Sommaire des saynètes

Saynète n° 1

 

« Il aimait beaucoup faire son marché dans les magasins du quartier ; le cérémonial des conversations le ravissait : "Bonjour monsieur, comment ça va, merci beaucoup, très bien et vous, beau temps, vilain temps aujourd’hui, au revoir monsieur, merci monsieur" ; à Chicago, on achète en silence, me disait-il. »

Simone de Beauvoir, La force des choses, t. I, Paris, Gallimard, Folio, 1963, pp. 249-250.

 
 

Mathilde Faugère

27/09/2014

Le grand mot est lancé, comme ça, en passant, le « cérémonial ». Le cérémonial, c’est « ce qui concerne les cérémonies religieuses », ou encore les « règles sociales conventionnelles ». Le dialogue rapporté par Simone de Beauvoir a en effet tout des répliques convenues d’une assemblée religieuse, ou d’un dialogue de théâtre où chacun fait sa part, récite son rôle, avec variation ici ou là. Pour le dire en d’autres mots, Algren, l’écrivain américain, l’ami des putains et des souteneurs, joue à la poupée. Il joue à la marchande sur l’ancien continent. Tout nous dit la distance, ce mot de « cérémonial », l’insistance sur le « monsieur » quelque peu obséquieux ou simplement bourgeois, le « foie gras » et le « beaujolais » qui apparaissent plus haut dans le texte, la chute sur Chicago. Pourtant, il aime ça...

Et il se trouve que moi aussi en général, et dans mon quotidien. Cela soulève des interrogations : ce cérémonial de conversation, est-ce un pur folklore, monument national au même titre que le beaujolais nouveau, destiné à ne plus apparaître que dans le journal de 13h ? Suis-je poujadiste avec soixante ans de retard ? Pire, toutes ces formules, ce dialogue sur le temps qu’il fait, les échanges de boutique, de comptoir, de guichet, ne sont-elles que des conventions de petit bourgeois ? Pourquoi s’embêter après tout ? Il s’agit peut-être d’oublier ce que la phrase sur Chicago nous assène clairement : ce cérémonial c’est celui d’un achat, d’un service monnayé, d’un échange qui devrait être clair. Il s’agirait de masquer, de faire semblant. Quelle est la part de mensonge dans la convention ? Suis-je alors de mauvaise foi ?

Autre chose encore me frappe : à Chicago, on ne fait pas pareil. Est-ce à dire que l’on est moins civil à Chicago ? Je ne vois pas vraiment pourquoi ça serait le cas. A vrai dire, je suis persuadée que l’échange parisien peut être très incivil, et que le silence de Chicago peut, au contraire, être plein de considération. Cela veut dire qu’il y a de multiples manières d’être civil, de manifester un lien, ne serait-ce que ténu, avec un inconnu. Y aurait-il alors quelque chose comme un dénominateur commun de la civilité, un élément qui fait que notre interlocuteur se sent reconnu en tant que tel ? Que cherche-t-on à dire finalement quand on parle de la pluie et du beau temps, ou même quand on cherche à croiser le regard de quelqu’un ?

   

 

 

 

 

Saynète n° 2

 

 

 

 

 

« Son Asile de Vigny-sur-Seine ne désemplissait guère. On l’intitulait “Maison de Santé” sur les notices, à cause d’un grand jardin qui l’entourait, où nos fous se promenaient pendant les beaux jours. Ils s’y promenaient avec un drôle d’air d’équilibre difficile de leur tête sur leurs épaules, les fous, comme s’ils avaient constamment eu peur d’en répandre le contenu, par terre, en trébuchant. Là-dedans se tamponnaient toutes espèces de choses sautillantes et biscornues auxquelles ils tenaient horriblement. [...]

À table, au début de mon stage, Baryton dégageait régulièrement les conclusions et la philosophie de nos propos décousus. Mais ayant passé sa vie au milieu des aliénés, à gagner sa croûte dans leur trafic, à partager leur soupe, à neutraliser tant bien que mal leurs insanités, rien ne lui semblait plus ennuyeux que d’avoir encore à parler parfois de leurs manies au cours de nos repas. “Ils ne doivent pas figurer dans la conversation des gens normaux !” affirmait-il défensif et péremptoire. Il s’en tenait pour ce qui le concernait à cette hygiène mentale.

