Séminaire

Séance du 16 décembre 2013

 

Préambule

Qu’une mathématicienne accepte notre invitation à Transitions en proposant de revenir sur le thème du contresens, ce pourrait être une provocation. Allons-nous nous-mêmes à contresens, avec ces dialogues que nous organisons depuis nos débuts entre la littérature et les autres disciplines, y compris les disciplines scientifiques (voir les rencontres avec Alain Prochiantz, Aurélien Barrau, Pierre François Berger, Sébastien Balibar, Sebastian Amigorena) ? Nous tromperions-nous de direction ? C’est qu’il faut savoir ce qu’on cherche, nous dit C. Goldstein.

Enumérer les points communs, et se satisfaire, pour s’accorder, de mots aussi beaux que vagues (« infini », « chaos »…) n’a pas d’intérêt. Dans sa recherche en histoire des mathématiques, elle veut ainsi se démarquer des entreprises qui visent à repérer les traces toujours plus anciennes, plus lointaines, d’objets mathématiques de toute éternité. Dans ce même souci, elle refuse aussi la démarche inverse qui prétend fixer le sens des objets mathématiques du passé à l’aide de leur contexte, au singulier, comme si celui-ci était unique, car ce n'est finalement qu'une variante un peu plus subtile de l'illusion idéalisante.

Ne pas chercher à (re)connaître un sens qui seul serait qualifié d'authentique, donc. Mais le contresens, qui est ici tout sauf un non-sens, est-ce que cela se cherche ? Oui. En se penchant, par exemple, sur ce qui est nécessairement laissé de côté par le choix de telle ou telle grille d’interprétation. En reconnaissant la fécondité de l’anachronisme : exemple fascinant de la traduction algorithmique d’une tablette mésopotamienne, qui vient mettre en évidence les rapports qu’un problème mathématique entretient avec des textes de lois et des textes de divination contemporains.

Valoriser le contresens et accorder le statut de résultat à ce qui ne tombe pas juste, à ce qui n’est pas pareil. Ce n’était donc pas une provocation, mais un avertissement, toujours salutaire quand on pratique la transdisciplinarité, laquelle ne devrait jamais dissoudre les spécificités, mais inviter au contraire à « cumuler les responsabilités » (C. Goldstein). Mais un mode d’emploi, presque, pour la littérature – de toutes les disciplines, réputée la plus redevable aux autres, et qui n’est peut-être, pour cette raison, jamais pareille à elle-même.

S. N.

Catherine Goldstein est directrice de recherche au CNRS, dans l’équipe d'histoire des sciences mathématiques de l’Institut de mathématiques de Jussieu-PRG. Elle a d’abord travaillé en théorie des nombres, sur l’arithmétique des courbes elliptiques, avant de s’intéresser à l’histoire de ce sujet et aux transformations historiques des énoncés et des objets mathématiques.  Elle a publié sur ce sujet « L'un est l’autre : pour une histoire du cercle », in M. Serres (dir.), Eléments d'histoire des sciences, Bordas, 1989, « L’arithmétique de Fermat dans le contexte de la correspondance de Mersenne : une approche micro-sociale », Annales de la Faculté des sciences de Toulouse (2009) et surtout un livre consacré à ces questions, Un théorème de Fermat et ses lecteurs, PUV, 1995. Elle s’intéresse en particulier à la manière de prendre en compte les liens sociaux dans le développement  des mathématiques, et vient d'éditer avec D. Aubin un livre sur la première guerre mondiale, The War of Guns and Mathematics, AMS, 2014. Elle a aussi organisé ou participé à plusieurs projets transdiciplinaires, y compris pour promouvoir les carrières mathématiques et  la diffusion des sciences, recevant conjointement le prix d'Alembert de la Société Mathématique de France en 2003.

 

 

 

 

Rencontre avec Catherine Goldstein

Contresens et a(na)chronisme

 

 
 

10/01/2015

 

 

Présents : Claire Badiou-Monferran, Pierre-François Berger, Maren Daniel, Mathias Ecoeur, Marwa El Boukadi, Mathilde Faugère, Alexis Hubert, David Kajman, Lise Forment, Constance Giroux, Jean-Nicolas Illouz, Hélène Merlin-Kajman, Jennifer Pays, Tiphaine Pocquet, Jean-Louis Repelski, Brice Tabeling.

