Séminaire

séance du 28 novembre 2011

 

Préambule

L’inscription du tome 3 des Mémoires de guerre du général De Gaulle au programme des classes de Terminale littéraire à la rentrée 2010, pour deux années, a suscité une polémique virulente : s’agissait-il bien de littérature ?

Isabelle Guary (cf. exposé), actuellement professeur de Lettres au lycée Diderot de Narbonne, a expérimenté les difficultés de sa transmission dans ses classes. L’ouvrage lui semblait notamment « bien moins adapté que d’autres textes (témoignages, autobiographies) pour rendre compte de l’extrême perplexité morale, politique, philosophique dans laquelle nous ont plongés les guerres mondiales et les totalitarismes du XXème siècle ».

Jean-Louis Jeannelle (cf. exposé), maître de conférences à l’Université Sorbonne-Paris IV, a eu pour tâche, quant à lui, de s’adresser aux enseignants du secondaire pour partager ses connaissances sur le genre des Mémoires au XXe siècle. Entre eux, un dialogue passionnant et contradictoire s’est vite noué, qu’ils ont accepté de venir poursuivre avec l’équipe de Transitions le 28 novembre 2011. Pour quelles raisons peut-on vouloir enseigner ce texte comme un texte littéraire ? Pour sa valeur patrimoniale ? Parce qu’il permet de réfléchir sur l’« efficience » d’un texte, en l’occurrence la façon dont il a fabriqué un consensus autour de la légitimité de De Gaulle ? Parce qu’il se prête en fait, pas moins que les autres textes au programme, à une multiplicité d’approches : rhétorique, psychanalytique, éthique ? Le fait qu’il soit ainsi obstinément pris dans les débats politiques et idéologiques est en tout cas un symptôme : de sa trop grande charge d’autorité ? Ou, plus largement, de son incapacité à être décontextualisé, à ménager des « effets d’échappée libre, de gratuité » ?

Enseignants du secondaire, enseignants du supérieur, chercheurs, « simples » lecteurs : lors de cette séance, les points de vue se sont multipliés pour faire des hypothèses sur les critères permettant de déterminer si un texte est littéraire ou non. Est-ce vraiment un excursus dans notre série sur la valeur (rencontres avec Bettina Ghio, Alexandre Gefen, Jérôme David) dont le dernier épisode, avec Jean Kaempfer, viendra bientôt ?

S. N.

 

 

 

Rencontre avec Jean-Louis Jeannelle et Isabelle Guary :

«Retour sur une polémique : De Gaulle, la littérature et le baccalauréat». 



28/11/2011

 

 

Présents : Benoît Autiquet, Marie-Hélène Boblet, Hubert Camus, Jean-Baptiste Colas-Gillot, Jonathan Degenève, Mathias Ecoeur, Al-Amin Emran, Mathilde Faugère, Lise Forment, Virginie Huguenin, Maximilien Kopriwa, Frédéric Le Dain, Hélène Merlin-Kajman, Florence Magnot, Sarah Nancy, Nancy Oddo, Stéphane Oudin, Tiphaine Poquet, Denis Roche, Michèle Rosellini, Brice Tabeling, Anne-Charlotte Taïeb, Clotilde Thouret.

Discussion

Hélène Merlin-Kajman : Je vous remercie vivement, et voudrais dire ma particulière sympathie pour le point de vue d’Isabelle Guary. Ici, à Transitions, nous ne pensons pas qu’on puisse définir la littérature en se contentant de la considérer en dehors de l’épreuve que l’enseignement lui fait subir. Nous cherchons à casser la clôture, l’enfermement de la recherche universitaire, à l’ouvrir aux difficultés concrètes de l’enseignement secondaire, parce qu’il nous semble que cette ouverture, nécessaire sur le plan pédagogique, didactique voire quasi politique, représente aussi une chance et une nécessité sur le plan théorique. Ce débat est donc pour nous d’un très grand intérêt, d’une très grande importance.

