Abécédaire

 
 Divers n° 1
 
 


Hélène Merlin-Kajman

06/12/2014

Divers : le mot est joli, joyeux même. Car il évoque d’abord l’insouciant renouvellement des différences, leur variété, leur désordre. Sans lui, pas de plaisir. Tant pis pour les maniaques ou les obsessionnels : l’objet du désir, nous le savons bien, est éminemment substituable ; et le dieu Amour, parfois archer aveugle, parfois funambule follement obstiné...

En littérature, son nom est Abeille : butinante, froufroutante, bourdonnante, allant deça delà les fleurs, et, du divers, faisant le trésor qui nous enchante. C’est le divers devenu miel : un Un qui ne détruit ni n’écrase rien.

En morale, il inquiète, non sans raison, d’une inquiétude fertile : il fait osciller les normes mais conduit trop vite à la vaine et triste répétition du libertinage.

Le divers vaut s’il nous blesse un peu et s’il nous donne beaucoup d’élan. Relativisme est son écueil et dogmatisme son ennemi.

En politique, il menace bien davantage :  « divers droite », « divers gauche » (plus rare), agrégation de mécontents qui agressent le collectif et dispersent les voix...

Dans les ordres du jour de nos modernes réunions, on charge le divers de l’inclassable, du fortuit, du sujet de dernière minute. Il est un peu comme la foule des curieux s’engouffrant après un cortège ou la bande des badauds qui flânent encore longuement une fois la cérémonie terminée...

Bien sûr, le danger du divers, c’est l’éparpillement, l’incohérence, l’amateurisme. Diversion et divertissement. Il mène à deux doigts de la panne, de la discorde, et même de l’ennui quand il multiplie banalités et anecdotes.

Mais il dit aussi le regard émerveillé sur la Création, son abondance, son foisonnement. Et même sans Créateur : dès que nous ouvrons les yeux sur le monde, la lumière éclaire l’enivrante diversité des formes, des senteurs, des goûts, des couleurs, de l’animé, du pétrifié, du végétal, des reliefs, des langues, des climats, des fables...

Le divers : très menacé aujourd’hui sous ses formes les plus belles. Très fréquenté sous ses formes les plus faibles. A combattre absolument, car l’assemblage est beau, belle l’assemblée - mais pas la masse, ni l’uniformité. Donc à défendre ardemment, à condition de s’arracher à l’angoisse de sa disparition.