Les Chats perdus, chapitre 21

 

Résumé des chapitres précédents

Dans le quartier des Pas perdus (qu’on appelle familièrement « quartier des Chats perdus »), des fleurs sont déposées mystérieusement chez les uns ou chez les autres : d’abord chez Furio Rosso, vieil italien retraité qui habite au dernier étage du 11, rue des Clartés ; puis chez Adélie Brancart, la concierge. Enfin, à la crèche tenue par Sacha Prizzi.

Cette dernière fleur a d’abord constitué un mystère. Car si Furio et Adélie n’ont deviné que peu à peu la provenance de « leurs » fleurs, le lecteur sait depuis le chapitre 8 qu’en fait, c’est le groupe un peu gauchiste, un peu anar sur les bords, formé par les compagnons de Sacha, qui agit : outre Sacha, Verlaine, Juliette et Mona travaillent à la crèche ; Hager y est souvent, car elle est son médecin attitré ; Manu, Vincent et Bruno sont les copains respectivement de Sacha, Hager et Mona ; Charly est un vieil ami de Sacha (c’est lui qui fournit les fleurs). La petite bande a décidé de remercier de la sorte des personnes choisies pour la manière qu’ils ont eue de « prendre parti » dans leur vie. Furio Rosso a reçu un lupin « pour avoir participé au collectif Arseno Lupino qui avait notamment écrit un livre sur l’éducation des plus jeunes », livre qui a inspiré le projet de crèche à Sacha et ses copines. Et Adélie Brancart, la concierge, une gueule de loup pour rendre hommage au premier squat qu’elle a créé avant de devenir concierge, et qui portait ce nom-là.

Mais pourquoi, dès lors, une orchidée à la crèche ?         

Dès le dépôt des lupins, Furio est allé porter plainte. L’inspecteur Malik Fall, mis sur la touche par son supérieur hiérarchique en raison de sa lenteur à mener les affaires, s’est lancé dans l’enquête avec tant de rigueur spéculative qu’il a fait naître chez le précédent l’hypothèse qu’il s’agit là d’un dangereux groupe de terroristes. Le commissaire a mis d’autres policiers sur l’enquête – et Malik a prévenu le groupe de Sacha en déposant lui aussi une fleur – et un Playmobil – faisant une sorte de rébus. Une entrevue entre lui et certains du groupe de Sacha a fini de les éclairer sur les dangers qu’ils courent.

Malik n’est pas seul à mener l’enquête, et le groupe de Sacha, pas seul à s’inquiéter. Lydia Brancart, la fille de la concierge, et son amie Rosalie, fille d’une peste de l’immeuble, Huguette Charis, professeur Agrégée de grammaire et présidente de l'Association culturelle des Pas Perdus. Lydia et Rosalie ont eu vent de ces fleurs, et décident d’enquêter sur le mystère. Elles sont par ailleurs amies d’Aglaé, fille d’Anselme Frey, un vulcanologue-volcanologue qui se trouve aussi l’ami d’un autre habitant de l’immeuble, Éric Dupont : les fillettes ont accès aux mails échangés entre les deux hommes et interprètent à tort et à travers les « indices » dont ces mails sont remplis.

Le premier lieu où chacun cherche des informations est le magasin de Sarah Madamet, l’ancienne éditrice récemment reconvertie dans les fleurs, fleurs rêvées et fleurs vendues qui lui font souvent vivre une sorte de cauchemar éveillé : il se trouve que Bruno, le copain de Mona, est aussi son associé.

Le chapitre 17 était consacré à la rencontre entre Malik Fall d’un côté, et Sacha, Mona et Vincent de l’autre. Au chapitre 18 a été annoncé qu’une fête allait se dérouler au 11, rue des Clartés, parallèle à la fête de la Musique et organisée par Huguette Charis – et que cette dernière a notamment demandé aux membres de la crèche de prévoir un spectacle pour occuper les enfants.

