisait la star mais n’obéissait pas à son rôle, et ça rendait furieux Eric (on l’appelait Eric), l’impro, il faut de la discipline, il faut écouter les autres, sinon ça ne marche pas, on doit emboîter le pas, je me souviens de cette leçon-là, vous jouez ensemble, en-semble, pour le public, pas pour vous, il répétait ça tout le temps, Eric. Ça nous a bien faire rire de penser qu’Huguette Charis à cette époque n’avait pas de discipline, mais en même temps, cette discipline-là, il faut écouter les autres, vous jouez ensemble, ça ne nous a pas surpris qu’elle ait jamais pu l’apprendre… Bon, mais Eric Dupont, il est arrivé hier, parce qu’il y aura pas mal d’anciens ce soir, au moins voilà une bonne initiative d’Huguette ! Sacha m’a semblé très émue quand elle a appris qu’il ferait partie des spectateurs. Elle m’a demandé s’il s’entendait bien avec son fils ? Alors là, j’en sais rien du tout, je lui ai dit.

Je leur ai aussi demandé s’ils connaissaient Malik Fall. Là, je dois dire que j’ai jeté un froid. Mais quand je leur ai raconté que le petit jeune, Kevin, était passé pour réserver deux places « à cause des présupposés hilarants du spectacle » qu’ils préparent, ils ont semblé comprendre et être très contents, soulagés quoi (ma machine… elle a senti quelque chose comme ça qui passait sur les visages… Je peux me tromper, hein…). « Et le commissaire ? », m’a demandé Hager. « Le commissaire ? » Mais moi, je ne sais pas à quoi il ressemble, le commissaire…

Chère Madame, je vous laisse, les trois quarts d’heure sont passés, vous m’avez dit de faire ça le temps de la séance, moins si je voulais, mais pas plus…

Bien cordialement,

Adélie Brancart

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Paris, le 23 juin 2017

 

Chère Sarah,

Vous serez peut-être surprise de recevoir ma lettre. C’est parce que, vous le savez sûrement, la poste n’ouvre pas les lettres. En tout cas c’est ce que mon père m’a appris. Alors pour vous écrire ce que j’ai à vous écrire, c’est plus sûr.

Vous serez surprise aussi peut-être parce que ça va vous étonner qu’une concierge écrive. Figurez-vous que j’étais très forte en français au lycée. Figurez-vous, ça va peut-être vous faire rire, vous qui êtes du métier, que je voulais même devenir poétesse. Bon, et je sais encore écrire. Je sais qu’on n’écrit pas comme on parle, c’est même pour ça que j’adorais ça et que je voulais en faire mon métier (dans tous les papiers que mes parents devaient remplir, il y avait une question du genre : « projet professionnel de votre enfant ». Et à chaque fois, je disais : « poétesse », et, à chaque fois, ma mère hurlait que je finirais concierge…! On partageait pourtant ça, elle et moi : on aimait lire. Oui, ma mère me lisait des livres à haute voix quand j’étais petite, puis plus tard, elle lisait les mêmes livres que moi pour qu’on en discute. Mais elle a eu raison, j’ai fini concierge, la poésie, ça mène à ça, une loge 11, rue des Clartés, où il se passe des histoires de fleurs. Car les fleurs, ça m’a réveillée. Donc, je vais vous parler de poésie, en fait. Parfaitement.)

Bon, mais si avant-hier on n’avait pas bavardé ensemble, franchement, jamais je n’aurais osé. Mais on s’est plutôt bien comprises, non ? Et ça, vos confidences, votre confiance, quoi, c’est un beau cadeau que la vie me fait, grâce aux filles de la crèche, au fond. D’ailleurs, c’est pour ça que je vous écris évidemment. Ça fait deux jours que j’y pense sans arrêt. Avec Furio, hier soir, on a parlé et reparlé aussi, et on est d’accord. Et Furio va se présenter pour devenir Président de l’Association culturelle des Pas Perdus contre Huguette Charis la semaine prochaine, quand il va y avoir l’assemblée annuelle. Lui, il a plein de temps, et moi, je me présenterai au bureau avec lui. Tout le monde en a marre, d’Huguette Charis. On s’en fout qu’Hager porte le voile et fasse Ramadan, nous ! Dans l’immeuble, il y a deux familles juives qui chacune ont un bébé à la crèche, et elles chantent les louanges d’Hager, et pourtant, il y en a une qui est très religieuse et pas particulièrement de gauche à ce que je crois, vu les journaux qu’ils reçoivent, alors qu’est-ce qu’elle a avec son délire, Huguette ? On a commencé à travailler au programme, et après ça, si les gens préfèrent Huguette Charis, alors tant pis, le monde est foutu, on peut aller planter des choux et se la couler douce en attendant égoïstement la fin de la planète, hein !

