Journal n° 3

 

 
 

Virginie Huguenin

05/06/2021

 

Fin mars 2021

Il devient difficile de faire cours en raison de la situation sanitaire. Personne n’est parfaitement serein. Ni les enseignants, qui tombent malades, ni les parents d’élèves qui commencent à s’inquiéter de la multiplication des cas et de l’absence des professeurs. Les élèves se regardent, méfiants, quand l’un d’eux éternue. Certains en plaisantent. D’autres pas.

Jade-Maeva, en Troisième, vient de revenir d’une longue éviction. Son père a contracté le virus et se trouve hospitalisé, en soins intensifs. A la fin du cours, elle vient me trouver. Je suis assise à mon bureau. Debout face à moi, elle fixe un point au-dessus de ma tête et, d’une voix hachée, énumère les cours qu’elle croit devoir rattraper, ainsi que les polycopiés qui lui manquent. Elle me dit aussi que ses codes d’accès aux télé-services d’orientation ne fonctionnent pas et qu’elle a égaré ses codes Pronote. Elle me demande si elle doit me rendre le livret de la semaine d’orientation qu’elle n’a pas suivie.

– Jade-Maeva, regarde-moi. Est-ce que ça va ?

Je la vois qui vacille. Les larmes lui montent aux yeux. Je l’empoigne et nous sortons dans le couloir pleurer un peu. Jade-Maeva vit seule avec son père. Elle me raconte comment elle l’a trouvé un soir, en train d’étouffer. Comment elle a appelé les secours qui ont mis tant de temps à venir le chercher. Comment elle est restée seule, quelque jours, avant qu’une tante ne la prenne chez elle et qu’elle ne déclare elle-même la maladie, sans contaminer gravement personne, heureusement.

– Ça va mieux maintenant. Il est sorti du coma. Les médecins disent que ça va aller.

Alors ça va aller. Je lui donne tous les polycopiés, je lui retrouve des codes Pronote, TSO-TSA. Je l’aide à y voir clair dans tous les cours qu’elle a manqués.

Le 31 mars, Emmanuel Macron annonce la fermeture des collèges pour une durée d’un mois à compter du lundi suivant.

Les cours auront lieu pour deux semaines en distanciel, entrecoupées par deux semaines de vacances.

Je suis soulagée.

Les élèves, quant à eux, hésitent : si certains se réjouissent à la perspective d’un éloignement de l’école, d’autres s’inquiètent de devoir suivre des cours à distance, dans les mêmes conditions précaires que celles du confinement du printemps 2020 – car pour beaucoup, rien n’a changé.

« Vous allez faire des visios, Madame ? ».

J’hésite à mon tour. Les outils que l’Education Nationale met à disposition des enseignants ne sont pas suffisamment performants pour faire cours correctement. En même temps, je vois bien que l’idée accroche certains élèves. Alors pourquoi pas. Je me débrouillerai.

« Oui, je vous enverrai un lien prochainement ».

Les jours suivants, avec les Sixièmes, on fait des tests de connexion. Je fais aussi en sorte que tous mes élèves repartent avec de la lecture. Je leur prête des livres que je leur avais achetés, en prévision d’un confinement. Je les envoie au CDI.

Je leur procure aussi des impressions afin qu’ils disposent d’un support papier, si toutefois ils ne parvenaient pas à se connecter à internet. Je prends beaucoup de temps et de plaisir à les élaborer. Je les imprime en couleurs. Les élèves les trouvent « trop beaux ».

J’essaye de les rassurer. Je leur donne le programme de la première semaine de cours puis de la deuxième. Je me rassure en même temps.

Le vendredi soir, nous nous quittons pour un mois.

« Bonnes vacances Madame ! » me dit Hadiza.

Avril 2021

Le 3 avril, je reçois un message de Lina, en 6e Capucine. Lina est une bonne élève, polie et soucieuse de bien faire. Elle m’écrit :

« Bonjour Mme Huguenin
J’aimerais vous poser une question et là voici.
A quoi sert les cours de la semaine prochaine ?
Bien à vous
Lina »

Sa question me désarçonne quelque peu. Elle m’énerve un peu aussi, je dois dire.

Pourquoi m’énerve-t-elle ?

Le 6 avril, je donne mon premier cours à distance, en visio. Je suis tendue. Je dois contrôler mon image, que je choisis d’afficher, ma voix, que je dois rendre très audible pour les élèves dont les systèmes de son sont souvent défaillants. J’ai un œil sur le chat que les élèves utilisent et un autre sur mon cours que je partage.

Les élèves, se connectent, nombreux, mais un garçon que je n’ai pas invité m’apostrophe :

« Eh Virginie ». Il rit. Il se moque de moi. Il me tutoie et répète mon prénom.

Je ne le vois pas.

Sans trop savoir comment, je parviens à sortir l’inconnu de la classe virtuelle. Je suis troublée le reste du cours.

Le 7 avril, c’est au tour des 6e Capucine. Quelques élèves se connectent, assez peu. Très vite, la séance devient difficile pour moi car les élèves ne parlent pas. Certains n’ont pas de micros, d’autres ne l’activent pas. Aucun n’a souhaité utiliser sa caméra. Je ressens moi-même un malaise à afficher mon image, floutée en arrière-plan pour ne pas que les élèves devinent mon décor, ou la présence de mon mari circulant dans l’appartement. Mais sans nos corps, il ne se passe rien entre nous.

Je repense au message de Lina, à qui j’ai répondu entre temps que les cours étaient importants car ils servaient à « ne pas passer un mois sans ne rien faire » et à « valider son trimestre ».

« A quoi sert les cours de la semaine prochaine ? ».

Mai 2021

Les cours reprennent en « demi-jauge » pour les grandes classes. En pratique, dans mon collège, cela signifie que les classes de 4e et 3e sont accueillies en demi-groupes. Inquiète à l’idée de devoir retrouver des classes saturées à 24 élèves, j’accueille cette solution que nous réclamions depuis le mois de novembre avec soulagement.

Dès le 5 mai, le Rectorat dépêche une équipe médicale pour tester massivement les élèves et les personnels. Peu de parents signent l’autorisation nécessaire à cet acte médical. Aucun élève n’est testé positif au virus.

Cependant, quelques jours plus tard, les premières classes ferment, conformément au protocole qui préconise la mise en éviction du groupe classe au premier cas avéré de contamination par le virus.

Des collègues « cas contact » sont également mis en éviction. Des cours sont annulés pour éviter de surcharger la permanence.

Tant bien que mal, je continue à donner cours en présentiel. J’envoie aussi des cours aux élèves en éviction et j’élabore du contenu à destination des élèves censés travailler depuis chez eux quand l’autre groupe est en classe.

Les jours fériés viennent nous séparer un peu plus.

Je me sens infiniment loin de tous.

« Ça va durer jusqu’à quand, Madame ? » me demande Irshath, en Troisième.

Vendredi 28, j’apprends par des élèves que le système de demi-jauge prendra fin prochainement.

« C’est le ministre qui l’a dit à la radio » m’explique Dounia.

Des collègues confirment, affolés. Les élèves sont heureux.

Le chef ne sait pas : il attend les consignes « d’en haut » qui finissent par tomber le soir-même : retour à la normal pour la semaine suivante.

 

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