Lui, il l’aimait la conversation et d’une façon presque inquiète, il l’aimait amusante et surtout rassurante et bien sensée. Sur le compte des tapés il désirait ne point s’appesantir. Une instinctive antipathie à leur égard lui suffisait une fois pour toutes. Nos récits de voyages l’enchantaient par contre. On ne lui en donnait jamais assez. Parapine, dès mon arrivée, fut délivré partiellement de son bavardage. J’étais tombé à point pour distraire notre patron pendant les repas. Toutes mes pérégrinations y passèrent, longuement relatées, arrangées évidemment, rendues littéraires comme il le faut, plaisantes. [...]

En principe, pour toujours et en toutes choses j’étais du même avis que mon patron. Je n’avais pas fait de grands progrès pratiques au cours de mon existence tracassée, mais j’avais appris quand même les bons principes d’étiquette de la servitude. »

Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, chapitre 39.

 
 

Hélène Merlin-Kajman

25/10/2014

Baryton, vous l’avez compris, c’est le patron de l’asile. Ferdinand décrit ce lieu où il vient d’être embauché : d’un côté, les fous et leur air penché, allégorie de ce que nous sommes tous, « le sous-homme claudicant qu’on nous a donné » mais que nous cachons du matin au soir derrière « un petit idéal universel » ; et de l’autre, Baryton et sa fille de dix ans, Aimée, « déjà flétrie », « comme si des petits nuages malsains lui fussent continuellement passés devant la figure ». Baryton, avec sa sordide avarice et, surtout, son goût immodéré pour la conversation.

Nous l’entendons : agitée, fébrile, monologique. Ferdinand s’y prête. Alors vient la phrase qui m’a conduite à ce texte parce qu’elle figure dans l’agenda 2014 de la Pléiade dans l’habituel florilège de citations, sous le dimanche de la 40ème semaine de l’année, celle qui court du 29 septembre au 5 octobre – il y a presque trois semaines, donc. Irrésistiblement, j’ai pensé : « voilà un choix d’époque ». 

Je tourne et retourne l’expression dans ma tête : « les bons principes d’étiquette de la servitude ». J’entends le halo d’ironie qu’elle dessine autour de moi, son courant d’air glacial. Peu à peu ce halo gagne le lieu : c’est lui qui sépare aussi la conversation de l’espace où se meuvent les fous.

Les rejoindre ?

Je me glisse dans la scène. C’est difficile. J’y suffoque. Comment respirer ?

J’invente des gestes.

Le premier serait un sourire à Aimée. Au fil des jours, capter son attention. Croiser son regard. Dissiper, qui sait, les petits nuages malsains, ne serait-ce qu’une fois, ne serait-ce que fugacement.

Mais à l’égard des aliénés ? Je ne sais. Peut-être d’abord, surtout, ne pas appeler ce qui, en moi, leur fait écho, un « sous-homme claudiquant ». Non !

Je le renomme : la nuit ; le chaos ; la terreur. Je connais, je sens. De ce lieu-là, je peux commencer à bouger, je me meus. Mon corps, mon regard, le son de ma voix le leur signifieront quand je les croiserai.

Il me reste Baryton.

Je cale. Il me rend muette.

Il me reste aussi Ferdinand. « Du coup avec Baryton, grâce à ces dispositions, on était devenus bien copains pour finir ». Lui, je le regarde et l’écoute attentivement.

Je ne ris pas à leurs blagues. Je ne ris pas au rire de Ferdinand riant aux blagues de Baryton. Même si je sais ce qu’il en fera, littérairement parlant, je ne ris pas et reste à distance, en me branchant sur des images intérieures bienveillantes, accueillantes, résistantes.

Le texte me reste irrespirable. Mais j’y ai circulé. J’ai tâché d’y apporter une espèce d’hospitalité, une forme d’accueil qui me fasse échapper à l’équation fatale de « l’étiquette de la servitude ».