 

 


Reconnaissances

 

Barbara Kadabra

OU

Carlo Brio

François Cornilliat

Florence Dumora

David Kajman

Hélène Merlin-Kajman

Brice Tabeling

03/03/2018

 

Date : Ven 23/06/2017 – 20:52

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Objet : néant

D’accord : une catharsis de ce tonneau, ça n’arrive pas tous les jours. Louise en souriait sur skype ; elle à qui, ce même mercredi béni (premier round de la procédure d’appel), ses pairs suant de gêne n’avaient pas fait peur non plus – juste pitié. Louise qui avait raison, pour le polar. Mais tort, pour le coupable : c’était bien Bruno, passé aux aveux ce soir-là, dans l’euphorie du ponch et des pâtes. Tu le revois, l’air presque grave, la voix pour une fois tendue ; mais la main posée sur la fine épaule de Mona. Tu repasses l’éponge, non sans complaisance (ni te souvenir que Rosso en a fait autant pour toi : si le pardon s’achète, c’est d’abord dans la tête). Le délicat vandale a promis de rendre un landate complet, payé de ses deniers ; tu n’en demandais pas tant, mais tu te revois, deux verres plus tard, ayant trouvé en prime le cran d’obéir aux ordres (« va voir Furio et Adélie ») et de bazarder ton soi-disant costume. De toute façon « Fleur de Tarbes » n’était pas un déguisement viable, je te l’avais dit : plusieurs paires d’yeux ronds te l’ont confirmé. Littéraire pour littéraire, pourquoi n’être pas venue en « Fleur du mal » bien maladive, ou ficelée dans la guirlande de roses de ton fictif confrère Jacques Silvert ? Mais des occasions manquées, tu te moques désormais ; de ta manie de regretter, tu sembles avoir perdu l’usage. J’admets d’ailleurs que si le rhum t’a servi, ce n’est pas lui qui t’a sauvée, sortie du labyrinthe. Sarah sereine ! On aura tout vu. Et moi, de quoi ai-je l’air, maintenant ?

 

Date : Ven 23/06/2017 – 21:17

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Objet : néant

Tiens, pas plus tard qu’hier, lendemain de fête : les deux épais – Meunier et Mounier, ça ne s’invente pas – refont tinter le carillon de Dites-le avec... Automatiquement je guette ta frayeur, j’affûte mes flèches. Et voilà que ces crétins te font rire ! Ils s’étaient renseignés, documentés, monté le bourrichon sur Rhyncholaelia. L’œil vissé sur le monstre de la vitrine, ils sondent les connaissances qu’ils t’attribuent (Bruno est parti chercher son cattleya) sur les gangs honduriens et leurs connexions – parisiennes, djihadistes, pourquoi pas : qui se ressemble s’assemble. Un peu fanée déjà, l’énorme Rhyncho n’en joue que mieux son rôle : livide, crochue, lançant – aux passants, à la République voisine, à la Tour pralinée d’en face – un défi antédiluvien. On l’imagine tatouée sur un crâne de mara, peinte sur les flancs d’un fourgon de cocaïne. Le terrifiant message est clair, il sera donc déchiffré ! La menace étouffée dans l’œuf ! L’eurêka des duettistes est si laborieux qu’il en devient surréel : non seulement tu ne crains plus leurs soupçons, mais ils te mettent en joie. Du coup tu les promènes, en pouffant comme une collégienne : savent-ils, par exemple, qu’à San Pedro Sula les maras se servent des Heliconia comme boîtes aux lettres, et transmettent leurs messages de mort par oiseaux-mouches ? Or tu en attends une caisse (d’ Heliconia, pas de colibris). Ce n’est pas si malin de ta part, puisqu’ils reviendront fatalement cuisiner, en Bruno, l’énigmatique Indien sous le Barbier de Sèvres ; mais sur le moment ta trouvaille t’enchante. Meunier-Mounier visualisent mal : l’image tremblote sur leur disque pas si dur, saturé de photos gore (machettes, mitraillettes, corps musculeux, corps démembrés). Au vrai, ils ne sont pas idiots à ce point ; mais n’en prennent pas moins note. Pour les récompenser, tu leur offres à chacun... un arum, pas moins, dit « arum des fleuristes » pour le distinguer de ses invendables cousins à l’odeur de charogne. Celui-ci sent bon, mais ce n’est pas pour autant une fleur subtile. Mounier-Meunier ne savent pas quoi faire de sa longue et creuse tige, ni quoi penser de son pertuis blanc, de son zizi jaune. Le bras bêtement levé, ils ont l’air d’hésiter entre déposer et présenter les armes. Toi, tu rigoles ; et moi, qui te connais par cœur, je ne te reconnais plus.

