Hélène Merlin-Kajman

24 novembre 2012

 

Ecoutes en différé

 

Il peut arriver qu’une lettre brève à en devenir presque abrupte – la mienne, la semaine dernière – traduise une sorte de réserve, non, certes, face aux textes que nous publions, mais au contraire face à leur commentaire. Comment n’être que simple invite à lire, simple signe d’accompagnement discret et persuasif ?

Mais après tout, cette incertitude, ou suspension intime, définit peut-être en propre Transitions, lieu qui veut d’abord faire place, et écho particulier, aux textes qui font écho à notre geste.

La semaine dernière, il ne fallait pas obscurcir la délicatesse heureuse, lumineuse non sans une pointe de mélancolie, des poèmes de Sebastian Amigorena.

Ni du questionnaire de Jean-Nicolas Illouz : car c’est aussi son intense délicatesse qui me frappe, en chacune de ses réponses ; et je m’en serais voulu alors d’en citer une seule, car à elles toutes elles me touchent, elles qui font entendre un son si inhabituellement juste.

Donc, - car une semaine s'offre comme un temps de résonance - relisez, écoutez... Malgré la vitesse de la « toile », il faut, ici, freiner un peu...

De certains textes, il est plus facile de parler immédiatement, parce qu’ils font réagir et même sollicitent notre réaction. Le questionnaire juvénile de Paillette – un jour, il faudra que nous réfléchissions sur l’usage généralisé des pseudonymes aujourd’hui - contient les réponses, parfois étonnantes, d’une « prof » dont on peut penser qu’elle enseigne le français. Non sans se plaindre deux fois que notre questionnaire est long – ah, l’impatience ! - elle écrit qu’elle est « scandalisée » par la question de savoir si le théâtre appartient à la littérature ; nous « voit venir » à la question « Qu’aimeriez-vous que l’école fasse lire » et nous soupçonne de vouloir « des BD, des mangas, ce que lisent les jeunes, quoi ! » ; et, après avoir répondu par l’affirmative à la question de savoir s’il est grave que les enfants n’arrivent pas à lire, nous interpelle : « A votre avis ? »

A notre avis ?

Nous n’avons pas, sur cette question, d’avis tranché ni unifié, à Transitions. Je répondrai donc pour moi.

D’abord, avec Jean-Nicolas Illouz : « Oui. Ils ne sauront plus affronter la solitude, qui est plus rude encore dans un monde de communication. » Mais ensuite, je me ravise (et sur cette question, je me ravise toujours). Et ma seconde réponse m’est soufflée par un désaccord de fond avec Paillette, qui parle de la littérature comme de la seule vie « qui vaille la peine d’être vécue », et qui évoque « l’état de transe dont [elle] ne [s’]arrache qu’avec peine » dans laquelle la lecture la plonge. Alors, si c’est ici la définition de « lire », je ne crois pas que ce soit très grave, que les enfants n’arrivent pas à lire. Du reste, pourquoi le feraient-ils ? Côté transe et vie virtuelle, tant de solutions plus excitantes s’offrent aujourd’hui à eux.

« La Princesse de Clèves est encore très proche des jeunes filles d’aujourd’hui », écrit enfin Paillette. Des jeunes filles ?

Nous publions cette semaine le compte rendu de la séance de séminaire de Transitions où nous avons reçu Régis Sauder, auteur du film Nous, Princesse de Clèves, sorti en 2011. Ce documentaire (ou plutôt, cette expérience, quasi artistique ou transitionnelle, de dialogue théâtral menée avec des élèves du lycée Diderot, dans les quartiers nord de Marseille) montre combien la remarque est restrictive : le roman de Mme de La Fayette nous touche tous, jeunes et vieux, hommes et femmes, aujourd’hui et d’où que nous venions, et ceci de façon très directe, très sensible : preuve que la littérature éclaire la vie en procurant le détour par lequel il est plus facile, et plus heureux, de parler de nous à plusieurs.

Ecrit sur une citation de La Fontaine où il est question, précisément, de lecture et d’amour et de pudeur, voire de secret – encore -, de différé, l’exergue de Sarah Nancy donne à tout ceci une résonance imprévue et joyeuse.