Exergue n° 6

 

 

« Au moment du hiatus, il y a un bégaiement, un blocage essoufflé qui finit par avoir valeur de transition ; on imagine les Mégariques bègues et réticents à dire : « Il alla à Athènes ». Le hiatus est un moment d’inconfort où un passage réussit à s’accomplir malgré l’absence de toute liaison. La pure énergie de poursuivre à travers un empêchement haletant. Au principe, y a-t-il primitivement liaison ou hiatus ? L’affaire exigera d’être discutée. C’est une décision ontologique majeure. Le hiatus serait une façon d’arrimer de force l’un à l’autre des incompatibles inharmoniques, et le platonisme n’est à l’opposé qu’une présomption d’harmonie continuée aussi loin qu’on voudra. »

Patrice Loraux, Le Tempo de la pensée, Paris, Le Seuil, 1993, p. 18-19.

 
 


Brice Tabeling


21/10/2011

Commencer par rire des Mégariques bègues. Le rire est un indice.

S’interroger ensuite sur ce qu’implique un hiatus ayant « valeur de transition » : s’agit-il d’un simple retournement critique, d’une finesse de philosophe ? Un effort, au bout du compte sans surprise, pour penser l’écart comme lien ? Mais aussitôt, cette évidence : Patrice Loraux conserve à la liaison et au hiatus leur radicale différence ; c’est là, précisément, que réside la « décision ontologique majeure » et la difficulté d’une transition comme hiatus.

La transition est l’obstacle. Loin du glissement élégant prescrit par la rhétorique scolaire, elle est le lieu où l’on piétine, moment d’inconfort, « blocage essoufflé », mais où se joue aussi la décision de poursuivre, « empêchement haletant ». Il faut encore y soutenir un choix : le hiatus et sa physicalité intranquille, ou bien la « présomption d’harmonie continuée aussi loin qu’on voudra». Ainsi et par exemple, assumer, de la littérature, ce qu’elle contient de discontinuité, d’épreuve et de divisions, ou bien les repousser au profit du postulat d’un tout, d’une immédiateté évidente. Mais penser à choisir, c’est déjà bégayer.

Tous Mégariques, tous bègues, alors ? Tous, sauf Rimbaud, dira Patrice Loraux, qui de chaque hiatus sait faire une fulgurance. – Et de lire dans « Il alla à Athènes », un lumineux Ah ah ah ! 

 

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