Bon, c’est pas pour ça que je vous écris, pardonnez-moi. Il faut aller vite, et il y a ces cons de flics partout autour de nous, on n’est même pas sûrs de tous les connaître. Voilà pourquoi finalement j’ai pensé à la poste !

On a rassemblé tout ce qu’on sait, Furio et moi ; et aussi tout ce que tout le monde sait ou à peu près, maintenant, grâce à la pièce de théâtre des filles de la crèche. C’était génial, pas vrai : quand Furio sera président, on a l’intention d’organiser des spectacles régulièrement dans la cour, parce qu’on a une sacrée chance d’avoir cette grande cour ici ; et une sacrée chance d’avoir plein de gens vraiment supers autour de nous (on compte sur vous !). Mais on s’est dit que le spectacle des filles de la crèche, ça ne suffisait pas. D’abord, on n’est jamais certain de ce qu’un flic comprend ou pas. Donc, il faut enfoncer le clou. Ensuite, on a envie de solidarité : on ne va quand même pas laisser ces jeunes-là dans le risque de pétrin où ils sont, et c’est si beau, ce qu’ils font ! Enfin, on a aussi envie d’action, de se sentir vivants. Voilà ce qu’on s’est dit, Furio et moi.

Donc, voilà comment on a compris les choses (grâce à un ex-copain devenu flic, je vous raconterai, j’avais une petite longueur d’avance pour comprendre ce que Furio n’avait pas compris ; et puis les fausses-vraies pistes de Lydia nous ont aidés ! et puis j’ai vu avant-hier qu’ils sont venus vous parler après le spectacle, avant de s’éclipser. Peut-être que vous aurez des éléments à nous apporter aussi).

Ceux de la crèche ont envoyé des fleurs en mode de remerciement à des gens qui avaient fait dans leur jeunesse des choses qu’ils trouvent belles et utiles. Mais ils ont choisi des moyens pas complètement légaux, c’est sûr (on pense qu’ils aiment ça). Furio (quelle crétine j’ai été, de le pousser à aller au commissariat) a porté plainte, et même s’il l’a retirée ensuite, une enquête a été ouverte. Là, quelqu’un a fait du zèle (Malik ?). Il a rapidement compris que c’était le groupe de la crèche. Mais comme il y a Hager, il a imaginé sans doute que c’était un complot terroriste. Et par les temps qui courent, ça sent le brûlé. Bon, là, il y a un passage pas très clair : le rôle de Malik dans tout ça ? (Vous avez vu comment il était déguisé, en imperméable de flic avec un petit chapeau triangulaire sur la tête qui lui donnait l’air d’un point d’interrogation auquel on aurait mis un accent circonflexe ? c’était une énigme à ciel ouvert à lui tout seul !). En tout cas, il y a quelque chose qui nous concerne, Furio et moi, et Hassan qui a aussi reçu des fleurs. Et on sait pourquoi : on aime ça, on est d’accord, et on peut le dire, et on veut le dire (le pot de fleurs arlequins renversé sur le sol et sans un mot chez Eric Dupont, c’est aussi ça, je crois : comme Eric père ne vit plus là, il est remercié à travers son fils mais à moitié, un truc de ce genre, vous voyez).

Vous avez peut-être remarqué qu’il y avait deux sortes de fleurs dans le spectacle : celles qui racontent ce qui s’est passé (le lupin, la gueule de loup, la fleur arlequin, j’ai aussi noté des tulipes, Furio pense que ce sont les fleurs du bouquet reçu par Hassan, mais il ne sait pas pourquoi) ; et puis des fleurs qui sont plutôt là comme des armes : le géranium, et le cactus. C’est là qu’on a un peu besoin de vous. On voudrait envoyer des tas de géraniumsà la crèche – et envoyer des tas de cactusau commissariat – et un tout petit bouquet spécial à Huguette Charis, un petit bouquet plein de présupposés réjouissants (oui, je connais ce mot-là, c’est Cornélius qui me l’a appris, et ma psy qui me l’a expliqué – vous voyez qui c’est, Cornélius ? Il va nous filer un coup de main, et Hassan aussi). J’ai regardé sur internet, j’ai vu qu’il y avait le pétunia (colère), la renoncule (enfantillage) et l’œillet jaune (mépris) : ma foi, un petit cocktail de ce genre, ça nous irait très bien.

