Exergue n° 72

 

 

« Pantagruel, entendant l’esclandre que faisait Panurge, dit : « Qui est ce fuyard là bas ? Voyons premièrement quels gens sont. Par aventure sont-ils nôtres. Encore ne vois je personne. Et si vois cent mille à l’entour. Mais entendons. J’ai lu qu’un Philosophe, nommé Petron, était en cette opinion que fussent plusieurs mondes se touchant les uns les autres en figure triangulaire équilatérale, en la patte et centre de quels disait être le manoir de Vérité, et là habiter les Paroles, les Idées, les Exemplaires et portraits de toutes choses passées et futures : autour d’icelles être le Siècle. [...] Ores serait à philosopher et rechercher si forte fortune ici serait l’endroit, en quel telles paroles dégèlent. » […] Le pilote fit réponse : « Seigneur, de rien ne vous effrayez. Ici est le confin de la mer glaciale, sur laquelle fut, au commencement de l’hiver passé, grosse et félonne bataille, entre les Arismapiens et les Nephelibates. Lors gelèrent en l’air les paroles et cris des hommes et femmes, les chaplis des masses, les hurtys des harnais, des bardes, les hennissements des chevaux et tout autre effroi de combat. A cette heure la rigueur de l’hiver passée, advenente la sérénité et temperie du bon temps, elles fondent et sont ouïes. »    

Francois Rabelais, Le Quart Livre,
Paris, Livre de Poche, 1994, p. 1153-1157 

 
 


Mathilde Faugère

23/03/2013

Face à des paroles sans source, sans auteur, fuyantes, inquiétantes comme ces choses qui ne sont ni clairement attribuées, ni clairement assignables, Pantagruel nous y engage, il faut écouter avant de fuir.

Alors vient l’interprétation. La parole du pilote est, avouons-le, bien prosaïque à côté de l'envolée de Pantagruel. Il rompt la limpidité métaphysique, le charme d'une lecture qui pensait avoir atteint le plus important en se tendant immédiatement vers la cime. Il coupe court, comme un professeur qui avertirait son élève : « attention, selon ces éléments, votre interprétation pose problème, votre interprétation est un contresens ». On imagine la déception de ce bon élève qu'est Pantagruel, on est un peu déçu soi-même.

Mais... Voyons ce qui vient après ce court passage : les Pantagruelistes prennent à pleines mains les paroles pour jouer, pour les regarder, pour les écouter. La bataille passée intéresse peu comparée à ces « mots de gueule », à ces « paroles bien piquantes » transitoires, presque friables. On laisse de côté la question de la provenance : les paroles deviennent in-utiles, in-offensives, importantes pourtant dans leurs formes et leurs goûts.

La compagnie touche, explore, savoure. 

 

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