Juste un texte n° 8

 



Le Quantodon


Anouck Siboni

28/05/2016

« Le pardon et le don ont peut-être en commun de ne jamais se présenter comme tels à ce qu’on appelle couramment une expérience, une présentation à la conscience où à l’existence, justement en raison même des apories que nous devrons prendre en compte ; et par exemple, pour m’y limiter provisoirement, l’aporie qui me rend incapable de donner assez, ou d’être assez hospitalier, d’être assez présent au présent que je donne, et à l’accueil que j’offre, si bien que je crois, j’en suis même sûr, toujours avoir à me faire pardonner, à demander pardon de ne pas donner, de ne jamais assez donner, de ne pas assez offrir ou accueillir. On est toujours coupable, on a toujours à se faire pardonner quant au don. » 1

« Je » est Daphné. Mettons. Et c’est l’histoire d’une enfant.

Elle est enfant tout le temps que ça n’est pas fini d’écrire. C’est-à-dire tant qu’elle ne s’est pas rendu la parole.

Son père est juif, sépharade, directeur de la librairie du mémorial de la Shoah.

Sa mère est secrétaire à l’Agence France Presse.

Tout est dit ?

Parfois, à vingt-trois ans encore, quand la mère parle avec son frère, elle en parle comme d’une absente.

« Où tu la mets ? » La mère.

« Elle dormira par terre à côté de moi cette nuit, il n’y a pas de problème » Le frère.

Du coup Daphné a pris l’habitude d’être… absente.

Et l’absente accepte et cautionne l’absence. Pourquoi ?

C’est l’histoire d’une enfant, parce qu’il lui semblait évident qu’à l’âge des enfants on ne lui laissa jamais la parole. Et quand je dis « jamais la parole » j’entends qu’on ne lui laissa pas non plus les désirs qui la couvent. Un jour à l’école -elle se souviendra- un jour à l’école il y avait un exercice de grammaire. Le texte était un extrait des Misérables de Victor Hugo. Elle a dit à l’enseignante qu’elle ne voulait pas attendre pour lire cette chose là parce que à ce moment les lignes écrites lui apprenaient sur elle. Le visage s’est tourné, trop compliqué. Les parents aussi avaient peur que tout soit trop compliqué.

Aujourd’hui admettons que « Je » soit Daphné, « Je » est un cancre. On le lui dit. On lui fait même apprendre le poème de Prévert. On lui fait apprendre par cœur. « Je » apprend avec le cœur, avant qu’elle ait pu être autre chose. Comme sa mère avant elle (c’est cela qu’il faut savoir) et comme la mère de sa mère avant elle, et comme l’arrière grand-mère en fin de compte… La « honte d’être » avant tout, avant la vie elle-même. « Cancre » Daphné apprend à le revendiquer très tôt. Très tôt, revendiquer ses défauts devient l’enjeu d’une survie. Très tôt déjà, la mère lui raconte que l’école est composée d’enseignants incompétents et qu’il faudra être patiente et courageuse pour rencontrer peut-être un jour « le professeur », celui qui peut-être te donnera la parole, la chance d’être. La chance de se comprendre,

soi pour les autres et les autres pour soi.

Mais voilà la question. Un énorme nœud composé de plusieurs fils. Il lui semble que le plus gros, celui qui s’enlace et retient tous les autres est : Pourquoi si les parents ont été exclus du système scolaire parce qu’ils étaient perçus comme de mauvais élèves, pourquoi alors qu’ils nourrissent une haine à l’égard de l’enseignement, pourquoi ont-ils élevé en cancre ? Et pourquoi ont-ils accepté ce schéma? Et il semble à Daphné que tout ça s’est joué très tôt mais qu’elle aussi enfant, elle a accepté, elle ne devait pas comprendre. Car c’était son identité, son héritage. Il lui semblait alors que naître au monde consistait à mettre les vêtements des autres. Les mettre jusqu’à ce qu’ils fondent au corps.