Vous vous demandez peut-être comment on va déposer tout ça. La crèche, on a pensé que vous pourriez peut-être mettre Bruno dans le coup (si vous êtes d’accord, bien sûr). Huguette Charis, pas compliqué : un copain va sonner à sa porte en se faisant passer pour un livreur de fleurs, il y aura un petit mot, si vous voulez, on l’écrira ensemble, avec Furio, vous êtes sûrement plus douée que nous pour ça. De toute façon il faut des mots à chaque fois, on aimerait bien compter sur vous.

Pour le commissariat, c’est plus difficile. Finalement, voici ce qu’on a pensé : on envoie les cactus par la poste. Un cactus par paquet, et autant de paquets que ce que vous pouvez nous fournir de cactus. On est plusieurs dans le coup : Hassan et Cornélius ; et Francis, le copain de Furio ; et tous mes « ex » : ça sert parfois ! Solférino, je me méfie, il gardera la loge pendant que j’irai à la poste. Et Rosa, la fille de Furio aussi, elle est super sympa… On va aller de poste en poste le même jour pour ne poster qu’un paquet à la fois. Et le tour est joué. Peut-être qu’on recommencera encore le lendemain, c’est à voir. Rosa travaille à la poste, elle peut nous aider. Plus que deux jours, pas la peine d’y songer, ils seront à nos trousses ! On doit les doubler…

Oui, parce qu’après, tout de suite, Furio et moi, on écrira à tous les journaux en même temps pour dire que c’est nous. On va écrire un beau texte (là aussi, on aimerait bien que vous nous aidiez). On le fera signer par tous ceux qui veulent nous soutenir, dans l’immeuble, dans le quartier. Ce sera même le manifeste du nouveau programme de l’association.

Je précise qu’on peut payer (on a des tirelires, Furio et moi, ça vaut le coup de faire un petit effort). Après, avec la pétition, on demandera de l’argent, on espère bien en récupérer un peu… Après tout, peut-être que ça va vraiment faire un fait-divers !

Il est tard, je vous quitte pour aller jeter ma lettre à la boîte. On peut faire le point quand vous voulez. Je vous laisse mon n° de téléphone au cas où : 06 07 86 07 66.

Je vous serre les mains chaleureusement, et même, je vous embrasse,

Adélie

 

PS : j’ai dépassé l’horaire de la levée du courrier à côté de chez moi. Je vous déposerai ma lettre demain, au magasin, pour ne pas perdre du temps. En fait, c’est encore plus sûr – je ne crois pas être suivie, quand même !

 

*

*   *

 

Date : 27 juin à 12h18

De : Adélie Brancart <énièCette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.>

A : <Psy5@ CmppChatsPerdus.fr>

Objet : effroi

 

Chère Madame,

Pardonnez-moi, je n’ai pas pu vous écrire hier après-midi, vous allez comprendre pourquoi. Au moment où je m’y mettais, mon téléphone sonne, un numéro que je ne connais pas. Je décroche, et là… là… Le ciel m’est tombé dessus ! La principale du collège elle-même, qui me dit : « votre fille et son amie Rosalie Charis viennent d’organiser un acte délictueux dans l’établissement scolaire : elles sont allées avec toutes les quatrièmes, et des élèves de troisième aussi, couper toutes les fleurs du jardin Marcel Proust et les ont jetées devant mon bureau en criant : « on veut des catleyas, pas des uniformes », « Odette, au pouvoir ! », et d’autres slogans du même genre, dont certains si grossiers que je ne vous les répèterai pas. D’ailleurs, vous ne pouvez pas comprendre. C’est en rapport avec un cours de français, et c’est leur seule circonstance atténuante : parce que vu le visage ravi de leur prof de français, il faut croire que cette enseignante les y avait encouragées. Il faudra élucider ça naturellement. Et ils étaient tous cagoulés, et portaient des foulards pour cacher leurs visages – des cagoules de couleur, des foulards à fleurs ! Achetés la plupart samedi ! Avec préméditation ! Et la complicité de certains parents ! Les élèves, dirigés par votre fille et sa comparse, ont forcé la serrure de la porte qui sépare la cour du jardin, et certains ont même escaladé la grille, au risque de se rompre les os. Mais en attendant, votre fille et sa compagne sont renvoyées pour trois jours avant de passer en conseil de discipline. Et le responsable du jardin Marcel Proust a l’intention de porter plainte contre X. » J’ai voulu lui poser des questions, mais elle ne m’en a pas laissé placer une, elle m’a dit qu’elle n’avait pas le temps, et elle a raccroché.