Par ailleurs, il se trouve – mais ce n’est sûrement pas un hasard – que vos perspectives prennent en écharpe toute une série de problèmes qui sont également au centre de mes préoccupations depuis le début de ma recherche, qui a commencé à se concentrer sur la notion de public : depuis trente ans, j’envisage la littérature en travaillant avec des historiens et en réfléchissant aux problèmes de la transmission. A ce titre, cela fait longtemps aussi que je m’intéresse à la question de la littérature de témoignage : si l’on lit attentivement notre manifeste, on verra que les enjeux évoqués par Isabelle Guary sont également au cœur de nos préoccupations.

Nous avons en outre beaucoup réfléchi, ici, sur la question de la valeur : nous sommes convaincus qu’il faut en parler, mais sans être d’accord pour défendre un point de vue en particulier. Nous sommes très heureux que vous nous apportiez vos points de vue contradictoires sur ce sujet, qu’il ne faut certes pas se hâter de refermer.

Maintenant, bien sûr, en tant que dix-septiémiste, j’aurais envie de contester certains éléments concernant le genre même des mémoires. J’ai lu une partie des Mémoires de De Gaulle : son écriture m’a paru figée, monolithique, sans adresse au lecteur, ce qui n’est pas le cas des Mémoires du cardinal de Retz, par exemple. L’esthétique du « mot juste » me parle, mais je n’ai pas le sentiment de la trouver chez De Gaulle ; et je ne définirais pas les mémoires comme toi, Jean-Louis.

Mais ma principale perplexité est ailleurs, et elle concerne un point de l’exposé de Jean-Louis : est-ce que la définition que tu donnes de la littérature n’est pas une définition qu’on est obligé de présupposer si l’on veut la maintenir comme visée de le recherche ? Il me semble qu’on est dans un cercle vicieux parce qu’on a tendance à définir la littérature à la fois comme une discipline et comme l’objet d’une discipline. Les deux propositions « De Gaulle est de la littérature » ou « De Gaulle n’est pas de la littérature » ne sont-elles pas tout aussi absurdes ? Car comme elles font en fait appel à deux définitions différentes de la littérature, la réponse n’éclaire pas le texte de De Gaulle, mais le choix d’une définition de la littérature contre une autre. Et je ne pense pas non plus qu’on puisse s’en sortir en essayant d’évaluer la littérarité du texte : puisque la « littérarité » est un concept dépendant d’une définition bien spécifique de la littérature.

Jean-Louis Jeannelle : J’ai conscience que ce que je dis ne vaut que pour le XXe siècle : je parle de la tradition des Mémoires d’état dont l’invention remonte au XIXe siècle. Cela ne dit rien de ce que sont les Mémoires de Retz, par exemple. Du coup, cela ne vaut que pour un temps déterminé. Sur la littérature, je tombe nécessairement dans le piège : en cherchant à me démarquer par rapport à une certaine définition de la littérature, je donne l’impression de moi-même construire une autre définition ad hoc et par conséquent artificielle. Mais ce qui me paraît le plus important, c’est de pluraliser les modèles de littérature sans les subsumer sous un modèle global : car cela permet d’intégrer d’autres corpus à notre champ d’attention critique. Or c’est cela qui est intéressant : comment ouvrir nos corpus, même si cela n’a peut-être pas d’implication dans l’enseignement ?

Sur la langue de De Gaulle, je suis d’accord avec l’évaluation que tu en fais, mais je trouve l’expérience de lecture intéressante parce j’y vois la langue de la consolidation sociale : une langue maîtrisée, articulée qui ferait un effet de cohésion, de consolidation sociale. C’est un effet littéraire important : il s’agit de confier à la littérature, à un moment historique déterminé, la fonction de créer du lien. Ce texte appartient à la tradition des Mémoires de droite après la guerre : la pluralisation du texte de De Gaulle passe dans les discours, dans les récits. Ce n’est pas un très beau texte, mais il est intéressant à étudier.

