Exergue n° 131
« C’est sur la peau de mon cœur que l’on trouverait des rides. Je suis déjà un peu parti, absent. Faites comme si je n’étais pas là. Ma voix ne porte plus très loin. Mourir sans savoir ce qu’est la mort, ni la vie. Il faut se quitter déjà ? Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes. »
Henri Calet, Peau d’ours, 1958, Paris, Gallimard , p. 162 (Écrit dans son agenda 2 jours avant sa mort)
Anne Mascarou
11/07/2015
Se retirer de soi-même, sur l’estran de l’existence, ce « délaissé sableux de la mer ». Quand la vie fait marée basse, l’intérieur du corps s’emplit de rides et de sanglots. L’enveloppe découvre un écorché. Ailleurs, Calet écrit : « c’est fini, tout à fait fini, mon avenir est liquide ».
Sur le pas de la porte, dans son carnet intime, en deux dénégations ce sont pourtant les lecteurs qu’il convoque à consoler celui qui part pendant qu’il est encore un peu là, avant qu’il ne s’absente à lui-même : un peu, ce tout petit espace transitionnel et purement littéraire (on est vivant ou mort).
Dans cet entre-deux de la mort pressentie, ramasser les interrogations, les regrets, les injonctions : Faites comme si je n’étais pas là, retourner la parole de convention pour être déjà du côté de l’invisible. En écrivant, je me retiens, suspendu avant le point final. Ailleurs encore : « La vie en définitive, c’est vite fait et c’est bientôt dit. La vie, un petit mot d’une syllabe, presqu’un soupir ».
Dans Détective, Godard fait dire à Johnny Hallyday : « Ne me secouez pas je suis plein de larmes », ces ultima verba intuitivement destinés à la postérité. Plutôt : sauve qui peut la vie qui est littérature.