Sablier n° 7.3

 

Rêves n°3
 

Eva Avian

06/06/2020

 

Je roule ma bosse depuis au moins deux décennies (hasardons : septembre 2001) dans des avions qui s’écrasent à coup sûr et des télésièges qui se décrochent bêtement au-dessus du vide sans que j’aie pu, malgré un temps maladroitement lent, rabaisser la protection, boucler ma ceinture, ouvrir le parachute. Il arrive que je ne sois pas dans l’avion, et il est rare qu’il s’écrase : en vérité, le cauchemar tient à la certitude qu’il va s’écraser et que tout le monde sera mort, ce qui est inéluctable, et je me réveille toujours avant cette fin du monde.

En plus de ces vieux fantômes, j’ai vu déferler, ces dernières semaines, des milliers de souris fuyant l’incendie (avant de trouver refuge dans de petits abris spécial-souris construits par les élèves au sein du bâtiment scolaire) ainsi qu’un troupeau de dinosaures jaillissant d’une forêt pour fuir la catastrophe. Je n’avais pas croisé ces gars-là depuis l’enfance, et l’âge où ils m’étaient anormalement familiers.

Mais il restait du temps, ces nuits de mai, pour des considérations nocturnes moins anxiogènes. Pourquoi s’emmerder, par exemple, avec de vraies feuilles d’automne, quand un bon coloriste pourrait fournir le tournage du film en feuilles rouges qui prendraient parfaitement la lumière ? Je suis contente qu’une amie ait écourté sa propre nuit pour venir m’éclairer sur ce point. J’ignore encore si, à l’automne, nous ferons crisser sous nos pieds les feuilles rouges, vraies ou fausses, ou si nous les verrons à la lumière d’un écran...

J’ai donc été témoin de crashs aériens de toutes sortes, quoi qu’il s’agisse du moyen de transport le plus sûr, et je dois dire que mon démon nocturne n’a pas du tout pris en compte le ralentissement du trafic. Mais c’était bien la première fois, il y a quelques nuits, qu’à l’angoisse incomparable de la fin, succédait une sortie sans transition dans les couloirs de l’aéroport (mon amie me lançait même une peluche pour la route : sympa !) : nous venions donc de bénéficier d’un atterrissage en douceur. Vraiment !

La même nuit, je chante Alone again, naturally à la table du petit déjeuner. C’est une chanson sans une note d’espoir, si ce n’est qu’elle est si belle et, mon Dieu ! que c’est bon de chanter comme on chante dans les rêves, de façon fluide, douce et puissante !

In a little while from now

If I’m not feeling any less sour,

Je ne suis pas seule à la table du petit déjeuner, et mes deux compagnons sont émus par cette chanson, en un pays où il me semble qu’il est inconvenant de se mettre à chanter hors de scène lorsque l’on a passé huit ans, on peut toujours rêver !

To think that only yesterday

I was cheerful, bright and gay,

Je me réveille avant le dernier couplet, sans doute le plus désespérant : j’ai renoncé à l’apprendre lors de mes sorties d’une heure autour des Buttes Chaumont.

 

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