Je ne sais pas si vous connaissez le Collège des Pas Perdus, mais il est enclavé dans le jardin Marcel Proust, il n’y a qu’un grillage qui sépare le jardin de la cour de récréation. Quand j’ai raccroché, j’étais assommée. J’ai vu ma fille en prison, j’ai vu qu’elle allait finir comme moi, une arrachée, une marginale, comme moi, la drogue, la déglingue, les squats, la honte, etc. De ma faute ! Peut-être que c’est dans les gênes ! Parce que le pire du pire, vous ne devinerez jamais ! Jeudi soir, justement, avec Furio, on a mis sur pieds une action de brigandage horticole, comme il dit. J’ai même écrit à Sarah Madamet vendredi soir, on s’est rencontrés dimanche dans le magasin fermé, elle, moi, Furio et Bruno. Et ça y est, c’est réglé, c’est en train, je ne peux pas vous en dire davantage, mais on était fiers de nous, oui, fiers de nous !

Mais le jeudi, quand on discutait chez Furio, lui et moi, Martin et Estelle jouaient, et franchement, j’aurais pas cru, mais après ça Martin a tout raconté à Lydia… Je ne savais pas que Martin s’était pris au jeu de l’enquête de Lydia et de Rosalie. Il n’a que six ans, en CP, non, mais vous voyez ça ! C’est de ma faute ! Je voulais que mes enfants, la vie aille mieux pour eux que pour moi ! Si seulement Solférino était un vrai père pour Lydia ! C’est de ma faute, voilà ce que je pensais (quand elle a raccroché, la principale, je me suis effondrée en larmes, je ne vous dis pas !) ! Pourquoi j’avais fait une fille avec un con pareil ! Il voyait jamais sa fille ! Voilà tout ce qui m’est passé par la tête, à la vitesse d’un tsunami ! Et alors, je n’avais pas seulement raccroché que voilà Huguette Charis qui me tombe dessus à son tour ! La principale l’avait appelée juste avant moi, manque de pot, c’est pas un jour de cours (ça, je savais, elle a dû recevoir un bouquet de fleurs ce matin) et elle était chez elle, dans l’immeuble, quoi ! Une furie ! Vous ne pouvez pas vous imaginer les horreurs qu’elle m’a dites ! J’étais une terroriste, elle savait par Rosalie que j’avais été une vagabonde, une anarchiste, une révolutionnaire dangereuse, elle n’aurait jamais dû autoriser sa fille à devenir l’amie de la mienne, elle avait toujours su que ça se terminerait mal, d’ailleurs je soutenais les djihadistes, et quand j’étais petite, ça se voyait que j’étais sournoise, et mon frère, une graine de délinquant, il avait d’ailleurs été surpris un jour avec du haschisch sur lui, il avait même passé la nuit au poste, et mes parents, c’étaient déjà des communistes…

Alors là, là, ça m’a réveillée. Mais alors là, d’un coup. J’ai vu ma mère. J’ai vu mon père. Il avait beau détester, mais alors, détester les autonomes, jamais il n’aurait dit des conneries pareilles. Il avait le sens du respect. Et il savait quand même distinguer des gamineries et des crimes ; et aussi des gamineries et des actes politiques, même si la confusion des genres l’agaçait.

Et puis, c’est votre visage qui m’a aidée. Et quand vous et moi nous rions ensemble. Je me suis brusquement souvenue d’un moment du spectacle : Bruno, l’employé de Sarah Madamet, déguisé en petite fille qui arrose les pieds du flic ! Je n’avais pas compris l’allusion à Lydia et Rosalie ! Ça m’a fait rire ! Oui, je me suis mise à rire, à rire ! Elles ont raison d’arroser, non ?

Et puis, je l’ai poussée dehors (elle avait frappé à ma loge, et imaginez qu’elle était entrée sans attendre que je le lui permette). Je l’ai poussée dehors : avec mes mains. Là, je ne riais plus du tout. J’étais en colère. Ophélie passait juste à ce moment-là avec son mari et Eric père, que je n’avais pas encore revu depuis la fête de mercredi. Ils nous ont regardées et se sont arrêtés. J’ai raconté. J’étais blême de colère. Parce que vous comprenez, c’est toute la société qui marche sur la tête. Vous avez des hommes politiques qui font des vols gigantesques sous nos yeux, vous avez des financiers, des banquiers, qui s’enrichissent comme jamais partout dans le monde, des salauds comme mon père croyait que bientôt, on ne les verrait plus puisque la révolution, c’était pour demain. Pire : vous avez des gens qui crèvent en mer parce qu’ils fuient la misère, les massacres, la torture. Vous avez des fous qui tuent des gens pour aller au paradis. Et des gamins qui coupent des fleurs pour faire un acte héroïque, on les traite comme des terroristes !

