Préambule

Patrice Loraux est philosophe : agrégé, il a été maître de conférence à l’Université Paris 1 et directeur de programme au Collège International de Philosophie de 1989 à 1995. Il a écrit Les Sous-main de Marx (Hachette, 1986) et Le Tempo de la pensée, Seuil, 1993, et de nombreux articles.

Mais Patrice Loraux préfère dispenser un enseignement oral, penser-parler : et il suffit de l’écouter une fois pour comprendre. Il donne un séminaire à l’EHESS depuis 1995 (105, bd Raspail, s. 2). Nous sommes heureux et fiers que Transitions l’accueille cette année.

Sa pensée nous accompagne en effet depuis longtemps sans qu’il le sache, tout particulièrement les deux articles qu’il a publiés dans Le Genre humain n° 22 et n° 36 : « Consentir » et « Les disparus ». Brice Tabeling et Ivan Gros ont choisi de lui consacrer chacun un exergue (n° 6 et n° 89), et je le cite dans mon article « Ce qui cloche ». Ces deux articles se penchent sur les conditions nécessaires au « consentiment », fiabilité de l’affectivité commune sans laquelle aucun lien ne tient. Le second s’interroge plus particulièrement sur la bonne façon de transmettre la mémoire de ceux qui ont disparu sous les coups de tortionnaires à une échelle qui atteint le collectif. Patrice Loraux écarte à la fois la solution du sublime, qui grandit et prétend réparer l’absence, et celle de la remontrance traumatique, du « strictement devant », qui culpabilise et désespère, voire anesthésie : « [L]a représentation, ce n’est pas seulement la question de la figuration, de l’infigurable, de l’impuissance de l’image, de la défaillance des témoignages, parfois de la dimension blasphématoire ou, en tout cas, voyeuriste à montrer ou à remontrer [...] la représentation, c’est aussi un sujet qui revient à lui, capable de recouvrer l’affectivité, c’est-à-dire une affectabilité qui ne soit pas submergée par la douleur ou par l’hébétude. »

À quelles conditions la littérature peut-elle constituer un « bon dispositif » ? Telle pourrait se résumer, à maints égards, la question qui nous réunit, à Transitions. Et plusieurs phrases de notre manifeste font écho à sa réflexion :

« L’âpreté de l’histoire ne condamne pas au reniement de tout passé. Pour peindre l’avenir, il faut couleurs et pinceaux, il faut géométrie, science des signes, des choses humbles, des choses savantes. Il faut, plutôt que continuer à faire le compte hébété des cicatrices, se souvenir des gestes, de la main qui dessine, du regard émerveillé qui se pose. Que suintent les plaies, hélas, il est trop vrai – et transit l’imagination : mais transir l’imagination ne les guérit pas.

Nous ne voulons plus transir – appelons à transiter, transhumer, traditionner, transporter ! »

H. M.-K.

Patrice Loraux : Changer d'entendement

Séance n° 5, 16 mars 2015

00 : 00 : 20 : puis à nouveau 00 : 17 : 10 : et  00 : 28 : 59 : Résumé du début du séminaire, rappel du projet.

00 : 03 : 12 : Les sens d’« entendre »

00 : 03 : 59 : D’une « navigation » singulière : littoral et configuration ; tempêtes et vents : les forces contraires ; sirènes : s’engouffrer dans les grandes questions qui nous perdent.

00 : 06 : 10 : Un problème difficile : « d’où me suis-je fait l’idée que je fais ici de la philosophie ? »

00 : 08 : 00 : Flirter avec l’ésotérisme, un ésotérisme « fécond »

00 : 08 : 48 : Double entendement, se tenir à la charnière de ce double entendement

00 : 09 : 53 : L’espace du par-soi (Spinoza)

00 : 12 : 05 : « Heureux ceux qui savent se tenir dans le par-soi »

00 : 12 : 32 : Le second régime de l’entendement : l’en-tant-que-tel

00 : 14 :20 : Changer d’entendement : le thème vient d’une relecture du Gai Savoir de Nietzsche, livre « exceptionnel » sur le sujet

00 : 16 : 48 : Pascal et le par-soi

00 : 21 : 50 : Des exemples d’irréductible : l’Un, l’ornière, peut-être le « je ». Éviter les récifs des irréductibles

00 : 24 : 47 : Le par-ailleurs ; les déterminations « sans recul » (l’aporie, le crime, la folie, la maladie)

00 : 30 : 30 : Puissance des parodies de la philosophie

00 : 31 : 10 : Un autre legs grec : la sophistique

00 : 32 : 22 :  Distinctions tranchées et glissements notionnels

00 : 34 : 45 : Faire de la philosophie en dehors du legs grec.

00 : 37 : 59 : Philosophie et diagnostic du temps (Nietzsche) : répétition ou progrès ?

00 : 43 : 10 : Saint Augustin : l’essentiel est le plus lointain qui est au plus intime

00 : 44 : 20 : Tenter d’interroger l’origine du par-soi, malgré la contradiction

00 : 48 : 20 : Prendre l’en-tant-que-tel comme il est

00 : 49 : 15 : le nœud du par-soi et de l’en-tant-que-tel

00 : 51 : 40 : L’outrance : la passion philosophique qui dérange tout ; outrance et ésotérisme

00 : 55 : 48 : L’entendement est sous attraction

00 : 57 : 00 : Le photographe et l’en-tant-que-tel

00 : 59 : 08 : La philosophie, sans objet mais « opérative » : elle accompagne ses actes

00 : 59 : 55 : La philosophie est séductrice. Deux signaux qui incitent à la prudence : la répétition (motif heideggerien constant), la distinction scolastique des nuances (les phénoménologues)

01 : 03 : 30 : Le talisman que nul ne tient : la quête d’une différence dernière

01 : 06 : 04 : Réhabiliter le nom de « sage » : celui qui a compris que même la philosophie a sa limite

01 : 09 : 39 : Les quatre vertus qui prédisposent à la philosophie :

      - savoir se laisser désorienter

      - l’attention à ce qui ne se remarque pas

      - l’indifférenciation dans le tempérament philosophique de l’énergie et de la mélancolie

      - savoir supporter la solitude

01 : 12 : 30 : Il n’y a pas de pré-philosophie, la philosophie arrive « sur le pas de sa démarche »

01 : 14 : 10 : Donner à l’imagination la charge de la philosophie

01 : 17 : 15 : Discerner l’imbécile et le sage n’est pas facile

01 : 18 : 50 : La philosophie n’a sans doute pas de domaine et pas d’objet

01 : 19 : 27 : Paul Valéry : « C’est toujours du moi que je mange »

01 : 21 : 50 : On ne peut se passer du par-soi ni de l’expérience

01 : 23 : 00 : Ni creusement ni surface, « ne pas pousser trop loin la supposée pureté notionnelle »

01 : 26 : 50 : Nietzsche, faux intempérant

01 : 27 : 34 : Pas moyen de définir du dehors la philosophie

01 : 31 : 39 : La philosophie, affaire d’invention

01 : 33 : 35 : « Il y a philosophie quand il y a amplification déraisonnable d’un mot »

01 : 35 : 00 : Passée la surveillance, c’est l’outrance ; la philosophie, cas d’outrance

01 : 35 : 30 : Quatre formes d’outrance :

            - voracité

            - séduction

            - jeu

            - colère contre ce qui hait

01 : 37 : 27 : L’incandescence, la brûlure : condition de toute compréhension