 

Date : Ven 23/06/2017 – 21:33

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Objet : ?

Je ne me reconnais pas. Depuis deux nuits je dors, je dors... Dans ce corps engourdi, mon dos ne va guère mieux, au contraire ; mais ses pincements ne m’alarment plus. Sur les mains, aucune griffure ni coupure nouvelle, en deux jours de travail intense. Laurent, pendu au téléphone et crachant ses questions (sur Louise, qui lui échappe) : son affolement m’amuse, ses « ma belle » m’indiffèrent. Mes comptes, remis à flot par le miracle de l’orchidée verte : j’arrive au bout sans que me vienne l’envie de massacrer mon écran. Et hier ! La surprise d’une double épreuve avait tout pour me faire repartir en spirale. D’abord le retour des blousons bouffis, pour un second interrogatoire ; ensuite l’incursion d’un gros type au visage tendre, aux yeux rieurs, qu’il me semble avoir déjà vu : il entre, m’avise, ouvre la bouche, la referme, tourne la tête, fait trois pas, tend la main vers un épinoir qui se trouvait là, sursaute, fourre la main concernée dans sa poche, fait demi-tour, ressort sans dire un mot. Les freesias qu’il n’a pu éviter d’accrocher au passage oscillent une fois de plus – mais choisissent de rester debout (eux aussi en ont assez du drame ; seul leur parfum vibre encore). Eh bien, les deux affreux m’ont positivement réjouie – et le sympathique intrus, intriguée sans plus : pour un peu, cet épinoir, je le lui aurais donné.

 

Date : Ven 23/06/2017 – 21:51

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Objet : ?

Pas d’erreur : le soulagement remonte au spectacle sorcier du gang de la crèche ; les explications qui l’ont suivi n’auront fait que m’en donner conscience.

 

Date : Ven 23/06/2017 – 21:53

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Objet : ?

Pourtant, je n’étais pas arrivée en bon état. C’est mesquin à dire, mais c’est un peu la faute de ma détective préférée, revenue me voir elle aussi : les courts-circuits de sa méthodique naïveté, au lieu de me ravir comme d’habitude, m’avaient cette fois paru dangereux. Pour qui, pour elle ? Empathie ou projection ? Bonne question. Toujours est-il que son délire de poignard et d’espions m’avait plus glacée que séduite, étouffant en moi, entre autres, l’effet salvateur des recommandations de Louise. Mauvais retour d’enfance, en somme (je me repens d’avoir fait cadeau à la petite, of all flowers, d’un narcisse) : à nouveau j’étais pétrie de honte. En vérité, la perspective de la fête des Clartés n’arrangeait rien. Comment me déguiser – moi qui le suis déjà de toute mon âme, en fleuriste ces derniers temps ?

 

Date : Ven 23/06/2017 – 22:08

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Objet : ?

Partie à la pêche dans quelques pages de Rachilde et Huysmans, j’ai d’abord voulu maquiller la prose de mes terreurs en décadence poétique. Solution prévisible : n’avais-je pas plaidé, au Portique, pour la réédition de Monsieur Vénus ? Lorsque je me suis souvenue, avec l’aide intéressée d’internet, que le premier imprimeur de cet ouvrage fut un pornographe bruxellois du nom de Brancart, j’ai salué la coïncidence : c’était plus qu’il ne m’en fallait pour replonger dans le foutoir de mes Idées et de mes Émotions, en comptant comme toujours sur les mots (ou sur les fleurs) pour lui prêter l’apparence d’un sens. Mais le foutoir s’est foutu de moi ! Force m’était d’admettre qu’Adélie, rescapée morale de la guerra civil, n’avait rien à faire dans cette histoire belge – et qu’une Brancart de sa trempe n’est pas obligée d’en cacher un autre, gratuitement googlé. Ce serait plutôt à moi de chercher d’où sort mon désir d’insulte. De même il y a fleurs et fleurs : on peut certes tout leur faire dire, mais je n’avais rien gagné à suivre l’ornière de mes propres associations – révélatrices d’elles-mêmes. Quoi que veuillent exprimer ces dépôts de lupins et autres gueules-de-loup, leur message ne relève pas de l’esthétisme pourrissant ; d’un prurit sadique encore moins. Accessoirement, le costume fin-de-siècle que je m’étais bricolé, genre Des Esseintes chez l’arracheur de dents, m’allait mal : les diaprures d’un jeune homme de haute race en voie de décomposition me semblaient perdre l’essentiel de leur charme sur le corps d’une femme de classe moyenne dans la force de l’âge, si déprimée fût-elle. Bref, je n’ai pas osé. Coupant au plus court, j’ai rouvert Paulhan et me suis bornée à calligraphier son fameux panneau – histoire de tomber une dernière fois dedans.