C’est un récit d’une dizaine de pages qui est imbibé des auteurs lus pendant ce séminaire. Il y a surement alors parfois de façon consciente aux détours des lignes, Le comité invisible, Peter Sloterdijk, Jean-Luc Nancy, Giorgio Agamben, et Hélène Merlin-Kajman. C’est un récit violent parce qu’il se situe entre l’amour d’un individu pour sa famille (incontestable, irrémédiable, inébranlable) et la culpabilité. Et « je » continue de s’interroger sur la part innocente des personnes qu’elle aime. Si seulement cette question est légitime…

« Je » ne prétend pas trouver la réponse en dix pages. Elle sait simplement que tout commence de cette façon. Daphné a un frère. Il a vingt-six ans. Il est diagnostiqué syndrome d’asperger à vingt-trois ans. Ils vivent dans cette famille pendant vingt-trois ans un enfant-garçon étrange, atypique, intéressant et une fille descendante directe de ses mères. Daphné se demande si avant le diagnostique de la maladie le problème n’était pas simplement lié à la considération des sexes. C’est aujourd’hui qu’elle se le demande. Enfant elle ne voit pas. Elle sent simplement qu’elle a un frère mais qu’il la refuse comme être vivant. Il ne la supporte pas. Il la hait peut-être. Mais toujours dans le silence. Daphné ne doit pas lui adresser la parole. Elle ne doit pas le toucher non plus. Les adultes, autorité divine, donnent raison au petit garçon. Il y a une grande maison à la campagne, la maison de la mère et du père de la mère. C’est la Provence. L’été, trois semaines, l’hiver deux semaines, c’est là qu’on abandonne Daphné. Quand elle est sur ce lieu, les seules personnes qui l’aiment (son père et sa mère) sont mortes. La grand-mère et le grand-père, s’ils admirent le petit garçon, n’ont pas la même attention pour l’enfant. Elle est encombrante. Si « je » raconte tout ça, c’est pour dessiner la première représentation du monde de « je », son premier environnement social, avant-avec l’école. Ce qu’elle sent d’elle-même.

Avant l’école, le premier ailleurs, loin de la famille n’est pas un endroit où l’on est en sécurité. C’est l’endroit des injustices cautionnées indirectement par l’autorité parentale. Le frère est exceptionnel parce qu’il a des pouvoirs. Encore aujourd’hui il est raconté comme un héros. Vers l’âge de la lecture il peut retenir des quantités de choses sur des sujets précis : les dinosaures, les trains, les requins. Il connaît le nom des espèces, l’origine de leur nom, leur poids, leur alimentation. Elle, elle n’est pas intéressante. Comme son frère refuse tout contact, Daphné s’en va dans le jardin des heures pour s’inventer des histoires. Lui on le raconte déjà. « Je » doit se raconter. Elle se souvient d’un état de solitude immense mais auquel elle a fini par prendre goût. Seule, elle se parle et ses mots ont une texture, quelque chose du réconfort. Bientôt au lieu de se raconter ses histoires à haute voix, elle va prendre un livre. Le premier livre qui l’ait émue jusqu’aux larmes : Le Lion de Kessel. La lecture devient son espace parce que son frère n’aime pas lire. Il lui permet de le prendre. La petite fille de l’histoire est seule, isolée des hommes qui ne lui accordent pas de temps mais elle a tout de même quelque chose d’extraordinaire et de bien à elle : son enfance avec le lion.

L’anesthésie au travers du récit :

Il faut des pages pour observer ces femmes là. La grand-mère, la mère et la fille. La grand-mère est née Marie, le 27 Janvier 1936 à Saint-Cyr-du-Bailleul d’une famille où « y’avait plus riche que nous, oui, mais y avait pas beaucoup plus pauvre ». Elle est la sixième enfant parmi ses neufs frères et sœurs. Sa mère est orpheline, enfant de l’assistance publique. C’est surement à cette époque que la mère de Marie apprend brièvement à lire et à écrire avant de devenir bonne à tout faire chez sa mère adoptive. Elle épouse un charpentier dans cet endroit de la Normandie. Est-ce un mariage d’amour ? L’arrière grand-mère est croyante, « c’est ce qui la sauve ». Vieille, elle passe ses journées à lire. Qui lui a appris ? Son mari, alcoolique, frappe les enfants. Il frappe aussi la mère. Y a t-il eu d’autres tabous ? On sait qu’à l’époque, quand Marie est enfant elle est considérée comme une fille de pauvre, mais elle dit qu’il y avait plus que ça, elle était la fille d’une orpheline : « Orpheline ça veut dire que tu es tellement rien que même tes parents ont pas voulu de toi, tu es tellement pauvre qu’ils ont pas pu te nourrir, mais surtout ils ont pas voulu. Quant on veut on peut toujours ».