   

Saynète n° 4

 

Toi, Elias, tu ris, tu as faim.
A l’heure de manger, tu te jettes sur Gavrilo
Pour reprendre ce dont tu as besoin, et forcir et grandir.
Moi, je viens d’un temps d’onctuosités vaines,
un temps qui empestait les ruines.
J’ai grandi dans les délicatesses d’un siècle obsédé par sa fin,
et ceux qui s’en souvenaient m’ont enseigné
une morale de paix.

Mais tu aurais dû voir, Elias, les dîners de la fin du siècle,
la façon dont on cherchait, par tous les moyens,
le frisson de la guerre.
Dans les bons mots qu’on se lançait, de table en table,
on semait juste ce qu’il faut de haine pour s’amuser.
Une haine sophistiquée, démocratique,
un mépris replié dans chaque formule
de politesse.

Je me souviens d’un dîner à Bâle, organisé par le fils
d’un chirurgien. Je ne dis pas ça pour t’instruire, Elias,
Mais afin que tu saches pourquoi j’ai voulu partir,
et ce que j’ai laissé.

A Bâle, l’hôte s’appelait Ethan.
Il nous avait reçus devant un buffet de chasse :
une imitation de peinture hollandaise avec sangliers
à la broche, canards, oies, faisans, châtaignes
et feuilles d’automne…

Une obscénité dont nous, ses invités,
nous ne pouvions nous approcher qu’à la condition
de nous faire piquer les gencives.
C’était la règle que le gamin avait fixée :
manger sous anesthésie et ne rien sentir
ou nous tenir, comme des pauvres,
devant le buffet, sans manger.

Voilà à quoi ressemblait la fin de siècle, Elias !
Une pitrerie d’enfants morts qui vous piquaient les gencives
pour offenser la faim.

Camille de Toledo, Oublier trahir puis disparaître, La Librairie du XXIe siècle,  Seuil, p. 55-56,  2014.

 
 

Gilbert Cabasso

22/11/2014

 

C’est un conte, on s’en débrouille comme on peut, sans être au plus près de significations arrêtées. Il s’impose ceci que la civilité n’est peut-être plus de mise comme nous l’avions cru. Ou pas la même que celle à laquelle nous tenons encore. Un jour, celui d’après les massacres et les repentirs, s’ouvre le champ d’autres possibles. L’écriture l’accompagnera, l’ombre de la poésie s’étirera jusqu’à la nuit, elle grandira comme toujours au couchant. C’est d’elle que j’aimerais voir poindre, au jour, la forme de gestes inédits, une danse nouvelle, un style qui laisserait à la faim la place et le droit qu’elle mérite. Les anciennes politesses nous avaient donc anesthésiés. Nous avons épuisé nos forces à retenir nos appétits et comment faire pour qu’ « après  les guerres », les enfants « se remettent à courir, jouer, crier, ou défier leurs peurs » ?

Camille de Toledo métaphorise le triste et froid passé de nos civilités. Il en attend d’autres, sans jamais pouvoir les esquisser. « Oublier ce monde ou l’ignorer. Je n’ai pas de préférence, mais si je suis ton père, je te dois au moins ça : te laisser l’avenir ». « Ecrire, dit-il encore, n’est pas remplir ta vie, mais vider la mienne ». Mais quand le père renonce aux figures arrêtées de la politesse, il reste à l’enfant la vacance où la pulsion pourrait triompher, sauvage et souveraine. Et si le « fatras de docilité et de paix rend [le père] si vain », quelle nouvelle délicatesse devrions-nous attendre sans laisser libre cours à la faim de brûler et dévorer tous nos restes ? Libre cours mortifère et dérisoire de la « jouissance sans entraves », rigueur de la « dure loi d’obéir à la loi », entre les deux, l’espace de nos rêveries,  de nos fictions et  de nos transgressions. Aporie de notre temps de deuil et de renaissances, au tournant d’un siècle qui ne rêve plus qu’en se soumettant aux sortilèges d’une magie qui anticipe l’ordre même de son désir devenu méconnaissable. L’anesthésie, peut-être, ne pique-t-elle plus seulement nos gencives.

