Exergue n° 28

 

  

« O somma luce che tanto ti levi
da' concetti mortali, a la mia mente
ripresta un poco di quel che parevi,
e fa la lingua mia tanto possente,
ch'una favilla sol de la tua gloria
possa lasciare a la futura gente ;
ché, per tornare alquanto a mia memoria
e per sonare un poco in questi versi,
più si conceperà di tua vittoria. »

Dante, La Divine Comédie, « Paradis », chant 23.

 
 



Brice Tabeling

24/03/2012

Je ne parle pas italien mais le sens n’a peut-être pas tant d’importance.

O somma luce. Ce fut d’abord le titre d’un film sur une affiche, puis une séance dans le Vème en présence du réalisateur, Jean-Marie Straub et d’un philosophe, Jacques Rancière.

Non : du titre à la projection, il faut intercaler la curiosité suscitée par le O initial, que je trouvais beau, d’une plénitude triomphale que n’a pas son équivalent français, contraint par l’accent circonflexe. Puis somma, au dessin timide de mer régulière, relançant le o et l’épuisant doucement, d’une vague à l’autre, pour faire place au a. Luce enfin, jaillissement de la verticalité, aveugle aux jeux de la rondeur tonitruante et du murmure horizontal, solitaire et suffisante. O somma luce : ce fut encore le son et la cadence d’une phrase mal comprise, que je me répétais des jours durant, en un italien très personnel. Puis, le beau film de Straub dont je ne dirai rien sinon qu’il était une simple récitation du poème de Dante, simple mais redoublée, d’abord avec sous-titres, puis sans.

Et maintenant, les vers. Faut-il vraiment leur associer une signification, ou bien leur trajet, d’eux à moi, ignorantus ignoranta ignorantum, suffit-il à faire passage ? Dante prie la lumière de prêter à sa langue suffisamment d’éclat et de pouvoir qu’una favilla sol de la tua gloria / possa lasciare a la futura gente (vous ne comprenez pas ? Tant mieux). Est-elle là, pour moi, cette lumière des vers de Dante et peut-elle se distribuer d’une affiche de cinéma à une salle de la rue Champollion, à travers la graphie d’un titre imprimé ? Je trahis le rêve de pureté néo-platonicienne mais, pourtant, je veux parier que oui : les transitions conservent une part de ton triomphe, O somma luce.