Abécédaire

 

 

Nuit n° 1




Jennifer Pays

25/03/2017

 

 

Noire, bleue, teintée du jaune de nos lampadaires et de nos fenêtres éclairées, elle est comme la poésie. Opaque, vide, épaisse, de pleine lune, orangée, colorée par mes souvenirs de voyage.

La nuit, ce sont les Feuillets d'Hypnos, un concentré nous éclatant au visage, une fulgurance, un sens qui nous frappe ou qui nous échappe, une respiration, une vibration, une angoisse. La nuit est Hypnos qui nous éclaire, est Thanatos qui se rappelle à nous. Pourvu que cette dernière nuit soit douce.

Adolescente, je me réjouissais d'avoir le pouvoir de la rendre blanche : Carpe noctem. Désormais, si elle est blanche, ce n'est pas très bon signe. D'ailleurs, elle n’est pas aimée de ma grand-mère car elle réveille les angoisses. Elle évoque le sous-jacent. Elle me ramène à ma condition.

La nuit me plonge dans l'écoute, il y a moins à voir qu'à entendre : le frigo vit, les placards craquent, le tic tac de l'horloge clique, il y a comme un fourmillement permanent dans l'air ou alors j'ai des acouphènes, je sens mon cœur battre dans ma gorge, je m'imagine sur des nuages, je suis sablier, je revois.

Il y a un endroit où on n’entend vraiment rien la nuit, c'est chez mon père. La maison est en pleine campagne, pas loin du cimetière.

Je marchais au hasard ; je parcourus des champs, des bois, des hameaux où tout était immobile. De temps en temps j’apercevais dans quelque habitation éloignée une pâle lumière qui perçait l’obscurité. Là, me disais-je, là peut-être quelque infortuné s’agite sous la douleur, ou lutte contre la mort ; contre la mort, mystère inexplicable, dont une expérience journalière paraît n’avoir pas encore convaincu les hommes ; terme assuré qui ne nous console ni ne nous apaise, objet d’une insouciance habituelle et d’un effroi passager ! [1]

 

Dépossédée de son déterminant, changeant de statut grammatical, conjuguée à la troisième personne du singulier au présent de l’indicatif, elle fait obstacle, elle cause du tort, elle nuit aussi. Mais redevenue substantif, elle triomphe chez les jeunes parents qui s’enthousiasment : « notre bébé fait ses nuits ! » O joie !



[1] Benjamin Constant, Adolphe, chapitre VII.

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