 

Date : Ven 23/06/2017 – 22:29

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Objet : ?

Je ne sais pas encore si la pantomime et sa glose m’ont vraiment guérie. Mais comme anxiolytiques, un brevet s’impose ! Pour le show bien sûr – brave, électrique, hilarant –, pour ses raisons d’être. Mais aussi pour son public, fait pour lui, fait par lui ; non moins déjanté, presque aussi théâtral. Bonheur et plaisir d’y reconnaître tout le monde : le chapeau tyrolien de Malik, la moustache nietzschéenne de Lydia... Ces signes-là sont signés : les personnages sont des personnes. Rien à voir avec le carnaval de l’angoisse, dans la Venise de mon esprit – organisé, au ras de la mer et de la boue, pour que les masques dévorent les visages.

 

Date : Ven 23/06/2017 – 22:40

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Objet : ?

Sur scène, c’était tout de même un peu moins simple. Des gens qui dorment. Une fleur, un flic, une fleur, un flic, dans la lumière entrecoupée. Clartés, oui, mais stroboscopiques.

 

Date : Ven 23/06/2017 – 22:42

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Objet : !

Et puis : révélation. Une fleur à la main (et grâce à ce qu’elle dit), il est permis d’entrer... à condition de la laisser dire... quelque chose, à quelqu’un, à quelqu’un qui dormait. Furio et Adélie se réveillent, la reconnaissent, se reconnaissent. C’est une affaire de destinataires. Le flic est là aussi, son travail est d’interférer (puis d’en référer) ; d’entrer à son tour, un flingue à la main : c’est une affaire de cibles. Il a du retard à rattraper. Mais s’il prend de l’avance ?

 

Date : Ven 23/06/2017 – 22:48

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Objet : !

Révélation : répétition. La série, même quand elle va vite, donne du sens en donnant du temps, un peu de temps : à chacun, au moins celui de ralentir et faire sien le genre de réveil qui (parfois) réalise le rêve au lieu de l’effacer. Alors monte, au lieu de l’inquiétude, la gratitude. J’ai vu beaucoup de spectacles où de tels effets de lumière étaient conçus comme des coups de matraque, pour désorienter puis décerveler ; ici, ils font briller les cailloux de Poucet. Il y a quelque chose de doux dans leur brusquerie. Moi que la moindre impulsion terrorise, qui ne suis que réaction et insomnie, le procédé pouvait me ravager ; en fait, c’est comme s’il me surprenait dehors, au milieu de la nuit, pour me rappeler que j’ai avec moi une lampe, torche ou de poche. Ce n’est pas une question de puissance, mais de déclic.

 

Date : Ven 23/06/2017 – 23:00

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Objet : ...

Mona par exemple – l’ombre sans la lumière, puis dans la lumière, par et selon la lumière ; pure silhouette, Fantômette, Catwoman... To catch a thief, plusieurs en fait : mais pour les libérer... Du passé, comme on s’y attend ? De son oubli au contraire, de sa relégation ? Mona pour donner, pas pour prendre. Le regard ébloui de Bruno sur elle, à travers les fentes du papier mâché mimant le jade. Et moi, blottie derrière mon écriteau tarbais-barbant, mon jeu de mots de trop ( note to self : ne plus confondre allusion et redondance, littérature et littérature), ce sont des larmes que j’ai aux yeux – avant que la panthère rose ne me fasse pleurer de rire. Sur scène et dans la salle, partout le contour (évident, provisoire) des profondeurs (entrevues). Nous étions là, tous, à comprendre un peu, un moment ; qui prétendrait comprendre tout le temps ? Nous étions là, à recoller des bouts de film, sur les avis d’un Hamlet décalé, collectif, féminin, qui nous (et se) voulait du bien, au lieu d’armer ses doutes pour en percer tel cœur d’assassin...

