Hélène Merlin-Kajman
26 avril 2014
Remous
Chaque réponse à notre questionnaire sur la littérature est l’occasion d’une rencontre, ténue mais intense, avec celui ou celle qui met, sur des opinions qu’une sociologie hâtive rangerait peut-être en séries, ses propres mots, ses propres inflexions, sa propre intensité. Ainsi, à la question de savoir pourquoi certaines œuvres traversent les siècles, Astrid répond : « Ouf : cela invite aux clichés ». Elle a raison – mais c’est sa voix propre que j’écoute. D’autant qu’elle ajoute : « Je dirais parce qu’elles résonnent en nous, pour des raisons qui ne sont jamais les mêmes et que l’on ignore parfois ».
Cette question en appelle une autre : non pas celle de l’héritage, mais celle de la transmission. Elle était au coeur de la dernière session du colloque « Littérature » : où allons-nous ?organisé par Transitions les 3, 4 et 5 octobre 2012, session consacrée à la question « La transmission... de quoi ? ». Les contributions et débats prouvent qu'au-delà des désaccords, les « littéraires » réunis pendant ces trois jours ne veulent simplifier ni leur discipline ni son objet.
Que transmettre ? A coup sûr autre chose qu'un savoir fossilisé, autre chose que des textes du passé parmi d'autres, autre chose enfin que de l’immortalité (celle du patrimoine, celle des monuments).
Parmi les intervenants à cette dernière session, personne n’aurait placé sa position sous le signe de la citation qui sert de tremplin à l’exergue de cette semaine. Edmond Jabès y compare les mots à des jouets, mais des jouets très peu transitionnels : « si je les voulais vivants, [...] je devrais respecter leur mécanisme, leur âme immortelle ». Mais la vie, demande Helio Milner comme nous nous le sommes demandé en octobre 2012, a-t-elle quelque chose à voir avec le mécanisme (textuel) – avec le respect (du contexte, des auteurs) ? N’est-elle pas plutôt remous ?
Remous, émotions, choses remuantes re-muées : par le geste de l’étude, de la critique, de l’enseignement. Par celui de l’écriture aussi. Gilbert Cabasso nous livre un texte, La femme en rouge (I) – L'enterrement d'Isaac, né d’un événement bouleversant et étrange : celui d’un ré-enterrement. Autour de quelques os, presqu’un roman, d’une intensité pudique. Les images se pressent en foule. Inhumation. Exhumation. Sermo humilis et memento mori (à distance). Classicisme : le temps déchiré transmis.
Pendant le colloque, il a été souvent question de classicisme, de classicisme et de profanation. Ici, à Transitions, nous tenons à distance le sublime. Son style fait pourtant à coup sûr partie de « la littérature ». Après tout, lui aussi remue. Mais rien ne nous oblige à le transmettre à plein régime...
Elan (et même foi), mais perplexité (et même humour) : voici ce qui caractérise peut-être la couleur générale de ce que nous publions, cette semaine tout particulièrement.