Marie se souvient des enfants le soir, dans cette minuscule maison perdue. Du moins c’est ce que « je » s’imagine. Ils se mettent autour du feu de cheminée quand il fait froid. Peut-être discutent-ils là un long moment après l’école. Tout à coup la mère se retourne, les enfants ont disparus par la trappe du grenier. La mère est pratiquement sourde mais pas les enfants. Le signal c’est la voix qui raisonne dans les murs de la cheminée. Tout le monde se précipite vers l’échelle en bois. Dans cette famille là c’est chacun pour soi. Si l’une des plus jeunes se fait frapper aucun des grands frères ne s’interposent. Il y a déni de l’autre. Si c’est lui c’est que c’est pas moi et tant mieux.

Marie, la grand-mère de « je », est une femme froide et impassible. Mais à l’époque c’est une enfant, à l’époque c’est une petite fille. Il faut essayer de reconnaître cela pour « je ». A l’époque elle n’est pas responsable. Avant l’école il y a la faim. « Je » ne sais pas si elle a le droit de raconter, de raconter comme on raconte à la Zola. Elle ne veut pas ça, elle ne veut pas ça pour Marie qui dit avec pudeur, qui regarde au loin et qui dit « et alors ? Je vais pas pleurer sur mon sort ». Mais l’écriture répare peut-être les injustices. « Je » essaye.

« Grand-mère raconte moi s’il te plait comment c’était l’école pour toi ? »

« Pour moi ? Oh tu sais, il n’y a rien à dire… » Temps

« Ton premier souvenir ? »

« Il n’y en a pas. » Temps

« Tu aimais l’école ? »

« Non… » Temps

« Pourquoi ? » Temps

« Parce que la maitresse ne nous aimait pas trop. On la salissait… Elle avait peur d’être salie »

Ecole. Premier lieu de la discrimination.

« Pourquoi ? »

« Parce qu’on était pauvre. On ne se lavait pas tous les jours. Et puis on ne travaillait pas non plus. »

« Pourquoi vous ne travaillez pas ? » Temps et temps

« On préférait jouer en rentrant de l’école tu sais… »

Oui mais à quoi cela ressemblait physiquement de rentrer de l’école ?...

Il y a la mère qui s’occupe des plus petits, ça crie, ça pleure. Il n’y a pas de table pour travailler. La mère est trop occupée pour penser aux devoirs des enfants. « Je » comprends ses choses de manière détournée parce que pour la grand mère de « Je » tout est resté la faute de la petite fille. Marie raconte aussi qu’elle était très mauvaise en Français. Il y avait ce patois que la grand-mère abor par dessus tout et qu’elle a voulu fuir la vie durant. Comme si Dieu l’avait marquée du sceau de la pauvreté en lui laissant une syntaxe douteuse dans la bouche et dans l’âme. La marque du non-méritant. La marque des personnes honteuses de vivre.

« Dieu il aime pas les pauvres »

Un jour la maitresse - « la maitresse », modèle générique.- Un jour la maitresse a oublié Marie qu’elle avait punie toute l’après-midi dans la cour.

« C’était le problème… J’étais punie parce que je n’avais pas fait les devoirs à la maison mais du coup je ne pouvais pas suivre ce que les autres avaient appris pendant la journée. Je pouvais être punie pendant des heures. »

Il faisait nuit et Marie avait une « peur bleue » du noir. Quand la maitresse s’en ait aperçu elle a renvoyé l’enfant chez elle toute seule, sans autre forme de procès.

Une heure de route en marchant bien.

C’est un autre jour donc et c’est la fin d’un mois.