   

Saynète n° 3

 

     « Deux corps s’inclinent très bas l’un devant l’autre (les bras, les genoux, la tête restant toujours à une place réglée), selon des degrés de profondeur subtilement codés. Ou encore (sur une image ancienne) : pour offrir un cadeau, je m’aplatis, courbé jusqu’à l’incrustation, et pour me répondre, mon partenaire en fait autant : une même ligne basse, celle du sol, joint l’offrant, le recevant et l’enjeu du protocole, boîte qui peut-être ne contient rien – ou si peu de choses ; une forme graphique (le cadeau reste suspendu entre deux disparitions). Le salut peut être ici soustrait à toute humiliation ou à toute vanité, parce qu’à la lettre il ne salue personne ; il n’est pas le signe d’une communication, surveillée, condescendante et précautionneuse, entre deux autarcies, deux empires personnels (chacun régnant sur son Moi, petit domaine dont il a la “clef”) ; il n’est que le trait d’un réseau de formes où rien n’est arrêté, noué, profond. Qui salue qui ? Seule une telle question justifie le salut, l’incline jusqu’à la courbette, l’aplatissement, fait triompher en lui, non le sens, mais le graphisme, la retenue même d’un geste dont tout signifié est inconcevablement absent. La Forme est Vide, dit – et redit – un mot bouddhiste. C’est ce qu’énoncent, à travers une pratique des formes (mot dont le sens plastique et le sens mondain sont ici indissociables), la politesse du salut, la courbure de deux corps qui s’écrivent mais ne se prosternent pas. »

Roland Barthes, L’Empire des Signes, « Courbettes », Skira, 1970, repris dans Œuvres complètes, éd. Éric Marty, Seuil, 2002, p. 401-402.

 
 

Lise Forment

08/11/2014

Dans ces scènes japonaises de salutation et de don, les courbettes dessinent une forme vide de sens. Rapport strictement codé, la politesse dans l’utopie barthésienne n’est pas synonyme d’hypocrisie, mais trace les contours d’un espace « intermédiaire » (transitionnel ? civil ?) entre deux corps, dégagés du mythe métaphysique de la personne. « Combien je suis simple, combien je suis gracieux, combien je suis franc, combien je suis quelqu’un, c’est ce que dit l’impolitesse de l’Occidental », qui privilégie un « rapport prétendument franc », soi-disant plus « vrai », et feint de rendre son salut « naturel, spontané, débarrassé, purifié de tout code ». Contre le règne « brutal, nu » de la franchise, Barthes fait l’éloge de la politesse comme « exercice du vide ».

On peut douter que dans ce « code fort » du Japon, la question qui le fonde, « Qui salue qui ? », mette en présence deux simples corps, deux signifiants sans signifiés – le salut déférent, respectueux, intervient bien plutôt entre deux personae sociales, dotées d’une dignité plus ou moins grande, inscrites dans un système hiérarchique et honorifique rigide, fait de classes et de castes… Toutefois, les questions posées par ce fragment de L’Empire des Signes restent brûlantes : « Pourquoi, en Occident, la politesse est-elle considérée avec suspicion ? Pourquoi la courtoisie y passe-t-elle pour une distance (sinon même une fuite) ou une hypocrisie ? Pourquoi un rapport “informel” (comme on dit avec gourmandise) est-il plus souhaitable qu’un rapport codé ? »

J’ai croisé dans ma vie sociale, mondaine ou professionnelle, nombre de « Princesses de Parme » – à vrai dire bien plus de « Princes de Parme » –, qui, comme le personnage de Proust, signalent la supériorité de leur rang, « non par la raideur distante de l’abord », mais par une fausse familiarité, une main sur l’épaule, une « simplicité » calculée…

À l’opposé du culte de la spontanéité, faudrait-il revaloriser une certaine « pratique des formes » dans la vie sociale ? « Y mettre les formes », comme le dit la langue commune. Ou bien un rapport familier nous paraîtrait-il toujours plus sincère et désirable qu’un rapport placé sous le signe de la réserve ?