 

Date : Ven 23/06/2017 – 23:17

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Objet : ...

Je n’ai pas tout compris, mais je revois tout. Magiquement, facilement...

 

Date : Ven 23/06/2017 – 23:35

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Objet : ...

...puis le reste aussi m’est donné à comprendre : ignorant mes bravos balbutiés, Mona parle au nom du groupe pour me mettre « dans le coup », puisqu’aussi bien je suis déjà « dans le bain ». M’envahit alors (on ne se refait pas tout à fait) la certitude de ne pas mériter cette confidence, leur confiance encore moins. Vendre des fleurs et fantasmer sur elles ne me prépare ni qualifie en rien ; c’est exactement le contraire des missions dont Sacha et compagnie les chargent ; de même la crèche est l’opposé d’un commerce. Quant aux atours et détours de mon « art de l’expression » (comme dit Louise), ils s’accordent mal avec la simplicité que dicte aux mots de mes interlocuteurs une autre sorte de vigilance, une ironie aussi précise que constante : je le prouve aussitôt en déroulant pour eux mon habituel tapis d’embarras. Encore ne savent-ils pas combien je fais moi-même la trame et la chaîne, demandes et réponses – alors que chacune de leurs paroles est strictement adressée ; y compris (et d’abord) aux bébés qui les occupent. Mais la bande a bien vu que je passe ma vie à « en remettre une couche », et même si ça les « gonfle » ils n’ont pas l’intention de me rééduquer : « Vous avez passé l’âge », dit Hager, « à ce stade c’est incurable ». « D’ailleurs », ajoute Vincent, « vous n’êtes pas la première ; l’inspecteur Fall, c’est pas le genre simple non plus. On fera avec, pourquoi croyez-vous qu’on se balade avec des écouteurs dans les oreilles ? » « Mais c’est vrai qu’on n’a pas mérité ça », insiste Sacha. « On ne se doutait pas qu’une action concrète et muette nous vaudrait ces torrents de dolorisme et de grandiloquence ». « Trop tard », conclut Charly, fleuriste sobre ; « tu es atteinte aussi ». Rire général. J’ai repris mon souffle – et pu sortir de moi-même assez longtemps pour bien l’entendre, ce rire ; après lui, l’aveu de Bruno ; après l’aveu, la saga d’autres chats perdus – et retrouvés.

 

Date : Ven 23/06/2017 – 23:49

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Objet : ...

En y repensant, je m’aperçois qu’à aucun moment ils ne m’ont demandé d’« entrer » dans un clan, ni dans leurs plans ; à aucun moment je n’ai eu à l’accepter (j’imagine le ridicule d’un tel cérémonial). « Dans le coup » tout au plus : l’inclusion par information. Non qu’ils ne m’aient pas laissé le choix. J’aurais pu me dérober ; à eux d’assumer le risque pris. Mais l’agrément, lui, n’a pas à être dit : dans leur monde, et jusqu’à preuve ou libre énoncé du contraire, il va de soi. Pas question non plus de confondre ce préalable avec un consentement à une requête ultérieure ; on verrait ça en temps et lieu. Certains d’entre eux viennent du gauchisme, leur discours en porte les traces : échos ironisés comme le reste. Le modèle a été revu.

 

Date : Sam 24/06/2017 – 0:08

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Objet : ...

Ensuite, appuyée sur le ponch, je n’ai pas eu de mal à marcher droit sur Furio, qui me voyait venir avec amusement, debout entre une adorable petite fille et ce peintre au nez cassé, Hassan, que j’ai croisé souvent (sans jamais m’arrêter) place de la République. Je me suis un peu emmêlée entre l’ancolie et les spaghetti, cherchant à m’excuser pour l’une tout en exaltant les autres, par crainte que le second propos (ou le premier ?) semble moins sincère. Mais finalement j’ai pu détailler sans bégayer ma conduite ignominieuse, revenir sur ses affligeants présupposés. Souriant dans sa barbe, il m’a dit : « Je suis bien allé à la police, moi ; je n’en suis pas fier non plus. » Puis Estelle a réclamé son attention ; un instant, j’ai cru avoir le même âge qu’elle.