Hélène Merlin-Kajman : Tu définis ici la littérature comme un objet d’histoire, mais cela n’est pas sans poser problème. Lire De Gaulle est selon toi une expérience de lecture intéressante à cause de ses enjeux littéraires contextuels spécifiques : je te suis aisément ; mais cela signifie que c’est une expérience pour un point de vue historien ; ta lecture est la lecture d’un chercheur que l’histoire intéresse, que les formes génériques intéressent. Est-ce ce que nous attendons de la littérature ? Aujourd’hui, on trouve des débats équivalents chez les seiziémistes par exemple, sur la question de savoir si la poésie relève de la rhétorique (et en ce cas, est créatrice de liens qu’on doit étudier dans leur contexte de production et de réception) ou de la poétique (et en ce cas, elle vise un type d’effet qui ne s’épuise pas dans ce contexte). Les Mémoires de De Gaulle, si je te suis, ne peuvent pas être lus de manière décontextualisée, alors que cela fonctionne avec Retz, par exemple : en Khâgne, j’ai lu les Mémoires de Retz sans retenir les noms propres ou les dates. Si c’était possible, c’était parce que l’écriture – son rythme, l’auto-portrait implicite de son narrateur, etc. – produit ici des effets constants.

Jean-Louis Jeannelle : Oui, des effets d’échappée, de romanesque.

Hélène Merlin-Kajman : Tu as dit qu’il faut reprendre la littérature aux historiens, mais c’est donc pour en faire une histoire plus complète : pour la situer mieux qu’ils ne le font dans toute son histoire. Ici, nous pensons plutôt que lorsque la littérature fait effet malgré sa décontextualisation, c’est alors qu’elle peut être transmise – et que l’histoire passe en quelque sorte au second plan – ou change de sens, peut-être.

Isabelle Guary : En vous écoutant, je me demande si la littérature est un objet ou si elle dépend du regard qu’on pose sur elle. Est-ce que finalement la question du corpus n’est pas liée à soi-même, à la façon que chacun a de lire tel ou tel texte, comme Jacques Lecarme qui est très ému face aux Mémoires de De Gaulle ? L’émotion et notre liberté, même celle de faire des contresens, demeurent importantes.

Marie-Hélène Boblet : J’ai essayé de lire, l’an dernier, les Mémoires de De Gaulle parce que ma fille était en terminale : elle aussi a été peu séduite… tout comme moi. J’ai lu ce texte avec un angle d’approche littéraire : un plaisir de texte. Il fallait mettre d’autres lunettes, plus rhétoriques, et le voir comme un texte destiné à ouvrir l’avenir : le rapport avec Obama, d’une grande aide, était très parlant à ce titre et il y a sans doute là quelque chose d’intéressant à faire passer. Par ailleurs, je suis frappée par ce que vous avez raconté sur la crainte de l’autoritarisme : que les élèves ne puissent plus lire le mot « guide » parce qu’ils l’associent au Duce me paraît plutôt consternant.

Isabelle Guary : Ce que je voulais dire est que, dans ce texte-là, l’emploi du terme peut poser problème. Il n’est pas facile de rendre compte de la fascination de De Gaulle pour les chefs, et notamment pour Hitler.

Frédéric Le Dain: Il n’y a pas de fascination de De Gaulle pour Hitler, selon moi. J’ai 50 ans et j’enseigne ce programme en Terminale pour la seconde année. Je n’ai pas participé à la polémique : je voulais donner sa chance au texte… Pour moi, tout texte est problématique : il est tout aussi « impossible » d’enseigner à des élèves un texte comme Fin de partie, autre œuvre au programme, qui leur paraît également d’une extrême difficulté. C’est aussi une chance pour moi : j’ai donc pris ce texte exactement comme les autres textes. J’ai joué le jeu en lisant les trois volumes pendant l’été 2010. L’an dernier, j’ai fait une approche rhétorique (puisque c’est un discours) avec un regard critique vis-à-vis de mes propres éloges et blâmes : j’ai pris en considération une triple énonciation en quelque sorte, et j’ai interrogé ma propre mémoire à travers ce texte. Cette année, j’ai changé de perspective : j’ai travaillé à partir de Freud et de son livre sur le mythe du chef et le père de la horde primitive, en me demandant comment situer De Gaulle par rapport à cela. Ce n’est pas évident. En apparence, il est sur la position du fascisme européen, et pourtant il met en place un régime politique qui laisse la place au plus grand nombre. Je ne peux pas le mettre dans un cadre pré-défini : il renverse le mythe du chef.

