Exergue n° 16

 

« Tout auteur qui veut nous peindre des mœurs étrangères a pourtant grand soin d'approprier sa pièce aux nôtres. Sans cette précaution, l'on ne réussit jamais, et le succès même de ceux qui l'ont prise a souvent des causes bien différentes de celles que lui suppose un observateur superficiel. Quand Arlequin Sauvage est si bien accueilli des spectateurs, pense-t-on que ce soit par le goût qu'ils prennent pour le sens et la simplicité de ce personnage, et qu'un seul d'entre eux voulût pour cela lui ressembler ? C'est, tout au contraire, que cette pièce favorise leur tour d'esprit, qui est d'aimer et rechercher les idées neuves et singulières. Or il n'y en a point de plus neuves pour eux que celles de la nature. C'est précisément leur aversion pour les choses communes, qui les ramène parfois aux choses simples. »

Jean-Jacques Rousseau, Lettre à D'Alembert sur les spectacles,
Paris, Garnier Frères, 1926, p. 126.

 
 


 Florence Magnot

31/12/2011

  

S'autoriser le contresens, comme un chemin détourné, de traverse, qui ramène à du sens, à du simple, par surprise. Rousseau indique ici plusieurs mouvements diversement orientés. Après l'appropriation (adaptation de l'auteur au public), le chemin du spectateur qui se trompe comprend plusieurs pauses d'étapes : l'accueil, l'aversion (pour d'autres chemins), l'amour, la recherche puis le retour... Le chemin bizarre est tracé par des reculs (prudents), des dégoûts (enfantins), des séductions (faciles, forcément) et des fascinations (indignes). Le spectateur ou le lecteur parvient, sinon au « bon » endroit (où serait-il ?), du moins quelque part, ayant pris un chemin qui a suscité chez lui le désir de cheminer. Le contresens comme une porte pour entrer, même quand c'est fermé, pour se couler à l'intérieur, pour aller parfois où il est juste de se perdre, pour avoir raison de se tromper.

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