Séminaire de Patrice Loraux  : 

« La topique de l'époque » (4)

Séance du 28 mars 2016

 

Préambule

Patrice Loraux est philosophe : agrégé, il a été maître de conférences à l’Université Paris 1 et directeur de programme au Collège International de Philosophie de 1989 à 1995. Il a écrit Les Sous-main de Marx (Hachette, 1986) et Le Tempo de la pensée, Seuil, 1993, et de nombreux articles.

Mais Patrice Loraux préfère dispenser un enseignement oral, penser-parler : et il suffit de l’écouter une fois pour comprendre. Il donne un séminaire à l’EHESS depuis 1995 (105, bd Raspail, s. 2). Nous sommes heureux et fiers que Transitions l’accueille cette année. (lire la suite)

H. M.-K.

 

 

 

 

Patrice Loraux : la topique de l'époque (4)

Séance n° 4, 28 mars 2016

 

 
 

 

 

 

 

           

00:00:00 → 00:01:50 Introduction. Aporie : confrontation dans notre époque de deux topiques.

00:01:50 → 00:05:37 Topique classique : concept d'horizon et métaphore du théâtre.

00:05:37 → 00:06:35 S'interroger sur ce qu'est la philosophie aujourd'hui pour éviter tout dogmatisme.

00:06:35 → 00:08:45 Insatisfaction à l'égard des formulations « rapport de la philosophie et de son temps » et « rapport de la philosophie et de son époque ». De la difficulté du concept de « rapport ». Que le philosophe est celui qui rectifie une première proposition inexacte, mais sans laquelle on n'aurait pas de philosophie : exemples depuis Platon, Descartes, Hegel.

00:08:45 → 00:12:32 Autour de l'expression « rapport de la philosophie et de l'époque ». La philosophie est en dehors de l'époque et en même temps elle appartient à l'époque. De la création d'outils de pensée que la philosophie elle-même considère plus tard comme non utilisables : le philosophe ne se soucie pas toujours du faisable.

00:12:32 → 00:15:42 Différentes façons de penser l'action de la philosophie sur le monde. Indifférence du cours du monde. Nécessité de se débarrasser de l'idée de rapport entre philosophie et époque, et impossibilité de cette tâche.

00:15:42 → 00:17:38 Néanmoins, peut-on imaginer différents rapports entre philosophie et époque ? 1. identité entre les termes (l'un reflète l'autre) ; 2. retard entre les deux termes (prophétisme, messianisme, etc.) ; 3. interprétation (la philosophie interprète l'époque) ; 4. critique (Nietzsche, critique jusqu'au nihilisme de ce qui prétend valoir) ; 5. alliance entre les deux termes.

00:17:38 → 00:20:44 Ebauche d'idée visant à rectifier celle de rapport : la philosophie est un voyage.

00:20:44 → 00:21:20 L'époque sort d'une crise. Définition de crise : dérèglement du fonctionnement d'une époque et fonction motrice.

00:21:20 → 00:22:14 Quatre variétés de crises : 1. crise par perte de position et de repères ; 2. crise par confusion ; 3. crise par blocage ; 4. crise par la situation d'être à blanc.

00:22:14 → 00:23:18 A chaque crise on peut associer le nom d'une variété de philosophie : 1. philosophie comme point de repères ; 2. l'ontologie ; 3. la métaphysique ; 4. la pensée.

00:23:18 → 00:30:40 Chaque variété de philosophie prend en charge l'une des formes de l'aporie :

00:24:29 → 00:26:20 l'ontologie s'occupe de l'être, qui est : a) la détermination qui est indéterminée ; b) la corrélation du dire ; c) l'état diffus de l'affectivité qui comble ou affole. 00:26:20 → 00:27:50 Ce qui est lié au deuxième type de crise : confusion entre être et non-être. Définition du temps chez Aristote et Hegel : l'existant à peine, variation continue d'être et non-être.

00:27:50 → 00:29:28 la métaphysique traite les problèmes qui naissent dès qu'ils sont isolés. Sur le retard de résolution du problème : le problème doit être résolu aussitôt énoncé (ex. Bergson).

00:29:28 → 00:30:40 La pensée se charge de la crise-à-blanc à travers le problème du mouvement discursif : le discours est lent, la pensée est plus rapide, le risque est l'explosion du langage.

00:30:40 → 00:36:32 Jusqu'ici nous avons observé, premier temps, la philosophie dans l'époque à travers la crise. Deuxième temps : il faut plonger dans une philosophie et s'y perdre. De la nécessité de mourir à l'homme qu'on était et de vivre dans la philosophie choisi (vivre en Hegel, en Spinoza, sans en être les glossateurs), en oubliant l'époque. Exemple de plongée en Plotin. Bonheur dans la perte de l'époque.

00:36:32 → 00:38:00 Dans la plongée, on perd son soi. De la nécessité de suivre le courant choisi.

00:38:00 → 00:39:20 Moment exotérique : le personnage disparu continue à circuler jusqu'à se poser une mauvaise question qui lui dérobe la parole : on est sur le bord de l'époque.

00:39:20 → 00:41:45 Le bord est le langage lui-même. Vertige lorsque, depuis le bord, on regard vers l'abîme, l’ineffable, le vide, le rien : l'outre-langue.

00:41:45 → 00:44:02 Soit, on reste sur le bord et l'on devient philosophe du langage ; soit, on décide d'aller dans la poésie exotérique (côté Swedenborg) ; soit, on circule tout le long, comme des gardiens, et on est réduit à être-de-langage.