J’en viens à me dire en évoluant que ce qui m’intéresse, c’est la position éthique : un destin un peu singulier, une position éthique qui finit par avoir le dessus sur toute autre position. Du point de vue de la littérature de témoignage qui place l’homme face au pire, De Gaulle choisit de résister face au pire, quand Pétain fuit. Je tiens compte de cette position éthique. Si l’on déconnecte la littérature de l’éthique, on perd l’idée qu’elle pose des questions dans le réel. Je suis de gauche, mais il n’empêche que ce que De Gaulle a fait, dans ses actes, m’intéresse.

Isabelle Guary : Certes, mais, si une boutade m’est permise, il aurait sans doute mieux fait de ne pas écrire ! On peut même dire que l’homme historique résistant est admirable ; mais pas son écriture, qui ne lui rend pas hommage.

Clotilde Thouret : Je voulais revenir sur un point : Isabelle Guary, vous avez remis ce texte en perspective avec l’histoire des programmes et la façon dont on aborde d’habitude la question de la mémoire ou des mémoires. J’ai eu l’impression que le problème à vos yeux était aussi une mise en contradiction de l’institution avec elle-même, qui vous aurait piégés par un texte vous obligeant à faire machine arrière. Ici, la seconde guerre mondiale n’est pas un lieu de trauma mais le point d’appui d’une carrière politique.

Isabelle Guary : Pour moi, ce n’est pas une injonction de l’institution qui nous impose cette façon de voir la littérature de témoignage comme effet du traumatisme causé par la seconde guerre mondiale ; cette vision s’impose d’elle-même. Mais je suis peut-être naïve… Il est vrai, en tout cas, que cela nous a déroutés : on était coincés par des barrières idéologiques fortes. Difficile de ne pas penser qu’on est à droite quand on est pour et à gauche quand on est contre. Il reste difficile d’avoir un avis neutre.

Jean-Louis Jeannelle : Je ne pense pas que ce soit orchestré non plus, mais depuis les années 1980, des résurgences mémorielles ont fait de la victime et du témoin des figures centrales, ce qui rend particulièrement difficile la lecture de De Gaulle. En effet, celui-ci minimise certaines questions pour éviter de dramatiser et de diviser, comme la question de l’extermination des Juifs, dont beaucoup au lendemain de la guerre, ne voulaient pas être désignés comme des victimes spécifiques (reste qu’il faut faire aussi la part de la pression sociale subie par la communauté juive après la guerre). L’apaisement recherché par De Gaulle devient pour nous un antisémitisme caché. Mais on ne peut l’accuser d’antisémitisme : les écrivains de cette période n’ayant jamais eu d’écrits ou d’opinion antisémites sont rares. Or De Gaulle n’est pas soupçonnable de ce point de vue. Tout le problème est que nous ne supportons plus le silence sur la Shoah de nos jours : ce que de Gaulle écrit ou n’écrit pas sur cela devient illisible tout d’un coup.

Isabelle Guary : Je doute vraiment qu’on ne puisse pas considérer qu’il y a chez lui un certain antisémitisme : il est racialiste tout de même ! Et l’on peut souligner qu’il a des conceptions de son siècle, aujourd’hui passablement dépassées.

Jean-Louis Jeannelle : Cela me semble plus compliqué.