   

Saynète n° 5

 
« Aux amitiez communes, je suis aucunement sterile et froid : car mon aller n’est pas naturel, s’il n’est à pleine voyle. Outre ce, que ma fortune m’ayant duit et affriandé de jeunesse, à une amitié seule et parfaicte, m’a à la verité aucunement desgousté des autres : et trop imprimé en la fantaisie, qu’elle est beste de compagnie, non pas de troupe, comme disoit cet ancien. Aussi, que j’ay naturellement peine à me communiquer à demy : et avec modification [en dissimulant ses véritables sentiments], et cette servile prudence et soupçonneuse qu’on nous ordonne, en la conversation de ces amitiez nombreuses, et imparfaictes. Et nous l’ordonne l’on principalement en ce temps, qu’il ne se peut parler du monde, que dangereusement, ou faucement. Si voy-je bien pourtant, que qui a comme moy, pour sa fin, les commoditez de sa vie (je dy les commoditez essentielles) doibt fuyr comme la peste, ces difficultez et delicatesse d’humeur. Je louerais un’ame à divers estages, qui sçache et se tendre et se desmonter : qui soit bien par tout où sa fortune la porte : qui puisse deviser avec son voisin, de son bastiment, de sa chasse et de sa querelle : entretenir avec plaisir un charpentier et un jardinier. J’envie ceux, qui sçavent s’aprivoiser au moindre de leur suitte, et dresser de l’entretien en leur propre train [entretenir conversation avec leurs gens]. »

Michel de Montaigne, Essais, Gallimard, Pléiade, p. 861-862.

 
 

Benoît Autiquet

06/12/2014

 

Montaigne, l’homme de l’amitié exclusive avec La Boétie, regrette ici d’avoir été dégoûté par cette relation particulière des amitiés communes. Il se rêverait au contraire « un’ame à plusieurs estages » : il voudrait avoir le désir de communiquer aussi bien avec ses amis très proches qu’avec les gens de son voisinage ou de sa « suitte ». Ce sont les notions de sincérité ou de franchise, au cœur du projet littéraire de Montaigne (« c’est un livre de bonne foy », affirme-t-il à l’ouverture des Essais) qui sont en jeu ici. Il regrette en effet de ne pouvoir « [se] communiquer à demy ». Certes, cette sincérité a une fonction dans le contexte historique des guerres de religions où l’on ne peut parler « que dangereusement, ou faucement », et elle révèle même un certain héroïsme. Mais elle ne va pas sans regret, car elle sacrifie aussi la dissimulation sous des conversations et des formes communes, qui permet à la parole personnelle de s’épanouir dans un contexte plus large que celui de l’amitié fusionnelle.

Je m’identifie immédiatement, malgré la distance du contexte historique et social, à la position qu’adopte ici Montaigne : tout à la fois affirmation d’une incapacité à la dissimulation cérémonieuse, et regret de l’absence de maîtrise de ces codes, qui, idéalement, devrait permettre de parler à tout un chacun. Mais cette identification me révèle à la fois un modèle de comportement vertueux et une attitude problématique. En effet, il me semble que Montaigne n’a plus ce regret des conventions lorsque la scène qu’il prend comme appui de sa réflexion le met en relation avec des supérieurs (la cour, le prince). Ce qui m’incite à poser cette question, que je me pose aussi dans la vie courante : le souhait de maintenir les formes conventionnelles dans des conversations avec des individus considérés socialement comme inférieurs relève-t-elle d’un rêve démocratique – fantasme de l’effacement de l’inégalité d’une société de classes par des interactions codifiées – ou bien d’une peur, d’un besoin de maintenir à distance des inférieurs qui sont, dans les Essais par exemple, souvent décrits, fantasmés, comme « opiniâtres » ou violents ?

En somme, que fait la civilité aux relations de pouvoir ? Que fait-elle aux relations prises dans une dissymétrie sociale, économique, culturelle ?

   

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