Saynète n° 44

 

 

La famille est réunie. La belle-mère tient un papier à la main. La très jeune fille a l’air sombre.

LA BELLE-MERE : Dans cette maison donc, depuis toujours, les enfants aident aux tâches ménagères et participent à des travaux simples de rangement et de nettoyage. Ils aident la femme de ménage.

LE PERE : Ah bon ?

LES DEUX SŒURS : Oui absolument et on aime bien ça.

LE PERE : Ah ben c’est bien.

LES DEUX SŒURS : Oui.

LA BELLE-MERE : Et ce matin, j’aimerais qu’on parle de cette nouvelle répartition des tâches entre vous. Une répartition juste et équitable, évidemment.

LE PERE : Evidemment.

LA BELLE-MERE, à ses filles : Alors voilà, tout d’abord, j’ai pensé que vous deux vous pourriez à partir de maintenant aider la femme de ménage à ranger votre linge propre dans vos tiroirs.

LES DEUX SŒURS : Ah bon ?

LA BELLE-MERE : Oui, c’est comme ça. Et toi, Sandra, j’ai pensé que tu pourrais changer les poubelles de toute la maison et les porter dans le local à poubelle du jardin. D’accord ?

LA TRES JEUNE FILLE : Changer les poubelles ? Oui je suis d’accord ! Ah oui, c’est très bien ça.

LE PERE : Voilà très bien…c’est gentil ! Ne t’inquiète pas, elle est simple et gentille, Sandra.

LA TRES JEUNE FILLE : Qu’est-ce que tu racontes toi ? Je suis pas du tout gentille ! Pas du tout !

LE PERE : Tais-toi s’il te plaît Sandra, arrête de dire n’importe quoi.

LA BELLE-MERE : Bon, très bien, ensuite je propose que vous les filles, vous aidiez à la cuisine.

LES DEUX SŒURS : Ah bon ?

LA BELLE-MERE : Hé oui.

SŒUR LA PETITE : C’est pas des tâches comme ça qu’on faisait avant.

SŒUR LA GRANDE : C’est dégoûtant. C’est plein de gras. Ca donne envie de vomir.

LA BELLE-MERE : Hé bien, on discute pas. (La très jeune fille lève la main) Oui quoi ?

LA TRES JEUNE FILLE : Si ça leur pose un problème à elles, je crois que je vais bien aimer ça. Ca va me faire du bien de faire ça. C’est vraiment dégoûtant. Un jour, ma mère …

LE PERE : Arrête !

LA TRES JEUNE FILLE : Elle était énervée ce jour-là… C’était rare qu’elle s’énerve ma mère…

LA BELLE-MERE, explosant : Mais qu’est-ce qu’on t’a dit tout à l’heure ?! On ne parle plus de ta mère ici, on n’en parle plus ! Plus jamais ! On s’en fout de ta mère ! Ca suffit avec ta mère ! Ca suffit !

LE PERE : Qu’est-ce qu’on t’a dit tout à l’heure, Sandra !

LA TRES JEUNE FILLE : Ah oui, c’est vrai ! J’avais oublié.

Joël Pommerat, Cendrillon, Actes Sud, « Babel », 2013, p. 32.

 
 


Virginie Huguenin

11/06/2016

   

La violence recouvre tout et rien n’est plus audible. Rien que la violence des mots et nous face à cela. Et le rire, ce rire effrayant que le dramaturge vise et qu’il obtient trop souvent.

Car le public rit devant cette scène. Il rit de la cruauté de la belle-mère et du désarroi de la jeune fille ensevelie sous la violence des mots (ou des deux, je ne sais.). La violence et le rire, ce rire dispathique d’enfants et d’adultes les montrent insensibles à la douleur d’une enfant qui, pleine de remords d’avoir déréglé sa montre dont la sonnerie devait lui rappeler le moment de penser à sa mère, se donne à accomplir des tâches domestiques dégradantes pour se punir. Insensibles au drame de cette famille recomposée qui cherche une unité sans pouvoir la trouver. Insensibles au désarroi du père de la jeune fille, pris entre sa nouvelle femme et sa petite fille qu’il n’arrive pas à protéger des hurlements de sa belle-mère. Insensibles, oui.

Ce texte rassemble à lui seul tout ce que je ne veux ni vivre, ni transmettre tel quel. A mes yeux, ce n’est pas un beau texte, pour des raisons intrinsèques et extrinsèques. Sa grande violence me semble mal contenue, peut-être même amplifiée, par la voix d’une « narratrice » qui, pour expliquer les choses, ne les juge pas assez, s’exonérant du devoir d’accompagner le lecteur/spectateur dans les moments où il pourrait, avec les personnages, s’exposer.

Cendrillon était au programme du Baccalauréat de la session 2014 et des élèves, sous la conduite de leur enseignant, ont mis en scène cette pièce. De ce que j’ai vu, la violence se déployait,  encouragée par le rire, pour moi insupportable du public : rien ne me semblait cadré. Pourtant, la violence du texte pourrait en place du rire, susciter l'empathie du lecteur/spectateur. Alors je m’interroge : peut-on enseigner ce texte de Pommerat pour en faire, malgré tout, un objet de partage émotionnel ?

 

 

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