Séminaire de Patrice Loraux  : 

« Changer d'entendement »

Séance du 19 janvier 2015

 

Préambule

Patrice Loraux est philosophe : agrégé, il a été maître de conférence à l’Université Paris 1 et directeur de programme au Collège International de Philosophie de 1989 à 1995. Il a écrit Les Sous-main de Marx (Hachette, 1986) et Le Tempo de la pensée, Seuil, 1993, et de nombreux articles.

Mais Patrice Loraux préfère dispenser un enseignement oral, penser-parler : et il suffit de l’écouter une fois pour comprendre. Il donne un séminaire à l’EHESS depuis 1995 (105, bd Raspail, s. 2). Nous sommes heureux et fiers que Transitions l’accueille cette année.

Sa pensée nous accompagne en effet depuis longtemps sans qu’il le sache, tout particulièrement les deux articles qu’il a publiés dans Le Genre humain n° 22 et n° 36 : « Consentir » et « Les disparus ». Brice Tabeling et Ivan Gros ont choisi de lui consacrer chacun un exergue (n° 6 et n° 89), et je le cite dans mon article « Ce qui cloche ». Ces deux articles se penchent sur les conditions nécessaires au « consentiment », fiabilité de l’affectivité commune sans laquelle aucun lien ne tient. Le second s’interroge plus particulièrement sur la bonne façon de transmettre la mémoire de ceux qui ont disparu sous les coups de tortionnaires à une échelle qui atteint le collectif. Patrice Loraux écarte à la fois la solution du sublime, qui grandit et prétend réparer l’absence, et celle de la remontrance traumatique, du « strictement devant », qui culpabilise et désespère, voire anesthésie : « [L]a représentation, ce n’est pas seulement la question de la figuration, de l’infigurable, de l’impuissance de l’image, de la défaillance des témoignages, parfois de la dimension blasphématoire ou, en tout cas, voyeuriste à montrer ou à remontrer [...] la représentation, c’est aussi un sujet qui revient à lui, capable de recouvrer l’affectivité, c’est-à-dire une affectabilité qui ne soit pas submergée par la douleur ou par l’hébétude. »

À quelles conditions la littérature peut-elle constituer un « bon dispositif » ? Telle pourrait se résumer, à maints égards, la question qui nous réunit, à Transitions. Et plusieurs phrases de notre manifeste font écho à sa réflexion :

« L’âpreté de l’histoire ne condamne pas au reniement de tout passé. Pour peindre l’avenir, il faut couleurs et pinceaux, il faut géométrie, science des signes, des choses humbles, des choses savantes. Il faut, plutôt que continuer à faire le compte hébété des cicatrices, se souvenir des gestes, de la main qui dessine, du regard émerveillé qui se pose. Que suintent les plaies, hélas, il est trop vrai – et transit l’imagination : mais transir l’imagination ne les guérit pas.

Nous ne voulons plus transir  appelons à transiter, transhumer, traditionner, transporter ! »

H. M.-K.

 

 

 

 

Patrice Loraux : Changer d'entendement

Séance n° 3, 19 janvier 2015

 

 
 

25/04/2015

 

 

 

Textes d’appui de la séance :

Ludwig Wittgenstein, Fiches, Gallimard, 2008

« Ici, nous touchons à un phénomène remarquable et caractéristique des recherches philosophiques : La difficulté – pourrais-je dire – n’est pas de trouver la solution, mais de reconnaître comme solution quelque chose qui semble n’être qu’une première étape vers elle. “Nous avons déjà tout dit. – La solution n’est pas quelque chose qui découle de cela, mais elle est cela même.” » (§ 314, p. 81)

« Il est très difficile de décrire les cheminements de la pensée, là où les marques laissées en sont déjà nombreuses – qu’il s’agisse des tiennes ou de celles des autres – sans tomber soi-même dans l’un des sentiers battus. Il est difficile de ne s’écarter qu’un tant soit peu d’une ancienne ligne de pensée. » (§ 349, p. 88)

Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, TEL Gallimard, 2013

« Remplacer les notions de concept, idée, esprit, représentation par les notions de dimensions, articulation, niveau, charnières, pivots, configuration. » (Extrait d’une note de travail, « Monde », décembre 1959, p. 273)

 

00 : 00 : 22 : Entendement et notions stables

00 : 02 : 48 : 4 registres [indiqués ci-dessous par un astérisque]

00 : 04 : 55 : *Le point de départ (archè en grec)

00 : 04 : 59 : *Où ça va ? (telos)

00 : 05 : 58 : *La forme (eidos)

00 : 07 : 29 : *La substance (ousia)

00 : 09 : 38 : Aristote, le philosophe qui va dans tous les sens

00 : 10 : 45 : Ce qui a imposé le changement d’entendement

00 : 13 : 05 : « Tout ce que je dis est évidemment à l’essai »

00 : 15 : 15 : Changement de vie

00 : 18 : 17 : Agitation, perturbations

00 : 20 : 50 : Un contrat

00 : 21 : 55 : Culture et philosophie font mauvais ménage

00 : 23 : 27 : Longtemps « j’ai voulu traquer l’en tant que tel de la philosophie »

00 : 27 : 10 : « Le modèle de la traque, j’y renonce

00 : 28 : 53 : Le Politique de Platon, histoire d’un changement d’entendement

00 : 31 : 12 : Deux registres : la philosophie courante et la philosophie de crise

00 : 42 : 00 : Être devant un Rembrandt...

00 : 42 : 43 : La philosophie n’a pas besoin de phrases

00 : 45 : 30 : 4 expériences, au moins l’une des 4, pour avoir touché la philosophie  [indiquées ci-dessous par un astérisque] :

00 : 46 : 15 : *Avoir connu soi-même une crise

00 : 46 : 50 : *Avoir su faire quelque chose d’une résistance

00 : 47 : 56 : *Avoir su rompre avec l’appartenance

00 : 48 : 45 : *Avoir été touché par la question du pouvoir

00 : 56 : 55 : Bonne et mauvaise jalousie

01 : 00 : 30 : Les 4 pôles du nouvel entendement  [indiqués ci-dessous par un astérisque] :

01 : 01 : 29 : *Naissance d’une exigence d’une nouvelle écoute

01 : 05 : 15 : *Une nouvelle époque naît quand une individualité qui parle commence à proposer ses propres conjectures (Nietzsche)

01 : 08 : 22 : *L’entendement, ça partage

01 : 12 : 30 : *Il faut qu’apparaisse une nouvelle pierre de touche de l’évidence

01 : 16 : 50 : Calme et perturbations

01 : 19 : 30 : L’entendement métaphysique manque de quelque chose

01 : 19 : 46 : La 5ème composante : une force errante qui vient percuter tout cela (l’événement, le par-ailleurs)

01 : 22 : 50 : La force (ou souffle, ou nécessité, ou esprit, ou élan vital)

01 : 26 : 02 : Caractéristiques de la force

01 : 31 : 50 : Instaurer ? Détruire ? La force est indifférente

01 : 33 : 50 : « Chaque grand philosophe a essayé de donner son nom à cette force qui vient déranger l’entendement »

01 : 36 : 42 : La limite des Grecs

01 : 37 : 40 : « La philosophie n’est que le jeu entre l’action de la force et le cadrage de l’entendement qui est toujours avec un temps de retard »