Abécédaire

 

 
Tourment
 
 


Benoît Autiquet

10/06/2017

 

 

Des tourments, je retiens essentiellement qu’on est dedans. L’idée est renforcée par la proximité du terme avec celui de « tourmente », qui est météorologique, au sens littéral : « tempête, bourrasque soudaine et violente », nous dit le Trésor de la Langue Française. Le sens le plus commun d’« état d’agitation confuse » serait quant à lui figuré. Pas tout à fait convaincant, mais peu importe ; de la perturbation atmosphérique à l’agitation psychologique, on conserve le même modèle, celui d’un sujet maltraité par des choses qui l’environnent. On est toujours dans la tourmente, au milieu des tourments.

Toujours en français, mais pas en latin semble-t-il. Le Gaffiot nous dit que tormentum désigne à la fois les « tourments » au sens de « souffrances », mais aussi un instrument de torture, et, avant tous ces sens (en tout cas dans l’ordre de l’article du dictionnaire), une « machine de guerre à lancer les traits, reposant sur le principe de détente de cordes préalablement enroulés autour d’un cylindre. » Quand un latin parlait de la souffrance liée aux tourments, il la comparait donc à celle de la torture, mais il devait voir aussi, confusément, des tourments-cylindres qui tordaient un esprit-corde, l’esprit tourmenté. D’ailleurs, pour dire « tourmenter », il faut aller chercher le verbe torqueo, qui veut dire « tordre » au sens littéral. Tuae libidines te torquent (Cicéron) : « tes passions te tourmentent », ou, littéralement : « tes passions te tordent ». Pour moi donc, les tourments assiègent, alors que pour un latin, elles s’immisçaient dans l’esprit du sujet et le tordaient en tout sens. En quelque sorte, du modèle latin au modèle français, l’individu a pris la place du cylindre : au centre. On pourrait presque y voir une manière d’apaiser un peu la douleur : quitte à souffrir, autant être entouré, non ?

Oui, mais on est aussi cerné. C’est pourquoi dans la tourmente, pas de diversion possible : il faut y rester, ou en sortir. Et je dirais même : l’habiter, y persévérer, pour mieux en sortir. Parce que, parfois, les tourments sont moins les ennemis qui attaquent le château fort de mon intimité heureuse, que les reflets de ce que mon intimité ne l’est pas tout à fait, heureuse. Et ces pensées qui m’obsèdent s’avèrent être des images de ce que je suis et que j’ignore être moi. Lorsque, tard dans la nuit, je tournoie dans mon lit en passant en revue les soucis qui m’assiègent, je dessine un cercle qui me révèle à moi-même. Encore faut-il s’efforcer de tracer les lignes qui relient mes tourments entre eux, et prendre le temps de parcourir, et de parcourir à nouveau, l’espace qui les sépare. Encore faut-il aussi considérer que ces lignes valent la peine d’être tracées, et cet espace d’être parcouru. Alors, le cercle torturant, souffrance et répétition, peut devenir un lieu de découverte ; et le cylindre du tourment, rouage un peu trop mécanique, mot un peu trop imposant, peut s’enrichir d’une forme propre.

   

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