Abécédaire

 

 

Rumeur n° 2




Lise Forment

20/05/2017

 

 

 

La rumeur murmure, bruisse sourdement – bruit des feuilles dans le vent, commentaire fait en passant. Puis (mais comme d’emblée) elle enfle, s’élève et se répand. Propagation, propagande à basse fréquence.

La rumeur, à nos oreilles contemporaines, ne fait plus entendre le brouhaha joyeux des conversations, ni même le tumulte d’une foule mécontente, d’un peuple en rébellion. Du bruit qui court au mensonge qui persécute, le canular semble avoir mal tourné, pour de bon et pour le pire. Les dictionnaires ne le disent pas encore, mais la rumeur n’est plus que le nom vieilli de ces fake news, qui diffament outrageusement, détruisent les individus, empoisonnent les sociétés démocratiques, menacent tout et chacun.

Prise dans la toile médiatique, la rumeur gronde sans arrêt. Seul espoir de répit : qu’elle soit ensevelie dans ce flux constant par une autre calomnie. Énoncé sans énonciateur, la rumeur est une aberration linguistique, une monstruosité politique. Son incarnation mythologique, plus que jamais, c’est l’hydre de Lerne, dont les têtes tranchées ne cessent de repousser et de se dédoubler.

Peut-on l’apprivoiser ? J’en cherche des incarnations sympathiques : il y a bien ce jeu du « téléphone arabe », auquel nous jouions enfants, en ligne ou en cercle, ignorant le préjugé raciste qu’affiche et diffuse pourtant son nom (j’apprends qu’en anglais on nomme ce jeu innocent Chinese whispers ou Russian scandal…). Dans mes souvenirs, surgissent aussi ces douces figures de commères qui peuplaient mon quartier, mon village : un vieux voisin toujours à la fenêtre, un peu simplet mais pas bien méchant ; un autre dressé sur son vélo, observant chaque matin les voitures au croisement ; un duo de grands-mères bavardant et persiflant jour après jour sur le même banc. Remplacer la rumeur impersonnelle, inatteignable et humiliante par quelques cancans et ragots à peine malveillants ? — La belle affaire, me direz-vous. La belle arnaque au signifiant : « can-can-can » fait l’hydre domestiqué. — Mais cette rumeur-là au moins a un visage et il n’est pas toujours grimaçant. Je peux le regarder en face.

 

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