Tout l’argent est parti dans la boisson du père et il n’y a plus rien à manger depuis plusieurs temps. Alors la mère de Marie envoie ses filles à l’épicerie du village la moins chère. Elle envoie ses enfants sans argent demander à l’épicerie du village la moins chère les boites de sardine les moins chères. Il y a presque pour deux heures de marche à l’allé et il faut revenir avec. « Je » s’interroge sur la motivation. Et bien elles y vont et arrivées devant la boulangerie ça sera à celle qui demandera, mais elles avancent toujours. Quand elles rentrent tout se fige. On ne leur refuse pas les sardines. Devant les autres clients, elles demandent. Peut-être même qu’elles savent par quoi il faut en passer pour les avoir ces sardines. Tous les regards sont braqués vers elles. Chut ça commence. La première réplique des filles c’est une vieille femme très laide qui se prénomme Odile (on a qu’à dire, pense « Je »). Odile doit commencer sa tirade à peu près comme ceci : « Vous v’nez chercher quoi ? » les petites expliquent. « Je vous les donne d’accord mais quand c’est qu’votre mère me paye tout ce qu’è m’doit déjà ? » Les petites restent muettes. Et tout doucement on observe du piano au mezzo et de mezzo a forte. Cela doit finir par quelque chose dans le goût de ce qu’on imagine.

C’est ce que « Je » se dit.

Les souvenirs de la grand-mère,

un imaginaire la précédant.

Un début d’explication possible pour comprendre ce qu’elle est, mais aussi ce qu’elle ne parvient pas à détacher comme fil depuis son pantin intérieur.

« Je » peut toujours écrire ces choses là, ces choses qu’elle perçoit difficilement. Elles n’appartiennent plus à la mémoire collective de la famille mais aux blessures de la personne. Des spasmes repoussés hors du langage. Il n’y a plus que la sensation de la douleur. Marie, sa grand-mère, ne desserre plus les lèvres. Sous le coup du silence Daphné s’immobilise, se paralyse dans l’écoute.

La tentation de Carlo Bononi

Carlo Bononi est un peintre du XIIIe siècle. Il a réalisé une œuvre qui se nomme « L’ange Gardien ». Elle est constituée de trois personnages posés dans une clairière funèbre. Au centre un ange occupe une bonne partie du tableau. Il lève le doigt vers le ciel. Mais juste au dessous de ce doigt le spectateur peut distinguer dans les branchages, un village. Il montre tout cela à un homme, un fidèle à genoux qui croise ses mains dans un signe de prière et de respect. Juste derrière lui une figure démoniaque appuie sur les épaules du jeune homme, le retient. Daphné regarde ce Quantodon. Ce qu’elle voit est l’illustration de la tentation humaine.

D’habitude elle se figurait la tentation comme un mouvement vers l’extérieur. Proscrit du langage des hommes si cela ne peut être de sa pensée. Mais ici et pour la première fois devant ses yeux, il lui semble percevoir la tentation comme un élément statique. Le désir est lisible dans le regard du personnage. Il voit l’ange, le comprend parfaitement mais ne parvient pas à se lever pour rejoindre la communauté des hommes. Daphné perçoit la tentation comme un désir de solitude. Une pulsion animale. Un instinct de survie. L’absente au monde se découvre. Elle est coupable de ne pas choisir, coupable de ne pas refuser le don, pétrifiée parce qu’on ne refuse pas l’amour de ceux qui nous sont chers.

L’ange : Cette route là n’est pas la bonne. Suit moi vers le bonheur.

L’homme : J’entends. Mais comment revenir vers eux, vers ceux qui m’ont trahi ?

Et Carlo Bononi de répondre : par l’art.

La mère :

La fille de Marie est une fille unique. Marie avait huit frères et sœur.

Elle n’a fait qu’une fille.

« Je » pense que sa mère est triste.

L’incohérence (ou peut être est-ce l’origine ?) c’est d’avoir refusé de devenir journaliste alors que son père travaillait chez Ouest-France. Tout est parti de là. C’est qu’elle ne voulait rien devoir. Pas d’ombre. Ne rien devoir à l’amour puisque l’amour était pauvreté.

La mère de « Je » a subi une expérience scolaire traumatisante. Elle n’en est jamais revenue et elle a appris à sa fille la haine du professeur, soigneusement cultivée depuis la grand-mère. A l’école elle était « mauvaise » en tout dit-elle, mais surtout en orthographe. Tout le temps de la vie de « Je » la mère raconte, et raconte, et raconte comment un jour elle a écrit au tableau « Journaux » sans la lettre x. Surement que d’autres ne savaient pas non plus. Mais, le désintérêt du professeur.