Les deux Dupont et Madame Mesrine ont réagi de manière vraiment super. Bon, Eric (le père), ça ne m’a pas étonnée. Les cagoules colorées et les foulards à fleurs, ça lui a vraiment plu ! Et quand j’ai répété le slogan sur les catleyas, et « Odette au pouvoir », il était mort de rire : « elles méritent une médaille, ces deux filles ! ». Huguette s’est retrouvée comme une conne devant lui.

Mais Ophélie et Eric fils, je n’en savais rien, en fait, comment ils réagiraient (après tout, Jacques Mesrine, ça n’a quand même à peu près rien à voir avec nos affaires de fleurs, sauf avec ma date de naissance – ma mauvaise étoile, alors ?). Mais Ophélie a tout de suite dit qu’elle connaissait bien le directeur du jardin Marcel Proust, c’est un collectionneur. Elle a dit qu’elle allait tout de suite l’appeler, lui faire comprendre qu’il se couvrirait de ridicule en portant plainte.

Le soir, ils m’ont invitée à prendre un verre chez eux, avec Furio. J’ai rien changé aux habitudes : Lydia gardait Jonas et Martin, elle avait le droit de regarder un film jusqu’à 21h, après elle se couchait, elle savait où j’allais. Je suis montée à 21h30. Il y avait Anselme Frey, qui nous a dit que Lydia et Rosalie étaient devenues des stars pour sa fille. Et on était un peu soûls, Furio et moi, avec le vin qu’ils nous servaient en nous racontant des choses de leur jeunesse – eux, ce sont d’ex-gauchistes, comme Eric père, et ils ont chacun des enfants de mon âge à peu près, ça, je savais pas, juste un peu plus jeunes, ils vivent à l’étranger, ils ont raconté les adolescences, la fatigue, l’inquiétude ! Et que tout finit bien qui finit bien, en gros, toujours – mais on a aussi parlé de la jeunesse de maintenant, de l’avenir qui ne tourne pas rond, qu’on les comprenait (les abeilles qui meurent, les cyclones, les plastiques ingurgités par les poissons, etc.) : bon, des idées qu’on a tous un peu, hein, il suffit de raisonner un peu, mais ça faisait du bien d’entendre qu’on les pensait ensemble, et l’impuissance, que faire – vous voyez le genre. Bref, parce que ça faisait du bien, et qu’on en a marre justement de l’impuissance, et parce qu’on buvait un peu trop, on leur a dit ce qu’on était en train de faire... Ça aurait pu mal tourner. Mais ils ont été enthousiasmés. Ils sont pour, ils vont nous aider. Je ne peux pas vous dire plus. C’est confirmé ce matin même à jeun : Ophélie m’a fait un clin d’œil et un grand sourire en passant devant la loge ce matin. Et ce sera génial.

Bon, mais avant de monter chez les Dupont, quand Lydia est rentrée du collège, on a parlé. Parlé, et parlé, et reparlé. D’elle, de Solférino, de moi, de tout. De politique et d’adolescence. D’elle, fille de concierge, de Rosalie, fille d’une prof de grammaire (et pourtant, Rosalie ne lui fait jamais sentir : seulement, c’est plus fort qu’elle, elle sent quand même). On a pleuré. Je lui ai dit que je comprenais sa rage contre nous – son père, moi (je m’aidais de vos phrases, et votre air bon).

Cet été, c’est décidé. J’hésitais, mais c’est décidé : je pars avec les trois enfants, et Simon et Luc, ça va bien entre nous maintenant. Solférino, on va lui proposer, ça va, on saurait gérer, je crois. On va emmener les gosses un peu partout où on a vécu, les squats et tout ça. On reverra de vieux copains. Il y en a qui se sont rangés, d’autres pas du tout, ils luttent ici ou là. Je ne parle pas des dévastés, on évitera, mais pas comme des pestiférés quand même. On veut pas de ça. On va leur montrer tout ça. On va critiquer et être fiers de nous. Voilà.

Très cordialement,

Amélie Brancart.

 

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