00:44:02 → 00:47:00 Récapitulation. L'ontologie et ses excès.

00:47:00 → 00:49:02 Ce qui nous intéresse : la philosophie qui ne ressemble pas à elle-même.

00:49:02 → 00:52:35 Il s'agit d'une philosophie qui propose des actes, des gestes, qui mène la vie sans regrets. Identité entre philosophie et vie en absence de repentir.

00:52:35 → 00:53:00 Dernière façon de philosopher : évoluer dans l'époque avec la seule condition d'être bien ajusté à celle-ci.

00:53:00 → 00:55:44 Difficulté de s'adapter à son époque (de la difficulté d'écrire un bon livre).

00:55:44 → 00:59:30 Révocation des topiques d'époque : 1. Topique classique : horizon, théâtre, grandes notions ; 2. Topique des strates : il n'y a plus de dominance du logos assurant l'un-tout. Lecture d'un fragment d'Héraclite.

00:59:30 → 01:01:12 La vraie philosophie, chez les Présocratiques, est celle qui ne se distingue pas du rythme du monde.

01:01:12 → 01:05:11 Rôle de Socrate et des Sophistes dans l'histoire de la philosophie : rupture de l’omniprésence du logos dans la vie de la polis, c'est-à-dire perte de la philosophie comme rythme de la cité.

01:05:11 → 01:07:12 L'écart entre logos et rythme des cités entame le logos-même. Merleau-Ponty et son optimisme. Que le véritable philosophe est celui qui effectue une transmutation de soi-même : nécessaire côté exotérique de la philosophie. Paradoxe de Montaigne qui veut être contemporain de son époque et non pas abandonner son humanité.

01:07:12 → 01:11:04 Les strates résultent de la décomposition du réel qui semblait uni. Lucrèce et le clinamen. Le philosophe peut se pencher sur n'importe quelle strate sans convoiter les strates où il n'est pas. Exemples : de la possibilité de lier des strates entre elles jusqu'à ce qu'on va appeler la butée.

01:11:04 → 01:13:20 Le peintre F. Rouan utilise le terme « butée » en parlant de son travail. Parallèle avec l'activité du philosophe, qui « bute quand il est à deux pas de la transgression de la loi et de sa santé ». Dessin de la topique d'aujourd'hui : un bord, une butée et le voyage entre les deux. Exemples : Phèdre de Platon, Nietzsche.

01:13:20 → 01:15:30 Façons de forcer la butée : le crime, la maladie, la folie, la mort. Exemple : Foucault.

01:15:30 → 01:20:10 Passer outre la butée grâce à l'énergie cumulée. Réemploi de l'expression « pensée du dehors » : ceux qui sont allés au-delà de l'époque sont porteurs d'une nouvelle corporalité et d'une nouvelle parole. Exemple : autour de l'exil.

01:20:10 → 01:25:48 Récapitulation des types de philosophie. Philosophie sur le bord. Rancière et Mallarmé. Que le passage outre-bord se fait à travers un saut.

01:25:48 → 01:28:22 Possibilité autre que le voyage : appartenir à la vie telle quelle. Acceptation sans regret. Spinoza : « comprendre sans se plaindre ».

01:28:22 → 01:32:20 Nécessité d'aller outre-butée, au-delà de la plainte et de la vie telle quelle.

01:32:20 → 01:36:07 La nouvelle topique est dessinée par le voyage du personnage issu de la crise. L'importance de l'énergie pour franchir la butée. Exemples : Foucault et Nietzsche (énergie), Heidegger (génie sans énergie).

01:36:07 → 01:37:05 Trait marquant de cette époque : la circulation.

01:37:05 → 01:43:18 Trois registres de la nouvelle topique : 1. les textures différentes. Claudel ; 2. les mouvements ; 3. les séjours (où peut-on se reposer ? Sur le bord ? Descartes, Pascal et la crise)

01:43:18 → 01:46:39 Grands mouvements cosmo-spéculatifs dans l'époque : avancée ; recul-retrait ; stagnation-répétition ; deviation-perversion ; attente ; émiettement du mouvement ; reconfiguration ; alternance ; expansion-conquête (traits de l'Occident) ; catastrophe.

01:47:00 → 01:50:40 Qu'une époque on peut la considérer un monde. Dessin de la topique.

01:50:40 → 01:52:58 L'époque aujourd'hui est mondiale. Trois points majeurs d'une époque : le langage, la loi et la crise en constituent les bords.

01:52:58 → 01:54:15 Topique est la forme des collectivités dans le schème spatio-temporel. Types de topiques : topique d'agora, topique d'église, topique de théâtre, topique de ruine, topique de strate.

01:54:15 → 01:55:40 Topique d'agora : la façon dont les Grecs occupaient politiquement les lieux. Réactivation de cette topique ces jours-ci place de la République (contre la topique d'immeuble : l'Elysée).

01:55:40 → 01:56:40 Topique d'église : universel localisé (opposée à la topique d'agora).

01:56:40 → 01:58:04 Topique de ruine : sur l'espace détruit et reconstruit.

Auteurs cités : Anacharsis, G. Anders, Aristote, Bataille, Bergson, Blanchot, Claudel, Derrida, Descartes, E. Fink, Foucault, Hegel, Heidegger, Héraclite, Husserl, Lucrèce, Mallarmé, Merleau-Ponty, Montaigne, Nietzsche, Pascal, Platon, Plotin, Proust, J. Rancière, F. Rouan, M. Sandel, Spinoza, Socrate, Thomas d'Aquin, Wittgenstein.