Adage n°17.2 : Il faut que jeunesse se passe / H. Merlin-Kajman



Adage n°17.2.

 

Il faut que jeunesse se passe.
 
 

Hélène Merlin-Kajman

04/07/2020

 

J’aime cet adage. Seuls le prononcent des vieux bienveillants, des vieux qui se tournent avec tendresse vers leur passé perdu. Des vieux à qui leur propre court avenir ne cause pas trop d’effroi, pas de rancœur en tout cas. Des vieux pour qui la jeunesse fait sens, et qui la regardent avec confiance.

Je me dis qu’il faut trois générations pour arriver à lui, l’adage. Quand on est parent, ça ne marche pas. Ou peut-être tante, ou oncle, célibataire ? J’imagine plutôt des vieux assis sur un banc, à l’ombre de platanes dans le midi par exemple. Ils regardent des jeunes qui passent bruyamment. Les jeunes batifolent, font des rires de jeunes et des gestes de jeunes, créent de l’agitation de jeunes, portent des vêtements saugrenus (à la mode, n’importe quelle mode, la mode des jeunes).

Parmi les vieux, il y en a deux ou trois qui maugréent.

Mais il y en a, parmi les vieux, qui hochent la tête, indulgents.

Ça leur rappelle des choses, cette turbulence de jeunes qui passent, et ça les réjouit.

J’imagine qu’il y en a un qui prend la parole, un peu pensif, un peu moqueur.

Il raconte une scène, la veille, entre son fils (par exemple) et sa petite-fille (par exemple). La petite-fille – mettons qu’elle ait seize-dix-sept ans – est rentrée au petit matin d’une fête (mettons : techno). On est en pleine période des examens, de pandémie, etc.. Les parents n’ont pas dormi. La mère, le père crient et menacent contre l’insouciance de leur fille (ils ont raison, il font leur boulot de parents).

Le grand-père ou la grand-mère a pris le parti de sa petite fille, raconte-t-iel aux autres vieux. Iel (ça fait drôle pour des vieux) a interpellé le père (son propre fils) : « alors quoi, tu ne te souviens pas de comment tu nous en as fait baver, quand tu avais le même âge ? Il faut bien que jeunesse se passe ! »

*

*    *

J’ai passé la nuit sans réfléchir.

J’ai passé la nuit dans un sommeil de plomb.

Mais au réveil, mon cœur ni jeune ni vieux était dans la griffe du temps.

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*    *

C’est évident, mon imagination du banc et des platanes, des vieux et des hochements de tête, des jeunes qui passent, mon imagination date.

Périmée, même.

L’avenir manque.

Les vieux se rongent les sangs pour les jeunes, qui se rongent les sangs pour eux-mêmes.

*

*    *

Depuis toujours, on sait la jeunesse fougueuse, impatiente, audacieuse.

On sait les vieux ralentis, patients (ils retardent les horloges - ça viendra bien assez vite, la mort !).

Ils étaient prudents.

Ils avaient vécu.

Ils avaient l'expérience.

et les jeunes, l'audace.

*

*    *

Mais une expérience nouvelle est née : l’expérience du manque d’avenir.

Les vieux s’en angoissent pour les jeunes, d’autant qu’eux n’en ont aucune, aucune expérience.

Il n’y a que les jeunes qui le savent dans la moelle de leurs os.

Alors, l’adage se renverse comme un sablier, il appelle au pari, à l’élan, à l’audace :

IL NE FAUT PAS QUE JEUNESSE SE PASSE.

 

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