Brice Tabeling : Je suis surpris que la question idéologique et politique de De Gaulle pose à ce point problème. Le fait que cette question revienne sans cesse suffit peut-être pour dire qu’on ne peut pas l’étudier ; le texte est trop proche de notre actualité sans doute. Car beaucoup de textes plus anciens sont bien plus « à droite » que De Gaulle ! Au fond, la polémique actuelle se poursuit et contamine le texte. Cela donnerait une solution sur ce que ne serait pas cette querelle : ce n’est pas une querelle sur un texte, mais une querelle sur la crise de la transmission littéraire.

Isabelle Guary : Mais le problème se pose quand même bien face à ce texte-là, alors que pour les autres, il ne se pose pas. Le problème est qu’il s’agit d’une œuvre à étudier en Terminale, dans le cadre de 28 heures, ce qui laisse peu de temps pour la chose littéraire. C’est difficile d’y intéresser les élèves ; ou alors, on fait un cours de sociologie.

Frédéric Le Dain: Tout texte pose ce problème. Fin de partie n’est pas très évident non plus : je ne vois pas de différence sur le fond. On retrouve les mêmes types de difficultés quoi qu’il arrive. Je pense que ce texte n’est pas si idéologiquement marqué.

Hélène Merlin-Kajman : Je ne suis pas complètement d’accord avec Brice : je pense aux Mémoires de Louis XIV, un texte écrit à plusieurs mains, sans doute pour arriver à une langue parfaite, monumentale. On peut supposer que si l’on avait mis ces Mémoires au programme, cela aurait été aussi polémique. Le fait de mettre des Mémoires d’un monarque ou d’un « chef » au programme pose problème. Pour moi, il faut donner à lire des textes qui ont un pouvoir de décontextualisation et donc des œuvres qui ne sont pas prises trop évidemment dans les intérêts, les enjeux socio-politiques immédiats de leur temps. L’idée de soumettre les textes des camps à l’analyse textuelle et à la perception « esthétique » (émotions, sensibilité) des élèves de lycée pose selon moi le même problème.

Quand vous parlez du rapport entre littérature et éthique, je parlerai de la position éthique de l’enseignant qui, à mes yeux, doit rester « en dehors » des perspectives morales du texte : sinon, on tombe dans des cours de morale. Le caractère si sensible et brûlant de ces textes fait qu’on ne devrait pas les mettre au programme.

Frédéric Le Dain : Je n’entendais pas « éthique » dans un sens fixe. J’ai lu le travail de Corinne Maier (qui propose une lecture lacanienne des textes de De Gaulle : Le général De Gaulle à la lumière de Jacques Lacan, Paris, L’Harmattan, 2001). Ce travail évoque l’éthique d’Antigone qui engage un désir. C’est à cela que je pense et pas au sens d’une éthique pré-définie.

Lise Forment : J’aimerais revenir sur le rapport méthodologique entre littérature et histoire : comment dire qu’il faut reprendre la littérature aux historiens et, en même temps, proposer une histoire plus complète ?

Jean-Louis Jeannelle : Hélène a raison de dire qu’il y a une contradiction dans mon discours. J’étudie des textes factuels, « efficients » ; ce qui m’intéresse, c’est la manière dont les textes peuvent créer des effets. Mais du coup, j’ai l’air de vouloir faire de l’histoire littéraire, alors que je voudrais les analyser d’un point de vue littéraire. Mais il me semble qu’en tant que littéraires, nous pouvons nous demander quels sont ces textes qui échappent à la gratuité. On n’a pas le recul pour repérer les effets de gratuité chez De Gaulle, comme on parvient à le faire chez Saint-Simon et Retz. Ce qui me fascine dans ces Mémoires, c’est le fait qu’en dépit de toutes les polémiques, personne ne va jusqu’à penser que la position de De Gaulle était aberrante. Aucun Français ne pense que la France a passé la plus grande partie de la guerre du côté des forces de l’Axe ; personne ne remet en cause la légitimité du gouvernement de De Gaulle, ce qui serait possible. D’où la force de ce texte.

