Abécédaire

 
 Tremblement n° 3
 
 


Augustin Leroy

11/07/2015

La terre, les feuilles, les rides de la mer dont la surface paisible s’altère sous la caresse de la risée se font l’écho d’une fragilité anthropologique, d’une présence et d’une parole humaine venue vaciller dans la nature.

Tremblement de la voix à l’instant de prendre la parole ? Les cordes vocales se désaccordent, il y a comme un trémolo plaintif et pathétique neutralisant à la fois l’élan et la signification du discours… Tremblée, la meilleure idée du monde échoue au bord des lèvres, atrophiée de son énergie et de son souffle. Avoir la voix qui tremble, est-ce ne jamais pouvoir parler ?

Si le langage n’offre pas à ma peine un idiome apte à la prendre en charge alors ma peau se hérisse et fabrique un verbe fait chair de poule : coup d’état du tremblement.

Le tremblement court-circuite le jeu de l’impression et de l’expression. Contrôle d’identité, insultes et intimidations viriles, menaces symboliques ou physiques, autant de situations où la parole est noyée par l’injonction à trembler, à obtempérer en tremblant. Tout tend à confirmer l’axiome suivant : se répète, chaque jour, au cours d’un rituel séculaire mesurant l’efficacité du pouvoir en fonction du degré de peur qu’il provoque, un dressage, qui cherche à faire du tremblement la preuve de la suprématie de l’Etat. La police contrôle quiconque possède un comportement suspect : si je tremble de peur face à la police, symptôme de leur brutalité, alors la police diagnostique cette peur comme le signe de ma culpabilité. Apprendre à ne plus trembler.

Le chirurgien est un héros, puisqu’il fait profession de ne pas trembler, sans quoi il perd et son boulot et sa liberté : le tremblement d’un bref instant à cœur ouvert peut coûter une vie. Mais le chirurgien est pris de convulsions, au moment de prendre l’avion, tant et si bien qu’il faut soit le porter de force dans l’engin, soit le laisser repartir et calmer ses tremblements en fuyant l’aéroport. Pendant la première guerre mondiale, des soldats courageux et endurants se sont brutalement mis à convulser des jambes, jusqu’à ne plus pouvoir supporter le poids de leur propre corps. En cela, ils sont semblables aux amoureux-ses transi-es qui vacillent au moment de dire les mots bleus ou d’avouer la mort de l’amour, aux amants et aux amantes que l’incandescence du plaisir métamorphose en épileptiques. Les seuls à ne trembler jamais sont les robots, les machines, ou les hommes jetés hors des frontières de l’anthropos, les hommes anesthésiés, les hommes que le tremblement déserte et qui ont été désaffectés.

Mort, tout ce qui ne tremble point ! la chair, le coeur, la voix, ça tremble de colère, de peur et de désir. Et si ce tremblement fait que l’on manque parfois à ses devoirs moraux ou politiques, il manifeste néanmoins l’exigence d’une vie matérielle qui perce dans le défaut du langage.

Aussi les tremblements de la vie à l’explosion d’un bourgeon de fleur : bloom !

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