Sablier n° 10.3

 

Ce qui nous arrive  n°3
 

Hélène Merlin-Kajman

05/12/2020

 

J’ai ouvert ma fenêtre pour chasser une mouche qui persécutait mes oreilles, et voilà qu’une pluie de petites choses rondes est tombée sur la tablette d’appui de l’embrasure avec un bruit métallique. C’étaient des coccinelles endormies, une multitude de coccinelles qui avaient trouvé refuge là, entre les battants, partout.

Elles n’ont pas remué.

Je les ai laissées. Le lendemain, elles avaient disparu. Je suppose que, par un chemin inconnu, elles avaient regagné leur abri. Je me demande ce que ça nous programme pour le printemps. Je connais bien les invasions de mouches à l’intérieur de la maison. Mais pas encore celles de coccinelles.

Les coccinelles de mon enfance, les coccinelles des dessins de coccinelles, rouges à points noirs, ont presque disparu comme chacun sait. Celles qui sont tombées en pluie de ma fenêtre sont noires à points rouges, ou ocres à points noirs, etc, sans parler du nombre de points, infiniment variable contrairement aux premières. Elles ont été importées d’Asie pour lutter contre les pucerons d’Europe et d’Amérique parce qu’elles étaient bien plus efficaces que la bête à bon dieu et bien plus écologiques que tout insecticide. Mais le processus a dérapé, m’apprend un article trouvé sur internet (non sans conclure toutefois que les coccinelles de mon enfance, dont me terrifiait l’envol soudain, l’envol sans crier gare défigurant leur placide et lumineuse rondeur, vont réagir et revenir après adaptation)...

Je suis dans ma maison de campagne à cause du confinement, à cause de la seconde vague, à cause des hôpitaux surchargés, et je n’avais jamais eu l’occasion de voir les coccinelles se presser dans les fenêtres, les coccinelles qui rentrent au mois d’octobre dans les maisons chauffées. La nôtre inhabitée en octobre ne pouvait pas les attirer (il semble qu’elles se donnent le mot quand de premiers individus trouvent un bon endroit où se planquer l’hiver). A la campagne, le coronavirus s’oublie un peu. Un peu seulement. Une pandémie. Partout dans le monde on parle du covid, on en parle, on en meurt, on vit ce qu’il implique, ce qu’il induit, là où l’on est, autour de soi. Et partout, pour tout le monde, quelque chose s’est modifié.

Ce jour-là pour moi, c’était une chute de coccinelles, de coccinelles nouvelles comme le frelon asiatique ou comme la pyrale du buis, peu importe leur continent, une nouveauté partout qui saborde les échelles et frappe d’hébétude, ici minuscule et là énorme, ici capable d’être secouée par l’amusement curieux et là submergée d’angoisse et d’épouvante.

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