« Je » sait ce qu’est ce désintérêt profond, violent. Un coup porté pour détruire l’identité de l’enfant.

« Je » continue de dire et de penser que l’enfant n’est pas responsable. Mais on ne peut pas s’empêcher de voir dans ces évènements une récurrence du passé. Comme si, inlassablement le Quantodon les rattrapait toutes, la promesse d’une longue condamnation,

le don de la pauvreté.

« Je » a appris récemment que Marie était trop pauvre pour élever sa mère. Elle a été confiée à la sœur de sa maman pendant trois ans. Daphné se souvient que son arrière grand-mère est une orpheline et elle se souvient qu’elle-même, durant l’été, allait chez d’autres. Lorsque Marie a retrouvé sa fille, elles ne se reconnaissaient pas, plus.

Le nouveau déchirement pour cette enfant ce fut l’école. Elle allait d’inconnus en inconnus sans que personne n’entende. Elle venait de perdre la femme qu’elle considérait comme sa mère.

A l’école, le pire n’était pas d’être puni mais humilié. Elle et son X étaient punis pendant des heures inutiles, tous les deux sous le bureau, les yeux braqués sur la culotte du tortionnaire qui ne semblait pas y prêter attention.

« Le pire était »

« Le pire était quand la maitresse déculottait un enfant devant nous pour le frapper sur les fesses. Tu voyais les regards avides et pervers des autres élèves qui communiaient avec le professeur. Ça c’était terrible pour moi… Je rentrais terrorisée à la maison, la peur qu’il m’arrive la même chose… Après à l’école c’était chacun pour soi. J’essayais de me sauver, les autres il fallait s’en moquer, je ne pouvais rien pour eux, je ne pouvais déjà pas grand chose pour moi ».

Première rupture, l’ami n’existe pas.

« A l’école on ne m’écoutait pas, je n’étais pas entendue. »

Marie, figée dans la parole enfantine et qui accepte le Quantodon comme le dernier lien- lien d’exil mais lien quand même- avec les autres. Moyen d’appartenir, acceptant l’idée forgée par la croyance collective pour qu’au moins Croyance reste mère du partage.

« O, le vieux cachalot solitaire entouré d’orage et de vent

Dans sa maison de l’Océan sera

Un géant de force là où force est le droit.

Et le roi de la mer sans limite. »

Chanson de Baleinier, Moby Dick

« Je » fut rattrapée par le Quantodon.

La culpabilité de refuser ce qu’on nous a donné par l’amour.

La bête courait à son rythme derrière elle, une main tendue vers sa cheville, et « Je » se débattait au présent, façon Bergson, un œil tourné derrière son épaule et l’autre loin devant.

A l’époque de « Je » son Quantodon s’était métamorphosé sous les lettres suivantes :

d-y-s-l-e-x-i-e.

Dyslexie, j’écris ton nom.

Diagnostiquée par sa maitresse de CE1 « complètement idiote ». « Surement faut-il vous faire à l’idée qu’elle ne saura jamais lire ».

L’hydreux personnage s’appelait Madame Walle.

Les parents ont défendu corps et âme l’anomalie.

Mais déjà le corps de l’enfant se figeait dans la représentation. Sous le silence des années, elle acceptait l’amour comme une matière difforme, prisme par lequel elle sentait de la haine à la joie, son appartenance au monde et sa légitimité à être.

La culpabilité de pouvoir réussir, peut-être, dans les études, là où Amour l’avait proscrite, faisait d’elle une personne fuyante, avançant à reculons sur le chemin du savoir.

La plus mauvaise parmi les meilleurs.

Voilà le compromis qu’elle devait, compromis qui faisait d’elle une étrangère pour la communauté des étudiants, et qui par là même, rappelait aux siens son attachement pour eux, comme le lien le plus précieux qu’elle eût à défendre.

Mazal

1 J. Derrida, Pardonner : L’impardonnable et l’imprescriptible, L’Herne, 2005, p.9