 

Date : Sam 24/06/2017 – 0:21

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Objet : ...

« Alors vous y êtes arrivée », a dit Adélie. « Ça va mieux, non ? Remarquez, moi c’était pareil. Non seulement je l’ai pris pour un cinglé, avec sa barbe folle, ses cailloux et ses fleurs fantômes, mais je le répétais à tous les vents, et méchamment encore. Pas de quoi se vanter. Alors que c’est plus qu’un type bien, il faudra que je vous raconte, et le rapport avec la crèche aussi. Ça passe par les enfants. Ceux qu’on a, et ceux qu’on a été. Même pour votre Louise, c’est bien Louise qu’elle s’appelle ? C’est pas trop tard, vous savez. Si Lydia avait vingt ans de plus, ça serait plus difficile, mais on y arriverait, comme on y arrive maintenant ensemble, j’ai l’impression, comme avec les petits. Et même avec son père, en un sens, vous voyez ? Votre ex aussi, si j’ai bien compris, il vous harcèle au bout du fil, non ? Évidemment Solférino, il a les défauts qu’il a, d’ailleurs il se calme un peu ces jours-ci, mais au moins il est pas banquier. Les costumes trois-pièces, il sait que ça existe, mais il s’imagine pas plus dedans que dans une combinaison d’astronaute. Mais bon, le père de votre fille, même en costume trois-pièces (ça pourrait être pire, vous le voyez en flic ? en casquette, en képi ?), si ça fait vraiment mal, si vous voulez le tuer, il faut trouver le joint pour pas le tuer. Arriver par le bon angle. Furio c’est un peu comme ma psy, il dessine le bon angle, il fait voir l’angle mort. Il m’a montré les deux, en vrai, sur sa terrasse. Hassan, ses peintures, c’est pareil, dans ma loge il m’a montré aussi. Il y a ce qu’on voit de là où on est, bien obligé, et ce qu’on voit pas, et c’est pas forcément grave : le tout c’est de savoir qu’on le voit pas, qu’on est pas là où ça se voit. Qu’il faut changer de place, passer juste à côté, ou de l’autre côté, pour voir autre chose, ou comme dit Hassan, pour éviter le coup qu’on voit pas venir. Et même pour soi tout seul, ce genre de chose c’est utile. Parce que ça marche dans l’autre sens aussi, dans le passé, avec les parents morts, surtout les morts en fait, ceux qu’on voit plus, ceux qu’on voit trop, vous voyez ? C’est comme ces fleurs, elles réveillent un truc précis qu’on a oublié, ou pas oublié mais pire : arrêté de garder vivant à la bonne place. Un truc précis, pas comme la soupe des jours où on mélange tout. Si vous saviez, les gueules-de-loup. Il faudra que je vous raconte exactement. D’accord, dans votre boutique, il y en a tellement, des fleurs, que ça veut plus trop rien dire. Vos clients, ils peuvent choisir ce qui leur chante, pour dire ce qui leur plaît à qui ils veulent. Mais pour vous qui les vendez... Pareil si quelqu’un décidait de vous faire une surprise, comme pour Furio et moi. C’est comme apporter de l’eau à la mer. Ou alors il faut faire ça chez vous, mettre un peu de distance. Et même : la distance, c’est d’abord dans la tête. Sérieux, dans votre boutique on étouffe. Alors vous, toute la journée en plus... Ou alors vous passez en prendre une, de fleur, chez un concurrent, de temps en temps. Ou alors vous jouez, avec lui, là, Bruno. Comme quand vous étiez petite, mais vous n’êtes pas la marchande, vous êtes la cliente. Lui vous vend la fleur, celle que vous voulez, celle-là et pas une autre. Et le truc, c’est que vous saviez plus qu’elle était là, en plein milieu du stock. Mais elle y est, vous la pointez du doigt, vous l’achetez vraiment. Elle vous dit quelque chose. Ou alors vous en donnez une, au lieu de la vendre. De temps en temps, je vous dis pas de risquer la faillite. Mais vous en donnez une, pour la beauté du geste. En la donnant, vous la regardez d’un autre œil : elle aussi vous dit quelque chose. Et son parfum, pareil, vous voyez ? Vous respirez, c’est comme ça qu’on respire. Ça marche dans tous les sens. »

 

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