Juste un poème n° 12

 

 



 

Instants n° 4

 

 


Sebastian Amigorena

31/05/2014


 

 

 

Au réveil, une fenêtre, un matin de printemps, dans une chambre d'enfant. Très loin. Des grains de poussière dansent en silence, enfermés dans un rayon de soleil. Mouvements browniens, incertains, flottants, juste là, dans une chambre d'enfant, un matin de printemps.

 

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 Les feuilles sont unies par un tronc, une sève. Sous le vent, tremblotantes, elles se marrent. Leurs mouvements sont coordonnés par la résistance qu'elles opposent au vent, qui elle même dépend de la rigidité des branches auxquelles elles sont rattachées. Celle-ci va décroissant lorsqu'on s'éloigne du tronc central, qui est souvent, mais pas toujours, immobile. Lorsqu'il bouge, son mouvement imprime un déplacement global, qui nous rappelle encore qu'il s'agit d'un ensemble cohérent. Les feuilles savent transformer une force invisible et homogène - le vent, en un fouillis de mouvements épars. Avec la puissance du souffle, les mouvements s'intensifient, et veulent croire qu'ils peuvent devenir anarchiques, perdre leur harmonie. Mais tant qu'elles restent rattachées à leurs branches, les feuilles ne savent pas s'oublier. Elles gardent raison, jusqu'à l'ivresse de l'automne.

 

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Petite fille sans nom, je te vois encore accoudée au parapet en fer noir de ton balcon voisin, penchée sur cette rue orientale et tranquille de mon enfance. Les feuilles vertes et charnues du grand caoutchouc de notre jardin, mon ami de toujours, caressent encore, au loin, tes cheveux châtains.

 

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L'avant de notre bateau fend la mer, rejetant sur les cotés des effluves d'eau, qui lèchent brièvement les côtés de la coque et retombent en avant. L'écume que nous repoussons avance sur l'eau, comme des doigts qui pianotent sur un clavier silencieux. Flots déchirés, des éclats d'écume sont projetés en l'air. Notre vitesse, les mouvements verticaux que nous imposent les vagues, le contour de la coque, donnent aux gouttelettes volantes des formes et des trajectoires toujours renouvelées. Suspendues en l'air un instant par notre regard, elles prennent des poses figées, circulaires ou ornées de courts bras maladroits. Puis elles retombent et sont transformées soudain en reflets brillants, fuyants, qui disparaissent à jamais sur la surface mobile de la mer du temps.

 

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Sur les fenêtres grises, les gouttes de pluie ont des formes asymétriques et ventrues. Elles suivent des rails irréguliers. Au fil de leur course, leur masse diminue de l’eau qui reste sur leurs traces, rendant le franchissement des obstacles qu’elles rencontrent de plus en plus incertain. Devenues trop légères, elles sont soudain arrêtées par d’invisibles aspérités. L’eau qu’elles ont perdue en chemin et qui les suit, alors les rattrape, faisant à nouveau grossir leur poids. Lorsque celui-ci dépasse la capacité de résistance de l’obstacle, elles se lancent à nouveau dans une course déridée, suivant des chemins pré-tracés par d’autres rugosités, incapables à nouveau de les immobiliser. Hésitantes et vaines, saccadées, sont les courses des gouttes de pluie sur les vitres mouillées.

 

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La lune aussi sait allumer des pâles arcades colorées, lointaines et majestueuses, qui traversent de nuit le ciel mouillé. Les arcs-en-ciel lunaires sont, paraît-il, sans retour. Leurs couleurs inconnues sont pourtant familières. Il suffit de les voir une fois, et leur image dure toujours, comme un tableau qui nous illumine de l'intérieur, qui n'est jamais vraiment à nous, ni en nous. Qui nous précède et nous survit. Que nous contemplons parfois dans ces musées intimes où nous gardons nos images favorites, nos instants interminables, ceux que nous ne pouvons plus vivre, ni effacer.