 

 

 

Plan de la séance :

 

Introduction par Hélène Merlin-Kajman

00 : 07 : 51 Exposé de Catherine Goldstein

01 :04 :07 Question d’Hélène Merlin-Kajman : Quand, par le détour de la lecture algorithmique du problème mésopotamien, on parvient à faire des rapprochements avec d’autres textes contemporains, l’entrée qui permet cela est-elle l’algorithme ou une sorte de syntaxe, comme on pourrait le penser avec Foucault ? Pour le dire autrement, quelqu’un ayant juste assez de connaissances mathématiques pour déchiffrer ce problème mathématique et étant grand lecteur de Foucault, voire linguiste ou psychanalyste, aurait-il pu procéder à ce type de lecture ?

01 :06 :29 Question de Pierre-François Berger : La voie d’accès algorithmique au problème mésopotamien dont vous parlez n’est-elle pas le revers de la voie d’accès algébrique ?

01 :23 :14 Question de Mathias Ecoeur : Pouvez-vous revenir sur le rapprochement que vous faites entre cette tablette mésopotamienne et les textes de loi et de divination ? Dans quelle mesure cela a-t-il un rapport avec le fait que le problème est formulé en langage naturel ?

01 :25 :58 Question de Pierre-François Berger : Est-ce qu’on ne peut pas dire qu’il y a de la part de l’auteur de ce graphique un jeu de forme volontaire ? La traduction algorithmique ressemble plus à l’écriture cunéiforme qu’à l’écriture latine. Cela pose la question du langage naturel : pour qui est-il naturel ? Est-ce que l’écriture numérique ne préfigure pas l’écriture alphabétique ?

01 :27 :30 Question d’Hélène Merlin-Kajman : Jusqu’à quel point ta mise en garde contre la transdisciplinarité concerne-t-elle ce que nous faisons ?

01 :37 :33 Question de Pierre-François Berger : Ne peut-on pas penser que ces rapprochements entre les mathématiques et d’autres disciplines, d’autre arts, sur le simple motif d’un mot commun (« fractal », « chaos »…) sont d’autant plus durs à accepter par les mathématiciens que ceux-ci sont habitués, par leur discipline, à ne prendre aucune liberté dans la confrontation avec l’expérience ? Mais n’y a-t-il pas, au fond, une source commune, des pulsions communes aux mathématiques, à la littérature, à la magie, sur la base de la manipulation du réel par les symboles ?

01 :42 :21 Question de Brice Tabeling : Vous suggérez que les mathématiques sont un langage comme un autre, susceptible d’histoire, qui décrit le réel différemment selon les époques, sans rapport particulier à la vérité, à la description du monde. Mais comment résoudre le caractère prévisible du langage mathématique, sa capacité à opérer sur le réel ?

Exemplier :

Œuvres et auteurs cités dans la discussion:

Fanny Cosandey (dir.), Dire et vivre l’ordre social en France sous l’Ancien Régime, Paris, éd. de l’EHESS, 2005.

Alain Prochiantz

Catherine Goldstein, « Des passés utiles : mathématiques, mathématiciens et histoires des mathématiques », Noesis 17, 2010, p. 135-152.

Jean Cavaillès, Remarques sur la formation de la théorie abstraite des ensembles, Paris, 1938 ; rééd. Philosophie mathématique, Hermann, 1962, p. 27-28.

François Le Lionnais (dir.), Les grands courants de la pensée mathématique, Paris, A. Blanchard, 1962.

René Godement, « Les méthodes modernes et l’avenir des mathématiques concrètes », dans F. Le Lionnais, Les grands courants de la pensée mathématique, Paris, A. Blanchard, 1962.

Jean Perrin

Claude Monet

Claude Debussy

Marcel Proust

Jacqueline Boniface

Hourya Sinaceur

Théorème de Pythagore

Suites de Fibonnaci

Pierre de Fermat

Jim Ritter

Code de Hammurabi

Donald Knuth, The Art of Computer Programming, Reading,Addison-Wesley, 1973- 2011.

Thomas Kühn

Jean de La Fontaine

Monique David-Ménard, Les Constructions de l’universel, Paris, PUF, 2009.

Euclide

M.A. Safir (dir.), Connecting Creations : Science-Technologies-Literature-Arts, Centro Galego de Arte Contemporanea (CGAC), Xunta de Galicia, Santiago de Compostela, Spain, 2000 (communications de Marina Abramovic, Evelyn Fox Keller, Jürgen Partenheimer, Michel Rio…)


 

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