Exergue n° 38

 

 

« [...] [L]es grandes langues (les koinai) sont toujours des langues-de-traduction : traduites et traduisantes, elles ont dès leur origine été entretissées de traduction. Comment, dès lors, postuler un “pur” rapport de l’œuvre à sa langue (posée comme une réalité non mélangée), si cette langue est constituée déjà, pour une bonne part, par des traductions ? [...] C’est un préjugé que de croire la traduction – l’accès au texte par la traduction – inférieure à la lecture “directe”.

S’il est plus que douteux que l’œuvre ne parle que dans sa langue, s’il est douteux qu’elle parle, pour moi, plus pleinement dans sa langue qu’en traduction, alors la thèse selon laquelle la finalité unique de la traduction est de me faire accéder tant bien que mal à une œuvre étrangère s’effondre. Elle a certes aussi cette finalité, mais cela touche-t-il à son essence profonde ? Les cultures polylingues des XVIe et XVIIe siècles traduisaient des œuvres qu’elles pouvaient fort bien lire dans leur langue d’origine. Pour elles, la traduction permettait de « moduler » une œuvre. Pour elles, l’œuvre ne s’accomplissait que dans ses variantes – et inversement, ses variantes ne pouvaient être que linguistiques. »

Antoine Berman, L’âge de la traduction. « La tâche du traducteur » de Walter Benjamin, un commentaire, Paris, Presses universitaires de Vincennes, 2008, p. 51-52. 

 
 


Hélène Merlin-Kajman

02/06/2012

Etrangers à tous comme à nous-mêmes et pourtant traduits en monde, nous nous faisons de grands gestes inapaisés d’une rive à l’autre, mais gestes parfois gracieux, presque amoureux, dessinant des figures fantastiques sur un ciel très bleu pour y jeter des poignées d’étoiles, résistant au bateau ivre comme aux racines létales, avec ce désir de varier, varier encore, varier sans discontinuer, quand souffle le grand vent de l’exil aux quatre points cardinaux et qu’un si frêle abri tremble sous ce grand vent...