Eva Avian

Guido Furci

Augustin Leroy

Hélène Merlin-Kajman

 

 

 

 


Mars 2020

 

 

Les combats

L’argent est-il le nerf de la guerre en matière de recherche en littérature ? Rien n’est moins certain, et Transitions en est un bon exemple : nous dépensons bien sûr, mais très peu. En revanche, plus que jamais, il faut clamer l’inconditionnalité de ce que Derrida appelait précisément « l’université sans condition » : l’autonomie de nos choix, la liberté de concevoir la direction de nos recherches, de décider de leur pertinence, de leur nécessité, etc., sans être soumis à l’obligation de répondre à des projets pensés ailleurs, loin, haut, pour des intérêts et dans un tempo étrangers au rythme et au dialogisme de la recherche. Quant à la précarité, qui, outre son injustice intrinsèque, accroît la concurrence la plus pathogène, qui pourrait croire qu’elle favorise l’agilité et la réactivité intellectuelles, sinon ceux que bureaucratie, technocratie et obsession de rentabilité et de compétition ont manifestement décervelés ?

Ces quelques lignes sont évidemment, dans le contexte où nous nous trouvons, insuffisantes et exagérément allusives. Elle ne se veulent rien de plus qu’un signe d’accompagnement des luttes, un écho, la marque d’une solidarité, en ce lieu un peu particulier qu’est Transitions : nous sommes rattachés à une équipe de recherche de l’université Sorbonne Nouvelle (EA 174), mais, précisément, sans condition - et nous lui en sommes infiniment reconnaissants. Le mouvement est né et s’est développé sans périmètre institutionnel nettement circonscrit ; et notre transversalité fait que la plupart des membres de Transitions n’appartiennent pas à cette EA hospitalière. Nous pensons et écrivons dans la plus miraculeuse des libertés, avec l’espoir obstiné que nos pas-de-côté ont leur fertilité, qu’ils agiront peu à peu, à leur rythme, un rythme imprévisible et pour une part invisible....

L’adage de David Moucaud consacré à « Chacun voit midi à sa porte » en est à nos yeux l’emblème (il pourra nous contredire bien sûr). Il nous y interpelle d’abord : faut-il se rassurer à coups d’adages ? demande-t-il en substance. Le plaisir d’écrire ne risque-t-il pas de tourner à l’autosatisfaction, de constituer un « tacite consentement de tous à un catalogue de vérités inhibitrices » ? S’il choisit cependant de répondre à l’appel de Transitions en écrivant des adages, c’est en convoquant une voix « révoltée, ahurie, impatiente » - une écriture âpre, ironique, indignée. Son texte est beau - mais il est aussi toute autre chose (autre chose sans quoi « beau » ne voudrait rien dire en vérité).

Sans doute tous les textes que nous publions n’ont-ils pas cette urgence ni cette puissance. Mais nous sommes fiers d’exister comme ce lieu d’accueil qui essaie que la parole ne soit pas un pur monologue entre spécialistes ou initiés, ni un bavardage plus ou moins élégant, ni un jeu littéraire entre amis, pour se détendre...

Et ce n’est pas un hasard si Marie Schwartz et Boris Verberk consacrent deux saynètes à un passage du roman, 77, d’un tout jeune homme, Marin Fouqué, également rappeur : un roman tout à la fois âpre et tendre, antiroman d’apprentissage qui pourtant est, pour son lecteur, un apprentissage bouleversant ouvrant l’avenir là où il paraissait parfaitement mort-né. Ce n’est pas non plus un hasard si Virginie Huguenin et Michèle Rosellini écrivent, de leur côté, leurs saynètes sur un texte de Joël Pommerat, en écho aux débats suscités, de façon intensifiée, par le mouvement #Metoo.

Quant au « Midi à sa porte », outre David Moucaud, outre moi-même, nous accueillons une nouvelle autrice et un nouvel auteur, Marie-Dominique Laporte et Paul Rabouam. Marie Schwartz aussi écrit ici pour la première fois. Qu’ils soient tous trois les bienvenus.

Enfin, mon dialogue critique avec Guido Furci se poursuit…

                                                                                   E.A, G. F., A. L. & H.M.-K.

Prochaine saynète : un texte de Primo Levi

Prochain adage : « Quand on aime, on ne compte pas ».