Hélène Merlin-Kajman : Mais est-ce le texte qui crée cet effet ?

Jean-Louis Jeannelle : Il y a eu un consensus, mais la représentation est organisée et orientée par le texte de De Gaulle. L’effet n’est pas dû au texte seul, mais celui-ci a néanmoins été très efficace.

Lise Forment : Mais je ne vois pas ce que nous, littéraires, pouvons apporter à la compréhension de cette efficience.

Jean-Louis Jeannelle : C’est rhétorique et narratif. De Gaulle n’a pas passé un seul jour en France pendant les années noires et pourtant son récit de la guerre fait autorité : l’efficacité de son récit est d’ordre purement rhétorique et narratif, c’est ce que j’appelle efficience, mais je comprends que vous ne l’appeliez pas littérature.

Michèle Rosellini : J’éprouve de la perplexité par rapport à cette notion d’efficience : comment la distinguez-vous de la rhétorique, qui est ce qui fonde la narration, au départ ? Comment rejoint-on cette notion d’imaginaire qui pourrait prédire une vie à ce texte hors de ce contexte ?

Jean-Louis Jeannelle : Il s’agit d’une rhétorique au sens large (au sens où Michel Charles parle de la rhétorique comme discours efficace dans L’Arbre et la source). Je parie que dans cent ans, on y trouvera les moments d’échappées libres et de gratuité. C’est moins évident pour le

3 tout de même… mais tout à fait sûr pour les deux autres volumes !

Denis Roche : J’aimerais revenir à la question de la nation et de la France, de la grandeur de la France. Quand on enseigne la littérature française, n’y-a-t-il pas une idée de la France qui se dégage ? Or, ce texte présente une idée de la France à laquelle on n’adhère pas.

Frédéric Le Dain : Est-il plus proche de Renan que de Barrès ? Il me semble qu’il est plus proche de Renan.

Isabelle Guary : La nation n’est pas un concept littéraire en soi. Personnellement, la personnification de la France, par exemple, me fait rire chez de Gaulle.

Denis Roche : Oui, mais on la trouve aussi chez D’Aubigné, et ce n’est pas ridicule.

Isabelle Guary : Le problème est que chez De Gaulle, c’est excessif : il peut, par exemple, aller jusqu’à l’ érotisme…

Denis Roche : J’ai été frappé par le portrait de l’élève que vous faites implicitement : avec une idée de l’universalité, un sens critique. Cela semble dire que le problème auquel vous avez été confrontée était un problème d’autorité, comme représentante de l’institution.

Isabelle Guary : Si, effectivement, on attendait des professeurs qu’ils véhiculent le patriotisme du texte et qu’ils obtiennent une unanimité respectueuse des élèves, j’ai largement failli à ma mission ! Je ne me sens pas professeur de littérature française, mais professeur de littérature en général.

Denis Roche : Peut-être alors est-ce cela qui pose problème : l’idée de De Gaulle ne fonctionne plus.

 

 

Présents : Présents : Marie-Hélène Boblet, Marie Bolloré, Stéphanie Burette, Mathias Ecoeur, Linda Fares, Mathilde Fougère,  Bettina Ghio, Massoumeh Ghous, Catherine Gobert, Claude Habib, Virginie Huguenin, Hélène Merlin-Kajman, Sarah Mouline, Sarah Nancy, Nancy Oddo, Antoine Pignot, Tiphaine Poquet, Michèle Rosellini, Brice Tabeling, Antonia Zagamé.Marie-Hélène Boblet, Stéphanie Burette, Myriam Dufour-Maître, Mathias Ecoeur, Mathilde Faugère, Virginie Huguenin, Hélène Merlin-Kajman, Sarah Mouline, Sarah Nancy, Antoine Pignot, Anne Régent-Susini, Jean-Paul Sermain, Brice Tabeling, Manon Worms