Adage n°5.1. : Chacun voit... / M.-D. Laporte



Adage n°5.1.

 

 
Chacun voit midi à sa porte
 
 


Marie-Dominique Laporte

07/03/2020

Moi qui aime rêver depuis toujours, à certaines heures, je pourrais acquiescer volontiers au pragmatisme de cet adage. L’égoïsme peut s’entendre comme un lieu naturel où aller : puisque chacun est essentiellement seul, chacun peut décider de se tenir sur le seuil de sa maison, lever les yeux sur le soleil à son zénith. Alors, c’est la déflagration de l’apollinien : « Le monde est en ordre autour de moi qui me tiens là. J’écris seul, mais parce que j’écris, midi est à ma porte. » La satisfaction est immédiate à regarder le monde ainsi ; la gageure de rester là avec élégance : il faut vivre dans cette parole, au plus près de soi-même, sans hésitation, sans perversion, sans histoire, pitié, pour embellir cette vérité simple et nue qui relève de la fonction vitale. Il est bon, parfois, de voir midi à sa porte.

Mais si l’adage est un point de contact de l’esprit avec la réalité, le regard doit encore peut-être s’exercer : vers l’ombre, tout autour de cette lumière qui se découpe comme l’encadrement d’une porte, vers cette ombre qui me permet de distinguer le visage de celui qui regarde au fond des yeux le feu, ébloui – enfin tout était là –, mais grimaçant pour supporter la vision. Au loin, Orphée est à sa catabase ; tout près, les éléments quittent le masque, et les accidents météorologiques se succèdent gaiement : le nuage qui voile le zénith, la pluie qui efface le seuil, le vent qui s’engouffre par la porte – si ce n’est que la clarté de l’adage n’est pas invitée à entrer. Elle ignorera l’enfilade de portes comme un chemin qui va dans la maison, où la lumière coulerait probablement adoucie, car c’est au-dedans qu’elle est la moins dangereuse. Haut dans le ciel, au-delà de la Terre, le soleil est entouré de trop de Ténèbres : à tout moment, il risque d’exploser au contact de l’envers.

Doucement, je ramène le regard sur la scène : et si le village se peuplait de chacun, à midi, à sa porte ? Le songe et la vie s’accommoderaient-ils ? Serait-ce question de foi, ou question de folie ? Chacun est à soi, sans regarder l’autre : ça se cogne, stupéfait. Quoi ? Mais qu’est-ce ? Et si on est deux sur le seuil, voit-on le même soleil jusqu’à sa mort ? Quitte à choisir : je préfère ne pas glisser dans la tombe qui s’ouvre avec l’adage. Je résiste à chaque pelletée de terre : je n’y fourrai pas la bienveillance, la sincérité, l’honneur, l’amitié, ni même l’amour. Non, je pense à mes fils. Cet été, le plus jeune, du haut de ses quatre ans – cet âge où on n’a pas idée de camper dans la bascule du soleil de midi – a annoncé sa chanson. Il s’est assis, au cœur de la maison. Trois vers (en moi, je me suis dit : « incroyable, d’où tient-il ça ? ») :

« Il était une fois, dans la savane,

un loup et une girafe,

et l’humanité rêvait, rêvait… »

A l’aube, à midi, au crépuscule, peu m’importe : j’aime à croire qu’il faut chercher, toujours, un pas de porte à quitter, histoire de marcher à l’aventure, pour défaire la véritable errance : celle à laquelle on se condamne quand on ne sait pas rêver.

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