Adage n°14.2 : Une hirondelle... / T. Pocquet



Adage n°14.2

 

 
Une hirondelle ne fait pas le printemps
 
 


Tiphaine Pocquet

03/05/2020

 

Il est arrivé le printemps sans pourtant nous déloger de nos maisons, et du haut des quelques m2 de pelouse sur lesquels je règne, je ne crois pas avoir vu une seule hirondelle. Il y a d’ailleurs des lustres que je n’ai pas vu d’hirondelles. Je me souviens pourtant, enfant, du nid encastré sous une poutre que ma grand-mère me montrait débordant d’oisillons au mois de septembre, du débat qui nous opposait pour savoir si cet abri abîmait ou non la grange, et du vol élégant de la mère – ou du père – nourricier. Enfin, je revois le nid vide au mois d’octobre quand il avait fallu émigrer vers la chaude Afrique avant de revenir en mars de l’année suivante. Me reviennent aussi des histoires de vol haut et vol bas qui devaient immanquablement être suivies de précautions vestimentaires particulières, tant cet oiseau a des talents prophétiques.

Pourtant aujourd’hui, je dois regarder sur internet pour me souvenir enfin de cette tête bleutée et de cette gorge rouge si élégante. L’urbaine que je suis devenue a sans doute perdu l’art de déchiffrer les signes annonciateurs des saisons attendues, l’art même de les voir. Mais l’adage n’est pas tombé dans l’oubli. Je comprends ainsi instinctivement que c’est le déterminant « une » qui pose problème. Imaginons une hirondelle qui perd la notion des jours, ne comprend plus rien à nos températures et boutonne lundi avec mardi, impossible de s’y fier. Qu’il y ait deux, trois, plusieurs hirondelles et nous voilà plus sûrs. Et pourtant, il aura bien fallu une hirondelle pour que commence quelque chose…

Les dictons météorologiques ont gardé une survivance dans notre observation d’autres ciels économiques, sociaux et politiques. C’est sans doute dans cet emploi métaphorique que l’adage survit encore. Cette année en effet, j’ai à peine guetté le printemps, et c’est tout comme si nous l’attendions encore. J’ai bien senti autour de moi cette espérance fébrile d’une annonce qui nous permettrait, enfin, de retrouver une vie mobile nous aussi, un printemps social en somme. Mais quelles sont nos hirondelles annonciatrices de bonnes nouvelles : des données statistiques en baisse ? Des modèles étrangers rassurants ? Des discours politiques épiques ?

Je préfère écouter le fin silence intérieur et à défaut d’hirondelle, entendre la ville d’où s’élèvent de nouveaux bruits : voix de voisins esseulés du haut de la fenêtre, musique radio et grésillement des abeilles, enfin revenues, elles, sur nos plates-bandes.

 

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