Abécédaire

 

 
Crime
 
 


Hélène Merlin-Kajman

28/10/2017

 

 

Drôle de mot, celui-là. Pas facile.

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D’abord, j’ai cru entendre « cri » dans « crime ».

Mais pas très longtemps. Bizarrement, ça ne colle pas : « cri » et « crime » disjonctent. Le crime ne crie pas – pas vraiment.

Oui, et c’est une drôle de sensation, presque une contradiction. D’un côté, je me passerais évidemment de la chose (et la rejeter fait sans doute partie de sa définition). Mais de l’autre surgit en moi une sorte de plaisir, troublant.

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Je connais surtout le crime par les fictions (ou les rêves : et tous ne sont pas cauchemars) : intrigues policières, fables tragiques, légendes qui nous poursuivent et nous démesurent, nous livrant quelques noms grandioses, éclatants – Médée, les Atrides, Othello, Lady Macbeth, les frères Karamazov…

Mais la fiction échoue parfois … Et puis, il y a les faits divers, les bavures, les tueries… Soudain, un crime particulièrement atroce ou particulièrement révoltant, réel ou fictif, se met à me hanter des jours, des nuits durant...

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Crime, meurtre, assassinat.

Oui, des voisins.

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Même dans son emploi métaphorique, ça va très vite, un assassinat, ça siffle. Il y faut de la froideur, de la technique, de la préméditation. On assassine quelqu’un verbalement, on lui décoche une pointe assassine. Sans parler de l’œillade assassine (un peu désuète, il est vrai).

Bien sûr, on peut préméditer de tuer longuement quelqu’un, ou ne pas réussir à le tuer vite ; on peut distiller goutte à goutte des médisances perfides ; on peut étirer en longueur le jeu de la séduction fatale : n’empêche, l’assassinat est toujours une exécution.

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Le meurtre, lui, me fait franchement peur. La mort y est archi-présente. Le mot ne détourne pas l’attention vers le meurtrier comme l’assassinat vers l’assassin ou le crime vers le criminel. Il m’évoque la douleur de la victime. C’est que le verbe « meurtrir », qui veut pas dire (ou plus) faire mourir, donne à entendre et à voir la meurtrissure, tandis qu’avec assassiner, la victime est bien morte, et le verbe reporte toute l’attention sur l’action, et sur l’agent…

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Oui – mais crime ? On ne dit pas « crimer »…

On dit « incriminer » par contre. Tiens.

En son sens juridique, le crime, qui n’est pas le délit, comprend non seulement l’homicide, mais aussi le viol, l’inceste, le vol sous la menace d’une arme, etc..

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D’où, sans doute, la dramaturgie, ordinaire mais très vive, que nous connaissons tous. Vous avez fâché un ami parce que vous avez oublié de lui fêter son anniversaire ? Vous protestez : « ce n’est pas un crime ! ». Vous invitez des amis à dîner autour d’un vin délicieux, et il en reste ? Vous insistez : « Ce serait vraiment un crime de le laisser ! » Et voici comment le crime entre dans nos dialogues les plus tendus comme les plus légers – loin, bien loin, des crimes...

 

 

   

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