Hélène Merlin-Kajman

02 juin 2012

 

 

Enseignement, beauté, traduction

 

« C’est un préjugé que de croire la traduction – l’accès au texte par la traduction – inférieure à la lecture “directe” », écrit Antoine Berman dans la citation qui m’a servi d’exergue cette semaine.

L’affirmation peut sembler paradoxale tant nous sommes aujourd’hui convaincus que les langues, comme les cultures, sont des ensembles identitaires. Mais, comme le souligne le grand traducteur et théoricien de la traduction à qui l’on doit L’épreuve de l’étranger (Gallimard, 1984), une langue n’est jamais « une », un texte encore moins, et c’est pour cette raison même qu’il peut être traduit – pour cette raison aussi que nous pouvons nous entendre dans la mésentente.

Consacrée à la question de la beauté, la rencontre, le 11 janvier dernier, avec Jean-François Louette dont nous publions l’exposé suivi de notre discussion avec lui, illustre à sa manière cette utopie où nous nous tenons, à Transitions.

Je dis « utopie », mais précisément, parfois, elle a lieu.

Comme nous le souhaitions, Jean-François Louette dialogue généreusement avec certains des articles publiés ici dans la rubrique « Intensités » tout en avouant son scepticisme à l’égard de notre volonté de « revendiquer la beauté ». Entre consentement à la beauté et méfiance à l’égard de sa mise en discours, son propos nous rappelle opportunément que la critique de la beauté s’est fondée sur de fortes raisons.

S’il confirme ne pouvoir dire sans embarras, aujourd’hui, « c’est beau », il rapporte cette « réticence » à un mélange, tout en délicatesse, de pudeur et de devoir de réserve : « Celui qui enseigne est la plupart du temps incapable de mener quelque tâche propre pour son propre bien, il pense toujours au bien de ses élèves, et toute connaissance ne lui donne de plaisir qu’autant qu’il peut l’enseigner. Il finit par se considérer comme un lieu de passage du savoir, et en somme comme un moyen, au point qu'il a perdu le sérieux en ce qui le concerne ».

C'est peut-être sur la question du sérieux que nous nous séparerons un peu. La grâce a sa gravité, notions-nous la semaine dernière : elle engage en court-circuitant la distance entre enseignant et enseigné. C'est chose sérieuse, comme la joie l'est, non par esprit de sérieux. La transition, la traduction, font ici cependant retour : l'enseignant est bien « lieu de passage ». Si la beauté est ici possible, c'est dans l’inquiétude et la discrétion, comme le dit Jean-François Louette. Pas question qu’elle soit « une », elle aussi.

Notre utopie : qu’on entende ici des voix et pas seulement des discours ! Et c’est ce que nous aimons tant dans les réponses à notre questionnaire (auquel chacun peut répondre en ligne) : ces amorces de dialogue, qui à chaque fois raniment nos propres questions. Cette semaine, Alexander Dickow, écrivain et professeur de langue et de littérature française, nous fait don de sa passion, de sa véhémence mesurée, de sa finesse.

Merci à lui aussi !