Hélène Merlin-Kajman

19 janvier 2013

 

Littérature ?

 

La semaine dernière, une dame de soixante ans expliquait, dans sa réponse à notre questionnaire sur la littérature, qu’elle aimait la littérature parce que des enseignants la lui avaient fait aimer. L’analyse cinglante menée cette semaine par Laurent Dubreuil, professeur à l’Université de Cornell (USA), à propos de l’enseignement des techniques de communication dans l’université française démontre, s’il en était besoin, que nous avons changé d’époque et que l’amour de la littérature a cessé d’être le but premier de notre enseignement.

Laurent Dubreuil s’appuie sur sa propre expérience, lorsque, en première année de licence de LEA (Langues étrangères appliquées), il devait apprendre à ses étudiants à faire un commentaire composé de publicité. Sa conclusion est sans appel : « la publicité est aussi peu intelligible (mais combien plus pauvre) que le poème », et chaque fois que nous renonçons à présenter des textes littéraires à nos étudiants, nous laissons échapper une possibilité de leur « transmettre une passion [...] qui pourrait littéralement changer leur vie ».

Son article aussi précis qu’incisif pourra nous fournir, le moment venu, un point de départ polémique particulièrement stimulant pour le colloque que nous organiserons en juin 2014, dans le sillage de « “Littérature” : où allons-nous ? », et qui s’intitulera : « Littéraires : de quoi sommes-nous les spécialistes ? ».

Dans sa longue réponse très écrite, pesée, pensée (un grand merci !), à notre questionnaire, François-Ronan Dubois, dont nous avons déjà publié un article sur le contresens, remarque de même qu’il ne suffit pas qu’un objet sémiotique devienne objet des techniques littéraires pour se métamorphoser en littérature. Il n’en égratigne pas moins au passage « [l]a littérature, qui s’exalte sur le rocher romantique, dans les manifestes surréalistes ou, parfois et paraît-il, ex cathedra à la Sorbonne ». Mais tout comme Laurent Dubreuil, tout comme, on s'en souvient, Jean Kaempfer également, ses réponses prouvent que nous ne sommes pas condamnés à ce face-à-face de la publicité et du « rocher romantique » (« le grand retour du c’est beau ponctuant la lecture de morceaux choisis », écrit, quant à lui Laurent Dubreuil).

Quant à mon exergue, il nous emmène presque tout à fait ailleurs (mais presque seulement), vers un livre d’une très grande importance, paru en octobre dernier, Qu’est-ce que le vivant ? (Seuil, 2012) d’Alain Prochiantz, neurobiologiste et professeur au Collège de France que nous avions reçu il y a deux ans.

Un livre à lire de toute urgence, parce qu’il décrit, à partir d’un point de vue biologique, la nécessité absolue, pour la survie de l’animal humain et son cerveau monstrueux, des sciences humaines, de l’art et de la littérature dans leur autonomie – et non comme nouvelles annexes des sciences cognitives, contrairement à ce que nous suggère un discours très répandu aujourd’hui.